À la suite d'une présentation que j'ai faite sur le projet Oasis Europe lors de la conférence européenne sur le journalisme d'investigation Dataharvest à Malines, en Belgique, en juin, un homme du public s'est avancé et a exprimé sa reconnaissance pour les résultats que nous venions de partager.
Il a expliqué qu'il essayait depuis quelques mois de convaincre ses collègues d'investir dans un poste de commercial afin d'augmenter leur chiffre d'affaires, mais que ces derniers ne considèrent pas cette fonction comme une priorité. Il a ajouté qu'il pouvait désormais s'appuyer sur nos données montrant que les rédactions qui investissent dans le développement commercial deviennent des organisations plus pérennes.
Après des recherches approfondies sur les médias numériques natifs, nous – l'équipe du projet Oasis Europe – avons découvert que les médias ayant au moins un employé dédié à la génération de revenus déclarent un chiffre d’affaires annuel moyen six fois plus élevé que ceux qui n'ont pas de ressource dédiée à ces fonctions. Ce n'est là qu'une des conclusions notables de notre dernier rapport.
Nous avons cartographié 540 médias numériques natifs dans plus de 40 pays d'Europe afin de mettre en lumière ce paysage innovant et d’établir une base pour identifier de nouveaux types de médias au service de l'intérêt public.
Plus de 85 % des organismes figurant dans notre répertoire déclarent que les questions sociétales et les droits humains constituent des domaines-clefs de leur ligne éditoriale, notamment les sujets liés à la migration, aux réfugiés, au genre et au féminisme. Plus de 50 % d'entre eux consacrent des ressources au journalisme d'investigation et nombre d'entre eux forment des alliances pour couvrir des sujets transfrontaliers. Au moins 58 % des fondateurs de médias présentés dans notre rapport sont des femmes.
L’annuaire
Nous avons lancé le projet Oasis Europe en avril 2023, sur la base de recherches menées au cours du second semestre 2022. Grâce au soutien de partenaires locaux et d'une équipe diversifiée de chercheurs ayant une expérience locale, nous avons identifié plus de 1 000 médias numériques natifs susceptibles d'être inclus. Nous en avons finalement sélectionné plus de 540 sur la base de critères tels que l'indépendance éditoriale, l'originalité des reportages et la transparence.
Les chercheurs ont ensuite mené des entretiens avec les dirigeants de ces médias et examiné les informations accessibles au public à leur sujet afin de créer un annuaire des médias. Nous considérons cette première version comme notre "produit minimum viable" (MVP), car elle ne constitue pas une liste définitive et exhaustive de tous les médias numériques indépendants en Europe. Il s'agit d'une base de données vivante que nous prévoyons de mettre à jour au fur et à mesure.
Dans les semaines et les mois qui ont suivi le lancement, nous avons présenté le projet lors de conférences organisées dans toute l'Europe. Souvent, les dirigeants des médias représentés dans notre recherche étaient à ces événements. Nombre d'entre eux nous ont dit que le projet les aidait à démontrer leur valeur aux autres. Le fait de figurer dans l'annuaire du projet Oasis prouve qu'ils répondent à nos critères. Cela les rend plus confiants lorsqu'ils s'adressent à des bailleurs de fonds, des universitaires, des décideurs politiques et d'autres acteurs-clefs et qu’ils doivent souligner l'importance des médias indépendants en Europe. L'annuaire les aide également à entrer en contact avec d'autres journalistes et freelances qui écrivent sur des sujets spécifiques, ainsi qu'avec des dirigeants de médias qui sont confrontés à des défis similaires lors de la création de leur entreprise.
Le rapport
Les tendances, idées et autres informations présentées dans notre rapport sont basées sur notre analyse des médias sélectionnés et sur les informations qu'ils nous ont fournies au cours de la phase de recherche.
