Une nouvelle plateforme met en relation journalistes et sources en Ukraine

4 mai 2022 dans Reportage de crise
Le drapeau de l'Ukraine flotte

Un nouvel outil destiné aux journalistes, conçu par un ingénieur ukrainien de Kharkiv, pourrait révolutionner la manière dont les reporters entrent en lien avec leurs sources en temps de guerre. UABRAVE relie les journalistes aux personnes sur le terrain à l'aide d'une base de données sécurisée, ce qui permet aux journalistes de trouver des sources tout en réduisant les risques pour la sécurité de ces dernières.

UABRAVE est une création de l'ingénieur Roman Vydro, qui a remarqué une "lacune dans le système" lorsqu'il a commencé à donner des interviews à des organes de presse étrangers pendant les premiers jours de la guerre. Les médias le contactaient fréquemment pour des interviews en raison de sa maîtrise de l'anglais et de sa proximité avec les zones de combats. Cet aperçu du fonctionnement de la presse en temps de crise a révélé à M. Vydro plusieurs inefficacités que son expertise en ingénierie pouvait résoudre.

M. Vydro est le cofondateur de Garage Hub, un laboratoire et think tank pour les ingénieurs, qui s’engage dans des projets d'éducation et de services communautaires, ainsi que dans des initiatives de communication créative. Lorsque la Russie a lancé son invasion fin février, les membres de Garage Hub ont immédiatement orienté leurs innovations vers l'effort de guerre. C'est ainsi qu'est né UABRAVE.

Comment ça marche

UABRAVE gère une base de données sécurisée “d’intervenants", c'est-à-dire de personnes en Ukraine dont l'authenticité est vérifiée par l'équipe de Vydro. Les intervenants doivent bien parler anglais et ont souvent un domaine d'expertise, comme la médecine ou l'éducation. Actuellement, la base de données compte environ 150 intervenants, et la liste ne fait que s'allonger.

Les journalistes qui s'inscrivent sont également contrôlés. Chaque journaliste doit fournir le lien vers un organe de presse qui peut être validé, et doit avoir au moins un article publié sur ce site avant le début de la guerre, le 24 février. Si la légitimité du journaliste ne peut être vérifiée, l'accès lui est refusé .

Une fois que le journaliste a passé le processus de vérification, il a accès à la base de données des intervenants, qui fournit leurs noms, localisations et leurs "résumés", une description qui comprend notamment le type d'actions qu'ils entreprennent. Ce résumé, de la longueur d'un tweet, vise à aider le journaliste à choisir l'intervenant qui correspond le mieux au reportage qu'il tente de construire.

Un numéro d'identification est attribué à chaque intervenant. Lorsque le journaliste décide, par exemple, qu'il souhaite interviewer les numéros 27, 31 et 72, UABRAVE lui communique les coordonnées correspondantes par le biais d'un message sécurisé. Cette méthode a été conçue pour garantir la sécurité des sources. "Nous ne voulons pas donner ces numéros de téléphone ou quoi que ce soit d'autre à quiconque pourrait nuire à ces personnes", insiste M. Vydro.

Actuellement, l'ensemble du processus peut prendre jusqu'à deux heures, mais M. Vydro espère qu'avec davantage de fonds, il pourra réduire le temps de réponse à 15 minutes seulement.

"J'ai beaucoup de mal à croire qu'un outil aussi simple n'existait pas auparavant", dit M. Vydro. "Il y a beaucoup d'initiatives qui vont dans ce sens, mais aucune qui propose ce service spécifique de A à B, où des gens donnent des interviews (aux informations véridiques) très rapidement et qui combattent ce monstre qu’est la propagande", a-t-il ajouté. "Pour moi, c'est une solution rêvée".

Un intérêt qui dépasse l’Ukraine

Jusqu'à présent, UABRAVE a suscité l'intérêt de 200 médias de 31 pays. À l'avenir, M. Vydro pense qu'UABRAVE va pénétrer les marchés des médias en Chine, en Inde, en Afrique et en Amérique latine. Il a de grandes ambitions pour UABRAVE au-delà de la guerre, qui s’appliqueraient à une variété de reportages.

"Le plus intéressant, c'est que, technologiquement, une fois que nous aurons développé quelque chose de plus durable et de plus exportable, cela pourra être utilisé [dans d'autres situations]. Imaginez un tremblement de terre, par exemple. J'ai le sentiment que si nous le concevons suffisamment bien, ce type de système pourrait être déployé rapidement", explique M. Vydro. "Cela permettra aux reporters d'avoir une immense capacité à communiquer cette terrible catastrophe. Cela [pourrait donner] une facette plus organique et plus touchante à tout article."

UABRAVE est l'une des innombrables organisations de terrain qui utilisent l'innovation pour lutter contre la guerre avec la Russie. Après avoir fait sortir leurs parents de Kharkiv, M. Vydro et ses collègues se sont entassés dans une camionnette, animaux de compagnie compris. Ils ont pris la route vers un endroit isolé, où l'équipe vit et travaille ensemble sous le même toit ; une armée entièrement bénévole qui se bat avec les outils des ingénieurs.

"Nous sommes la nation qui prouve que la créativité est le pétrole du 21e siècle. Il s'agit essentiellement d'une guerre entre la créativité et la force brute insensée", affirme M. Vydro. "Je demande aux gens d'utiliser notre service, car c'est le seul moyen de transformer notre étincelle créative en brasier."


Photo de Bernd Dittrich sur Unsplash.