La pandémie, un obstacle à l’accès à l’information au Sénégal ?

23 juil 2021 dans Couvrir le COVID-19
Un homme travaille à son ordinateur

"C’était compliqué parce qu’il y avait beaucoup de ministères ou de directions nationales qui refusaient de recevoir des journalistes. Parfois, dans l’espoir de fixer un rendez-vous, tu appelles, mais on te dit non, qu’actuellement avec la pandémie, il n’est pas autorisé que les personnes étrangères viennent au ministère", se désole Babacar Gueye Diop, journaliste au journal Le Quotidien

Ce journaliste en télétravail depuis près de deux ans, soutient que son quotidien a changé durant la pandémie. ”Avec la crise sanitaire, raconte-t-il, les mesures prises par certaines directions n’ont pas rendu facile l’accès à l’information”. 

Cette difficulté durant la période est partagée par Sanni Moumouni, journaliste à la West Africa Democracy Radio (Wadr) à Dakar. Il soutient que cette pandémie, nous l’avons vécue difficilement parce qu’il y avait des mesures restrictives dans l’optique de contenir la propagation du virus.

Selon Sanni Moumouni, la pandémie pourrait être prise par ailleurs comme un frein à l’accès à l’information. "Un frein à l’accès à l’information oui, parce que ces acteurs qui font l’information se sont retrouvés à ne pouvoir organiser quoi que ce soit. C’était difficile, a-t-il poursuivi, de remplir les tranches d’information parce qu’il était compliqué d’avoir tous les  acteurs en action." A l’en croire, au sein de son média, l’enjeu, en dépit des difficultés, est de continuer la mission d’information. 

Assurer la mission d’information malgré tout…

Cette volonté est partagée par ce journaliste de France 24 à Dakar. Selon Elimane Ndao, le rythme journalistique a baissé durant la période mais,“la volonté d’informer le public de l’actualité est restée de rigueur”. Narrant son vécu, il estime que l’accès à l’information de façon générale ne lui a pas posé de problèmes.

Toutefois, il fait savoir qu’au ministère de la santé, quelques difficultés sont survenues, ”parce que ceux qui sont préposés à la communication ne répondaient pas trop ni aux messages, ni aux appels, alors que, ajoute t-il, c’était un moment où la santé était le domaine qui nous intéressait le plus”. "C’était quelque chose d’handicapant pour faire nos reportages. Pour vouloir interviewer des personnes-ressources, dans le domaine du management du ministère de la santé, c’était compliqué", confie t-il.

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À la Radio Télévision Sénégal (RTS), les professionnels des médias ont aussi subi les affres de la pandémie du coronavirus. Mama Moussa Niang est le chef service division langue nationale à la télévision nationale. Actif sur les terrains de reportage, ce quinquagénaire soutient aussi que le moment a été difficile. "Très difficile !", insiste-t-il, "parce que dans un premier temps, se justifie-t-il, acquérir l’information concernant même cette pandémie, n’était pas évident. Ici au Sénégal que je connais particulièrement, il y avait simplement l’information officielle. Un communiqué qui est lu chaque jour à 10 h, et tout le monde pouvait se contenter de ce communiqué-là".

La vérification des informations durant la période se heurte à des contraintes. Selon Mama Niang,"la fiabilité de certaines informations posait problème. Comment vérifier ces informations ? S’interroge t-il. On pouvait simplement se contenter de celles officielles."

Selon lui, ce facteur relève aussi des réalités auxquelles faisaient face les journalistes dans ce contexte de pandémie."Les autorités sanitaires ont même créé des sources d’information pour les journalistes. Par exemple, le site du ministère était là, et, comme je le dis, il fallait toujours se référer à l’officiel. Est-ce que cette information est vérifiée ?", s’interroge notre interlocuteur.