L'une des questions que nous posons toujours est la suivante : pourquoi avez-vous créé un média numérique natif ? Les dirigeants des médias que nous avons interrogés citent de nombreuses raisons, comme le fait de "ne pas trouver leur place" dans les organisations traditionnelles, ou le désir d'avoir plus de liberté pour couvrir certains sujets.
Le site d'informations locales Indip en Sardaigne (Italie), par exemple, a été co-fondé par un groupe de journalistes indépendants qui ont déclaré que les rédacteurs en chef des journaux nationaux et locaux les empêchaient souvent de couvrir des sujets qui dérangeaient les hommes politiques ou les hommes et femmes d'affaires. Avec Indip, ils sont en mesure de publier des récits inédits, couvrant des sujets tels que l'activité criminelle et la corruption.
Nous avons également constaté que ces médias brisent le plafond de verre : 46 % des médias étudiés comptaient au moins une femme dans leur équipe fondatrice. Le site d'information autrichien Andererseits, est un exemple de rédaction dirigée par des femmes qui s'attaque à des questions sociales sérieuses. Elle intègre les points de vue de voix souvent ignorées. Les trois fondatrices décrivent leur mission comme suit : "Bien qu'environ 15 à 20 % des personnes vivant en Autriche ont un handicap, il n'y a qu'une poignée de journalistes dans la même situation. Nous voulons changer cela.”
Les données qualitatives recueillies par nos chercheurs et résumées par pays dans le rapport suggèrent que plus de 65 % des médias de notre étude existent sur des marchés où les médias sont contrôlés par un groupe relativement restreint de propriétaires. Dans les marchés médiatiques où les indices de liberté de la presse sont faibles, les médias numériques natifs choisissent souvent des plateformes de publication qui leur permettent d'échapper plus facilement aux attaques et à la surveillance en ligne. En Turquie, qui est souvent citée comme un marché médiatique difficile en raison de la polarisation politique et des restrictions gouvernementales, de nombreux dirigeants ont déclaré qu'ils avaient opté pour une approche axée sur les réseaux sociaux d'abord, en outrepassant complètement les sites web.
Les médias étudiés sont très collaboratifs et la plupart ont deux co-fondateurs ou plus. Le modèle coopératif est populaire en Europe du Nord, où le collectif de recherche néerlandais Spit, offre des salaires équitables aux journalistes indépendants avec lesquels il travaille. The Bristol Cable est un autre exemple de coopérative, financée par les contributions des membres qui sont également des "sociétaires démocratiques". Cela signifie qu'ils peuvent assister aux assemblées générales annuelles de l'organisation, voter sur les campagnes éditoriales et se présenter aux élections du conseil d'administration non exécutif. La collaboration n'existe donc pas seulement dans le cadre de partenariats avec d'autres journalistes et organisations, mais aussi dans le cadre d'une relation plus étroite avec les publics.
Dans notre annuaire interactif des médias, vous trouverez des profils détaillés et des données consultables décrivant le marché en pleine croissance des médias numériques indépendants en Europe. Il contient notamment les types d’actualités et d'informations que les médias couvrent, les genres et les techniques, la structure de l'équipe et de la direction, le modèle économique, ainsi que des informations relatives à la transparence.
Après le lancement du projet Oasis Europe en avril, nous avons traduit nos principales conclusions et les résumés par pays dans plus de 30 langues locales, afin de partager le rapport plus largement en Europe. Les résumés par pays comprennent une description du paysage médiatique, des informations sur la liberté de la presse, la structure du marché et le financement, ainsi que des conclusions et des recommandations pour chacun des plus de 40 pays inclus. Si vous souhaitez soumettre le nom d'un organe de presse numérique en vue d'une éventuelle inclusion dans l'annuaire, visitez le site web du projet Oasis Europe.
En 2024, SembraMedia lancera la première phase d'un annuaire mondial des médias, qui inclura des données d'Europe, des États-Unis, du Canada et d'Amérique latine. Nous rechercherons des partenaires pour nous aider, à terme, à ajouter les médias d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient.
Photo de Willian Justen de Vasconcellos sur Unsplash.
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