Le photojournalisme, la vie d’un couteau-suisse équilibriste

Oct 21, 2022 в Etre freelance
Un photographe, sur fond bleu, avec de multiples appareils photo

En juin 2022 sortait la campagne #UnePhotoÇaSePaie, portée par des organisations professionnelles et associatives des métiers de la photographie pour signaler le manque de reconnaissance du métier de photographe. Pourtant, il n’y a jamais eu autant de photographes, notamment dans le journalisme (on compte 37 % de photographes de plus en 15 ans). 

Le métier “n’a jamais autant attiré qu’aujourd’hui”, remarque JC Milhet, photojournaliste basé à Perpignan et membre de l’agence photo Hans Lucas. “Wilfrid [Estève], le directeur de Hans Lucas, me disait qu’il reçoit entre 90 et 100 demandes d’adhésion à l’agence par mois.”

En France, on recense ainsi plus de 25 000 photographes professionnels tous statuts et tous secteurs confondus. Dans ce boom, comment tirer son épingle du jeu ? À quoi ressemble la réalité de photojournaliste aujourd’hui ?

Loin d’un âge d’or fantasmé

L’image du photojournaliste aventurier-voyageur reste forte dans l’imaginaire collectif. Pourtant, le quotidien des journalistes en est loin. “L’âge d’or des Eric Valli et autres photographes, qui vivaient les 3/4 du temps à l’autre bout du monde est un peu révolu aujourd’hui. On a tous envie d’avoir une vie de famille et un peu de confort aussi,” explique M. Milhet.

“Bien sûr qu’on a tous fantasmé les images des conflits, parce que c’est toujours les conflits qu’on prend en exemple. Le dernier, c’était l’ex-Yougoslavie. J’ai des collègues qui y sont allés, c’était dur, c’était dangereux mais ils partaient avec des moyens que les jeunes aujourd’hui qui sont partis couvrir le conflit ukrainien n’ont jamais eu. On peut regretter ce temps-là, ça, c’est sûr.”

Mais ce photojournaliste, qui a grandi au rythme des éditions de Visa pour l’image dans sa ville natale, voit aussi plusieurs aspects positifs à ce changement de paradigme.

“On a beaucoup plus de photographes issus de l’immigration ou originaires d’autres pays. Et on a un pourcentage d’hommes et de femmes qui est en train de se stabiliser sur une égalité. Le deuxième angle, c’est l’écriture photographique, qui s’est extrêmement décomplexée”, dit-il. “Cet esprit de décolonisation de la photographie, il était nécessaire, ça correspond à notre monde. Et j’extrapole mais même en matière environnementale : on nous parle de faire attention à la température de notre maison et on envoie des photographes à l’autre bout du monde alors qu’il y en a déjà. Je pense qu’on peut pas regretter ce temps-là.”

Cependant, la précarité économique du métier est indéniable. Le rapport Franceschini publié par le Ministère de la Culture en mars 2022 indique qu’entre 2001 et 2017, les revenus des photographes ont baissé de 18 %. Le collectif de la campagne #UnePhotoÇaSePaie dénonce notamment le recours croissant aux banques d’images à bas coûts, le non-respect des délais de paiements légaux par les groupes de presse et les agences ou encore le refus de certains de rémunérer leurs photojournalistes en piges salariales.

Par exemple, lorsque Juliette Pavy, photojournaliste basée à Vannes, s’est rendue compte en 2019 qu’elle ne se plaisait pas dans son métier d’ingénieure en biologie, elle a voulu se tourner vers le photojournalisme, qu’elle pratiquait déjà en autodidacte en parallèle de ses études. Mais ce n’était pas un choix évident.

“Je me gardais toujours le fait d’avoir mon diplôme d’ingénieure, au cas où. C’est une profession qui est quand même assez bouchée, il y a énormément de photographes aujourd’hui,” souligne-t-elle.

“Maintenant, ça va. Je ne me verrais pas revenir en arrière mais pour me lancer, j’avais besoin d’avoir cette sécurité, même vis-à-vis de ma famille. Même pour moi, au début, ce n’était pas forcément quelque chose qui était viable d’être photographe.”

Pluridisciplinarité et agilité comme maîtres-mots

Pour réussir, il faut revoir ses attentes, et notamment accepter d’avoir une activité diverse, pas uniquement centrée sur la photographie de presse. JC Milhet est ainsi formateur à l'Université de Perpignan Via Domitia ou pour la formation Hans Lucas Transmission et fait de la photographie d’entreprise, ou photo “corporate” dans le jargon. “Aujourd’hui, un photographe de presse qui fait pas de corpo, ça n’existe pas.”

