Le débat sur la place des femmes haïtiennes dans les médias comme dans de nombreux secteurs dans le pays ne date pas d’hier. Depuis toujours les médias dans le pays ont souvent été l’apanage des hommes. Bien que les professionnelles aient réussi ces dernières années à se tailler une place dans plusieurs couloirs du métier, il reste cependant peu de femmes à la direction des médias. Pour essayer de comprendre cette sous-représentation de nos consœurs dans le secteur, nous avons discuté avec des femmes journalistes et rédactrices-en-chef.
"Malgré leur capacité et leur expérience, il y a très peu de femmes dans les postes de responsabilité, alors que certaines professionnelles comptent plus de 25 ans de carrière. Des femmes journalistes occupant des postes décisionnels dans les médias haïtiens, on peut les compter sur les doigts d'une main", argue Lovely Stanley Numa, directrice et fondatrice du journal en ligne impulsewebmedia qui dit, cependant, reconnaître que beaucoup d’efforts sont consentis pour une meilleure représentation des femmes dans les médias.
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Elle n’est pas la seule à faire ce constat. Il est partagé par Jeanne-Elsa Chéry, rédactrice en chef du journal en ligne Mus’elles. Elle aussi pense que les femmes sont sous-représentées dans les médias : "elles occupent une place minorée qui représente une inégalité prégnante à tous les échelons de la société. Leur présence est moins remarquée dans des émissions à caractère politique, économique. Alors que les programmes à caractère culturel sont très féminisés".
Selon Mme Numa, la raison expliquant le constat que très peu de femmes soient à la direction des médias, est qu’en Haïti, il existe très peu d'organes de presse qui n’appartiennent pas un homme politique, détenteur de pouvoir et de moyens économiques. Par ailleurs, très peu de femmes haïtiennes sont autonomes économiquement. Mme Numa explique que ce métier "n’est vraiment pas facile. Ce n’est particulièrement pas chose aisée lorsque c’est une femme qui veut lancer son propre média". De plus, pour elle, le métier exige un temps que les femmes, à cause de leur obligation sociale, n’arrivent pas toujours à consentir.
Ce n’est pas non plus un monde où l’on peut faire cavalier seul, cependant, constate l’ancienne journaliste de la Radio vision 2020, "dans ce domaine même les femmes journalistes comme vous ne sont pas prêtes à vous prêter mains fortes quand vous avez un projet de média. Toutefois, je ne généralise pas, car je travaille en équipe avec deux femmes journalistes pour Impulsewebmedia".
De son côté Jacques Desrosiers, secrétaire général de l'Association des journalistes Haïtiens (AJH) salue les efforts consentis par les acteurs du secteur depuis les 30 dernières années pour l’intégration des femmes dans les différentes sphères du secteur médiatique, mais, il les juge insuffisants par rapport au nombre de médias existants dans le pays. Actuellement, explique-t-il, "moins de 20 % des membres de l'association sont des femmes".
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Par ailleurs, croit-il que les femmes, malgré leur implication dans le milieu, atteignent rarement la direction des organes de presse "[... ] Généralement, on présente le métier de journaliste comme un travail dangereux que les femmes ne peuvent pas pratiquer. D’un autre côté, on a tendance à faire croire que le métier de journaliste n’est pas assez rentable pour les femmes [...] Mais, ce sont des stéréotypes qui méritent d’être combattus en vue d’une plus large intégration des femmes dans les médias".
Dans l'histoire de la presse haïtienne, plusieurs médias ont été fondés par des femmes : la revue Femina, Enfofanm et Ayiti Fanm. Plusieurs décennies après, il y a de plus en plus de médias dans le pays et au sein de la capitale, (une centaine de stations de radios et de télévisions sans compter les sites d'information), cependant, rares sont ceux qui sont détenus par des femmes.
Il vrai que durant ces 30 dernières années les femmes se sont taillées d'importantes places dans le milieu médiatique, de telle sorte qu'aujourd'hui, des femmes reporters, directrices de programmation, rédactrices en chef et photojournalistes sont en activité. Cependant, une meilleure intégration des professionnelles à la direction des médias est plus que nécessaire, car cela permettrait de faire progresser la parité homme/femme. Enfin, cela agrandirait sans doute le spectre des sujets traités dans les médias.
Photo sous licence CC Claudia Altamimi via Unsplash
Dougenie Michelle Archille est juriste et journaliste à Enquet'Action.