Les dessous d'une enquête à grande échelle comme les Pandora Papers

25 oct 2021 dans Journalisme d'investigation
Une carte du monde

Dans le cadre des Pandora Papers, la plus grande collaboration de reportage jamais vue dans le monde publiée récemment, plus de 600 journalistes du monde entier ont passé au crible des millions de fichiers afin d'exposer comment des hommes politiques, des chefs d'entreprise, des célébrités et bien d'autres dissimulent leur argent.

Les reportages qui en ont résulté ont notamment révélé l'implication d'un éminent donateur politique au Royaume-Uni dans un scandale de corruption majeur en Europe, l'évasion fiscale de la famille régnante du Qatar à hauteur de millions de livres sur un manoir à Londres, et comment le roi de Jordanie a utilisé des propriétés offshore pour financer une frénésie secrète de dépenses immobilières au Royaume-Uni et aux États-Unis. Menés par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), les Pandora Papers s'inscrivent dans la lignée des Panama Papers de 2016 et des Paradise Papers de 2017.

La semaine dernière, la présidente de l'ICFJ Sharon Moshavi s'est entretenue avec trois lauréats du prix Knight International de l'ICFJ à propos de leur participation aux Pandora Papers : Pavla Holcová, journaliste d'investigation basée en République tchèque et fondatrice du Centre tchèque pour le journalisme d'investigation ; Joseph Poliszuk, trois fois finaliste du prix latino-américain du journalisme d'investigation et cofondateur d'Armando.info, au Venezuela ; et Umar Cheema, journaliste d'investigation pakistanais pour The News International et fondateur du Centre pour le journalisme d'investigation au Pakistan.

 

 

Le travail de Mme Holcová a contribué à faire connaître la façon dont le Premier ministre tchèque Andrej Babis a transféré des millions d'euros par le biais de sociétés offshore pour acheter des biens immobiliers de luxe en France ; M. Poliszuk faisait partie d'une équipe qui a révélé le scandale de corruption d'Odebrecht en Amérique latine ; et le reportage de M. Cheema a révélé que des membres clefs du cercle rapproché du Premier ministre pakistanais Imran Khan possédaient des sociétés et des trusts contenant des fortunes cachées.

Les intervenants ont discuté du rôle essentiel de la collaboration dans ce projet et de l'importance de la discrétion lors d'une enquête si grande et si sensible. Ils ont également donné des conseils sur la manière de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée lorsqu'on participe à un projet de reportage à grande échelle et sur la nécessité de tout remettre en question pour faire avancer une enquête.

Voici ce qu'ils ont retenu :

La collaboration est clef

Historiquement, les journalistes ont toujours eu une part d'indépendance. C'est de moins en moins le cas aujourd'hui. La collaboration entre de nombreux journalistes était impérative pour mener à bien une enquête de l'ampleur des Pandora Papers.

"Nous avons grandi à une époque où nous pensions qu'un seul journaliste pouvait faire une grande différence, mais dans le monde dans lequel nous vivons, nous sommes confrontés à d'énormes défis et une seule personne ne suffit pas", dit M. Cheema. "Plus de collaboration, c'est avoir un plus grand impact."

La capacité des Pandora Papers à exposer des crimes financiers complexes à l'échelle mondiale est due en grande partie à la collaboration transfrontalière initiée entre les journalistes et les rédactions. Il a fallu que des journalistes de plus de 100 pays travaillent ensemble pour fouiller dans près de 12 millions de fichiers provenant de 14 sociétés offshore afin d'exposer les pratiques financières secrètes de l'élite et des puissants de ce monde.

"Les codes du journalisme d'investigation sont en train de changer, et c'est passionnant, car si le crime est sophistiqué, je pense que nous devons nous organiser et mettre en place une autre façon d'enquêter", explique M. Poliszuk.

La discrétion est de la plus haute importance

Lorsque vous enquêtez, il est important de ne rien faire qui puisse mettre en danger l'investigation ou votre sécurité. La discrétion est primordiale, y compris avec vos sources.

"Il faut vraiment être conscient du fait que plus il y a de personnes au courant de ce sur quoi vous travaillez, plus vous vous mettez en danger", précise Mme Holcová. "Surtout au début, lorsque vous essayez encore de comprendre ce qui se passe. Il ne faut pas partager ces informations."

Il est également important d'assurer votre sécurité en ligne, et celle de vos collègues.

"La cybersécurité est très importante, et l'ICIJ nous a toujours demandé de prendre des mesures de sécurité dans notre travail et au sein de notre équipe. Ces mesures devraient être suivies en permanence, pas seulement pour ce genre de projets", insiste M. Poliszuk.

[Lire aussi : Conseils d'un journaliste d'investigation pour protéger vos sources]

L'équilibre vie professionnelle-vie personnelle est essentiel

Un grand reportage d'investigation peut prendre beaucoup de temps et s'accompagner de défis qui peuvent dépasser le cadre du travail. Les intervenants ont souligné l'importance de se créer une routine et de déterminer les risques que vous êtes prêt à prendre.

"Chacun doit trouver un certain équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Il est important de savoir quel niveau de risque vous êtes prêt à prendre pour faire ce travail", raconte Mme Holcová.

Elle conseille de se poser les questions suivantes pour établir une approche durable du travail de reporter :

  • Comment puis-je équilibrer les risques que je prends au travail avec ma vie personnelle ?
  • Suis-je prêt à accepter la possibilité d'être attaqué ou ciblé pour mes reportages ?
  • Que puis-je faire pour assurer ma sécurité et protéger ma santé mentale ?

[Lire aussi : "Maman pige" : comment gérer sa vie de pigiste, de la grossesse à la reprise du travail ?]

Le scepticisme est le moteur de votre enquête

Lorsqu'on mène une enquête, il peut être difficile de déterminer ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Il est important pour les journalistes de remettre en question tout et n'importe quoi, ce qui fera avancer l'enquête.

"Vous voulez douter de vous-même et de ce que font les autres, car sans douter, il est impossible d'avancer. Le doute est à l'origine des questions, et c'est ainsi que nous suivons les pistes", conclut M. Cheema.


Photo de Christine Roy sur Unsplash.

Jamaija Rhoades est une jeune diplômée de l'Université de Hampton, où elle a obtenu un B.A. en journalisme. Elle est lauréate du Campus Consortium Reporting Fellowship du Centre Pulitzer et stagiaire chez IJNet.