Cependant, cela n’est que la continuité d’une réalité historique pour ce métier. “Il y a pas longtemps sur une manif, j’ai croisé un copain qui est photographe de presse, qui a toujours eu sa carte de presse,” raconte M. Milhet.

“Au milieu de la manif, je m’en vais pour faire un portrait pour Santé Magazine et je lui dis. Il a dû avoir l’impression que je le faisais par dépit, alors que pas du tout, et il m’a dit une phrase qui m’a marqué : ‘Tu sais, moi, l’Acteur rural et la Gazette des communes sont les deux titres qui m’ont fait vivre.’ Quand il sort des expositions de rétrospective de terrains de conflit, de guerres sociales et de guerres dans le monde, on n’imagine pas qu’en fait ce qui l’a vraiment fait vivre, ce sont des portraits pour des magazines institutionnels ou professionnels.”

Ainsi tout est une question d’équilibre et ce climat d’insécurité économique confronte parfois les photojournalistes à des calculs savants pour pouvoir maintenir leur carte de presse. En effet, pour obtenir la carte de presse délivrée par la CCIJP, un photojournaliste doit démontrer que plus de la moitié de ses revenus sont issus des rémunérations par des éditeurs de presse.

“Il y a des mois où je vis très bien de la presse et d’autres non,” explique Mme Pavy. Elle estime de manière approximative que sur une année, elle produit 60 % de photo de presse et 40 % de corporate.

“Le plus dur, c’est de trouver un équilibre financier. C’est pas facile, surtout au début. Il faut se faire connaître, faire son réseau pour avoir des commandes," dit-elle. "Ça reste précaire. Pour l’instant, moi je le vis plutôt bien, j’ai eu des bourses, des journaux m’appellent pour des commandes mais ça peut s’arrêter du jour au lendemain. On n’a pas forcément de sécurité pour la suite. Pour l’instant, je suis jeune, j’ai pas d’enfants à nourrir donc ça ne m'inquiète pas plus que ça mais je me dis que pour l’avenir, ça peut être compliqué.”

Produire et être soutenu

Face à ce contexte complexe, un paramètre technique est essentiel, les métadonnées. “Aujourd’hui, une photographie qui n’est pas bien référencée, elle n’existe pas. Et on a plein de très bons photographes qui font de très bonnes photos mais que personne ne verra parce qu’on sait pas où les trouver,” souligne M. Milhet.

Ainsi, se faire accompagner, pour se former et avoir une plateforme de diffusion efficace, est essentiel. Juliette Pavy a, par exemple, effectué une formation à l’EMI pour entamer sa reconversion professionnelle en 2020. “Cela m’a permis d’avoir vraiment les bases du journalisme. Avant, je faisais plus ce qu’on appelle de la photo de news, des sujets d’actu. Je ne construisais pas vraiment d’histoire au long cours, c’était plus illustrer, comme une manifestation par exemple. Tout se fait devant tes yeux, y’a pas vraiment besoin de réfléchir ou de prendre énormément de temps pour faire ses sujets,” explique-t-elle. Elle a formé un collectif, le Collectif Hors Format. "C’est mon collectif de référence. Il me permet de diffuser mes images, de construire des projets communs.”

Grâce à cette organisation, elle a la possibilité d’expérimenter davantage dans son métier. “Avant la création du collectif, je n’étais jamais intervenue dans des écoles. On a suivi une classe de 4e pendant 40 heures [...] Je n’aurais jamais sauté le pas seule, c’est plus intéressant de le faire en collectif. Pareil pour les jeunes, ça leur permet de voir différents intervenants.”

Mais par-dessus tout, pour vivre en tant que photojournaliste, il faut produire, ce qui permet de mieux identifier son positionnement.

“Il faut démystifier la photo un peu quand on fait de la photo de presse. La photo, elle a un usage, c’est un outil. C’est une œuvre juridiquement, mais est-ce qu’on fait des plaques à chaque fois qu’on fait une photo ?” interroge JC Milhet.

“J’ai l’impression qu’il faut un peu démystifier tout ça et accepter que parfois, on peut vendre une photo, peut-être pas très chère mais si on en vend plein pas chères, ça commence à faire une certaine rémunération. D’autres, il ne faut pas les vendre bradées, c’est sûr. Arriver à se situer un peu par rapport à son travail, c’est assez compliqué.”

Mais selon ces deux professionnels, le métier de photojournaliste, malgré toutes ses contraintes, semble encore avoir un avenir. "Ça fait un petit moment que je travaille pour des titres de presse et j’en découvre encore donc c’est plutôt rassurant,” souligne M. Milhet.


Photo, via Unsplash, licence CC Ben Eaton