Baisse de la productivité 

Chez Africa Check, organisation à but non lucratif spécialisée dans la vérification des informations, les difficultés se sont fait sentir. Comme tous les médias, ils ont été confrontés aux travaux à distance, qui ne facilitent pas toujours la bonne collaboration."Nous avons été amenés à travailler à distance, chacun chez soi. Déjà cela change un peu notre façon de coordonner le travail. Cette distance entre nous pour moi, ne facilite pas l’accomplissement de certaines tâches", déplore Samba Dialimpa Badji, rédacteur en chef à Africa Check.

Selon ce dernier, ce nouvel élan de travail a d’ailleurs été un facteur très déterminant dans la baisse de la productivité au sein de la rédaction. "À un moment, on s’est rendu compte, explique-t-il, que nous ne produisions pas comme avant, parce que le fait d'être à distance a changé quelque chose dans notre façon de travailler en tant qu’équipe et cela a été un impact en terme de productivité". 

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Au sein de cette organisation, pionnière dans la vérification d’information en Afrique, des mesures ont été prises pour contourner la difficulté d’accès aux sources d’informations engendrées par le coronavirus.

"Nous, nous avions pris les devants dès l’éclatement de la pandémie, nous avons décidé de travailler en équipe au sein du réseau qui regroupe les organisations de fact-checking. On avait créé un espace collaboratif qui permettait à tous les fact-checkeurs du monde de travailler ensemble sur des sujets", explique le rédacteur en chef d'Africa Check. 

D’après lui, cette initiative leur a beaucoup facilité la tâche. Elle a été une alternative pour accéder aux sources d’informations assez facilement, pour contourner les obstacles érigés par la pandémie pour l’accès à l’information. 

"Le travail que l'on doit faire sur le terrain n'est pas réalisé"

Enseignant-chercheur au Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI), Dr Sellé Seck est spécialiste en droit des médias. Il reconnaît qu’à cause du COVID-19, il est difficile d’avoir accès à certaines informations. Surtout celles qui sont relatives à la santé ou tout ce qui touche le monde médical en raison, dit-il, des mesures telles que la distanciation physique. À l’entendre, la conséquence pour le journaliste réside dans l’impossibilité d’accès au terrain.

"Le travail qu’on doit faire sur le terrain n’est pas réalisé, parce que ce n’est pas possible d’avoir ce contact direct avec les autres", admet t-il. Cependant, il apporte la nuance selon laquelle, le journaliste quelle que soit la difficulté, doit trouver les moyens légaux pour accéder à l’information dont il a besoin.

"En journalisme, théorise Sellé Seck, il faut savoir que deux sources n’est pas une source, il faut au minimum trois sources pour qu’on puisse faire le croisement". Proposant une alternative, il estime qu’il est possible d’utiliser le téléphone ou même Internet pour avoir l’information. 

La protection des journalistes préoccupe le Synpics 

Face à la maladie à coronavirus, la protection des journalistes du Sénégal a préoccupé le Syndicat des professionnels de l'information et de la communication du Sénégal (SYNPICS). "Nous avons essayé de sensibiliser les patrons de presse comme quoi, il fallait prendre des mesures pour protéger les journalistes", affirme Maguette Ndong, secrétaire général dudit syndicat. Il fait savoir que la situation dans le pays a occasionné le travail à distance.

"Il y a avait beaucoup de médias qui avaient pris des mesures dans le sens de sécuriser leur personnel, en observant le système de télétravail". À l'heure où une troisième vague de contamination semble planer sur le Sénégal, la vigilance doit une fois encore être de mise, dans le rang des professionnels des médias selon la deuxième autorité du SYNPICS.


Journaliste de nationalité béninoise, Giraud Kuessi Togbé est titulaire d'une licence en Sciences et Techniques de l'Information et de la Communication au Bénin. Il renforce depuis quelques années ses capacités en journalisme multimédia au Centre d'Etude des Sciences et Techniques de l'Information (CESTI) Dakar au Sénégal. 

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