Journalistes, comment nous adapter à l’ère de l’IA

24 févr 2023 dans Innovation dans les médias
ChatGPT

Après ChatGPT, le déluge ? Le monde du journalisme se prépare actuellement à subir de plein fouet une transformation majeure, une disruption, annoncée par les récentes avancées de l'intelligence artificielle (IA) et ses résultats plus qu’impressionnants.

Pour comprendre les implications de l'IA sur le métier et explorer comment les journalistes peuvent s'adapter à cette nouvelle ère qui s'annonce, le Forum Pamela Howard de l'ICFJ sur les crises mondiales des journalistes a organisé un webinaire, le jeudi 9 février 2023.

Les échanges ont réuni, avec le modérateur Kossi Balao, deux intervenants :

  • Bruno Guglielminetti, journaliste canadien, chroniqueur spécialiste des nouvelles technologies et des médias numériques,
  • Edith Brou, consultante en communication tech enthousiaste ivoirienne.

Ces derniers ont discuté des perspectives et des défis de l'IA dans le journalisme, notamment le robot conversationnel ChatGPT. Bien que la technologie annonce de nombreux avantages pour le secteur, certaines perspectives plus sombres soulignent également la nécessité pour les journalistes de s'adapter à ces nouvelles technologies pour prospérer, voire survivre. Quelques points saillants de leurs échanges et recommandations ont été condensés en cinq grandes idées.

 

 

L'IA est là pour rester, il faut s'y former

Tous les voyants semblent au vert pour ce nouvel outil. L'IA est là pour rester, indique tout de go Bruno Guglielminetti. Il faudra compter avec cette innovation dans la pratique de tous les jours. "On n'en est qu'aux débuts de l'IA", renchérit Edith Brou,

"Si vous pouvez prendre du temps chaque jour pour apprendre à utiliser ces outils dans votre travail, vous serez déjà en avance".

Alors que des géants comme Google et Baidu se lancent aussi dans la danse, promettant de profondes modifications à venir et un changement d'environnement pour les journalistes et les créateurs de contenu en général, "C'est une menace ? Je ne sais pas. Mais cela va certainement changer la donne et les règles du jeu", ajoute Bruno Guglielminetti.

Ceci étant, on peut déjà s'attendre à ce que des pans entiers de la pratique journalistique soient transformés et automatisés. Les journalistes doivent donc faire face : apprendre, se former à l'IA, la maîtriser et faire siens, autant que possible, ces nouveaux outils.


L'IA comme assistant pour un journaliste "plus productif"
 

En promettant de transformer des pratiques routinières et redondantes du journalisme (comme les comptes-rendus de matchs ou la météo), l'IA se présente tout de même comme un précieux assistant du journaliste qui sait s'en servir.

Des outils comme ChatGPT pourraient non seulement lui permettre d'aller plus vite, (comme par exemple facilement préparer ses interviews), mais aussi se concentrer justement sur l'apport de valeur pour le lecteur. "Prenez le virage plus tôt que plus tard", suggère Bruno Guglielminetti. 

Ceci étant, il ne faudra surtout pas commettre l'erreur de s'appuyer aveuglément sur l'IA. Comme le précise Bruno Guglielminetti, il faut toujours en revenir aux fondamentaux du métier et faire valider l'information avec une seconde recherche pour vérifier les dates, les moments, les chiffres et statistiques. Vérifiez, vérifiez et vérifiez !


Le journalisme de terrain sera mis en valeur

Dans ce monde du tout automatisé, le journaliste de terrain, celui qui va poser des questions, celui qui enquête, celui qui fait de la recherche dans le réel, aura plus d’importance que jamais, suggèrent nos panélistes. 

Dans ce contexte, l'information de terrain, d'actualité sera valorisée et renforcera la position du journaliste. La pratique du journalisme d’investigation devrait trouver plus encore ses lettres de noblesse. Le métier, sur cet aspect, pourrait retrouver un rôle central, en tant que générateur d'information primaire, en tant que contre-discours d’un flux d'informations typé et normé par les algorithmes d'une intelligence artificielle détenue par des organisations privées.

L'IA, parce qu'elle utilise des données erronées pour générer une réponse, peut induire en erreur. À titre d'illustration, ChatGPT et sa "facilité déconcertante" à donner l'impression d'avoir raison, alors qu'il a tort sur un sujet.

Le journaliste, qui vient valider l'information de façon directe, devient donc central et essentiel pour apporter de l'information sourcée et clarifiée.

Le journaliste comme fact-checkeur

Dans la même lignée, l'impératif de valider une information, dans le cadre de l'utilisation de l'IA, va rendre un certain journalisme de fact-checking encore plus important. Par exemple, "l'IA, parce qu'elle utilise des données erronées pour générer une réponse, peut induire en erreur. Le journaliste, qui vient valider l'information de façon directe, devient donc central et essentiel pour apporter de l'information sourcée et clarifiée", indique le journaliste canadien.

Les journalistes formés seront ainsi mis à contribution pour faire face aux deep-fakes, aux manipulations de l'information, à la désinformation et à la mésinformation. Le journaliste aura donc à se former contre la désinformation en s'appuyant sur l'IA... pour déjouer l'IA.

Dans la même veine, Edith Brou suggère pour sa part le besoin de renforcer “l'immunité” des utilisateurs aux manipulations, à travers de l'éducation citoyenne numérique. Une sensibilisation aux défis de la nouvelle ère de l'information, leur montrer les bons côtés et les risques attachés à ces nouveaux outils.


Proposer un journalisme de niche et de qualité

Un levier de prospérité sera sans doute le journalisme de niche. Dans un contexte de digitalisation et d'Intelligence artificielle tous azimuts, le journalisme fondamentalement "humain", avec ses biais et ses inclinations, un journalisme de qualité, appuyant son business model sur les abonnements, par exemple, pourrait se retrouver au cœur de la demande du public. Les deux intervenants suggèrent le développement du journalisme de niche et de qualité, avec ses défis particuliers, dans des contextes comme l'Afrique, comme une forme d'adaptation de la pratique journalistique. Voire même une nouvelle voie vers la prospérité.

Du reste, le marché deviendra plus compétitif, et seuls les journalistes capables d'utiliser ces outils dans leur pratique de tous les jours, pour aller encore plus vite, être plus performants dans leur analyse, plus inventifs dans leurs illustrations, pourront se démarquer.

En conclusion, les intervenants admettent volontiers que la nouvelle technologie va provoquer d'importants remous dans le milieu du journalisme, mais le futur est en pleine recomposition et s'écrit à chaque instant, se nourrit de chaque adaptation collective et individuelle, et de chaque bifurcation du système technologique.

À ce titre, chaque journaliste a tout intérêt à en apprendre davantage, être au fait des innovations dans le domaine, et apprendre à les apprivoiser pour sa mise à jour personnelle. C'est à ce prix seulement, cette nécessaire préparation, que le journaliste de métier saura se tenir au creux de la vague technologique, s'adapter aux disruptions qui s'annoncent. En un mot, se former et s'outiller pour chevaucher le tigre, et pourquoi pas, prospérer dans cette nouvelle ère.