La liberté de la presse encore et toujours en danger en 2023

2 févr 2023 dans Liberté de la presse
Une femme derrière des barreaux d'une prison

(Cette année), on ne sait pas ce qui va se passer, estime Pauline Adès-Mével, rédactrice en chef et porte-parole de l’organisation Reporters Sans Frontières (RSF). Elle fonde son jugement sur la situation géopolitique mondiale, amenant à une vision assez pessimiste : la guerre aux portes de l’Europe, des pressions, des conflits rampants ailleurs, des démocraties qui n’en portent que le nom, des journalistes qui sont derrière les barreaux et d’autres qui continuent d’être tués.

Le dernier cas dont le souvenir est encore prégnant dans les mémoires, est celui du journaliste camerounais Martinez Zogo dont le corps a été retrouvé sans vie et mutilé. Son assassinat a été découvert cinq jours après son enlèvement le 17 janvier 2023.

Avant sa disparition, le journaliste animait une émission traitant des affaires de corruption au sein de la radio privée Amplitude FM où il exerçait comme directeur. Peu avant lui, le journaliste rwandais John Williams Ntwali est mort lui aussi dans des "circonstances suspectes" selon Human Rights Watch (HRW).

Pourquoi les journalistes continuent-ils d’être pris pour cibles et d’être traités en ennemis ? Comment faire cesser ces attaques contre la liberté d'informer ? Faut-il craindre le pire en cette année ? La situation changera-t-elle ?

Ces questions préoccupent le Forum Pamela Howard de Reportages sur les Crises Mondiales du Centre International pour les Journalistes (ICFJ) qui s’est entretenu, jeudi 26 janvier, avec Pauline Adès-Mével de RSF, qui œuvre en faveur de la défense et de la protection des journalistes.

 

 

Voici les six principaux points à retenir de ce webinaire :

Liberté de la presse en danger

Ce qui s’est passé au Cameroun est extrêmement inquiétant. Les adjectifs qu’emploie Pauline Adès-Mével laissent entrevoir que "la situation est épouvantable". C’est un "crime odieux", "un drame", "un grave coup porté à la démocratie et à la liberté de la presse". 

Ce drame, selon elle, témoigne de la détérioration de la situation au Cameroun. En émettant ce constat, elle évoque le souvenir de Samuel Wazizi, un autre journaliste, mort en détention il y a deux ans, après avoir été accusé de terrorisme par les autorités.

Mais ce n’est pas tout. Pauline Adès-Mével se fait aussi l’écho du journaliste Paul Chouta, qui a été laissé pour mort au mois de mars dernier après avoir été passé à tabac par des personnes non identifiées.


"Les mafias et réseaux criminels sont partout"

Le Cameroun n’est pas nécessairement l’état le plus dangereux en Afrique. Malheureusement, il y’a d’autres pays qui sont également touchés et s’illustrent dans un sombre palmarès. Elle suggère de regarder la situation au Rwanda, au Sénégal, au Burundi et en Algérie. Mais précise qu’aujourd’hui :

"c'est le continent américain dans son ensemble, le Mexique, mais aussi le Brésil, la Colombie, l’Haïti et le Honduras, qui s'avère le plus dangereux pour les médias et les journalistes". 

Une liste à laquelle elle ne manque pas d’ajouter l'Irak et la Syrie, convaincue que les mafias, les réseaux criminels et mafieux sont présents partout. Et quand les journalistes enquêtent sur tout ce qui est corrompu, ils opèrent des représailles contre eux.

L’autocensure des journalistes

Quelles conséquences ces représailles peuvent-elles avoir sur les journalistes ? "Elles envoient un effet dissuasif sur eux, parce que ce climat de peur va les conduire à s’autocensurer, à cesser leurs investigations et surtout leurs critiques envers les autorités", a répondu la porte-parole de Reporters Sans Frontières qui, par ailleurs, enseigne le journalisme à l'école de journalisme de Sciences Po à Paris. 

Environ 80 journalistes tués par an

1 668 journalistes ont été tués dans le monde au cours de ces 20 dernières années, soit environ 80 par an, précisément entre 2003 et 2022. Ces chiffres donnent le tournis, s’émeut-elle, tout en rappelant qu’il n’y a pas que des assassinats, il y a aussi des enlèvements.

Partager les informations entre les rédactions 

Le premier conseil lorsqu’un journaliste sent que la situation peut être critique est "d'alerter les organisations internationales, les organisations de la presse, les syndicats de la presse de son pays et protéger son enquête, la partager ou faire en sorte que les données soient accessibles". Cela fait partie des moyens que les journalistes ont aujourd'hui pour protéger le contenu de leur enquête.

Lorsque les informations sont partagées entre les rédactions, cela montre aux assassins et à ceux qui font pression sur les journalistes que de toute façon, ça ne sert plus à rien de tuer les informateurs, car le messager a déjà transmis son message. Le journaliste doit essayer "de se protéger le plus possible". 

Dans certains États, "on conseille aux journalistes de privilégier l'utilisation de techniques numériques, par exemple du VPN, pour ne pas être repéré et pour pouvoir travailler sans qu'on puisse identifier leur ordinateur et le lieu où ils se trouvent. Il y a plusieurs possibilités du fait qu’aujourd'hui la menace est extrêmement vaste."

De petites bonnes nouvelles

Faut-il craindre le pire pour les journalistes en 2023 ? On ne sait pas ce qui va se passer, estime Adès-Mével, mais "il y a aussi des bonnes nouvelles" rassure-t-elle. 

Elle cite Maria Ressa, la journaliste philippino-américaine qui a été acquittée d’évasion fiscale en janvier. "C’est une énorme victoire, sinon elle aurait été condamnée à 34 ans de prison et son site aurait payé une amende extrêmement conséquente." (ndlr : Maria Ressa doit encore faire face à d'autres accusations, retrouvez ici notre article les détaillant)

"Un autre journaliste du Monténégro a été blanchi la semaine dernière après avoir passé un an et demi en prison pour des faits qu’il n’avait pas commis", affirme-t-elle. Donc, il faut "se tourner vers ces bonnes nouvelles et essayer de penser qu’il y a des solutions".


Photo : Denis Oliveira via Unsplash