Investir dans la radio publique pourrait résoudre la crise de l’info locale

par Thomas E. Patterson
12 avr 2023 dans Pérennité des médias
Un signe "à l'antenne"

Depuis 2005, plus de 2 500 journaux locaux, pour la plupart des hebdomadaires, ont fermé leurs portes, et d'autres faillites sont en cours.

Les réponses à ce déclin sont multiples : d’inciter des milliardaires à acheter des quotidiens locaux à encourager la création de start-ups média. Mais le nombre de milliardaires intéressés est limité, et de nombreuses start-ups ont eu du mal à générer les revenus et l'audience nécessaires à leur survie.

La crise de l'information locale n'est pas seulement un problème de rédactions fermées et de journalistes licenciés. Il s'agit également d'une crise de la démocratie. Les communautés qui ont perdu leur journal ont constaté une baisse du taux de participation électorale, du sentiment de solidarité entre les membres de la communauté, de la connaissance des affaires locales et de la réactivité des pouvoirs publics.

Les stations de radio publiques locales du pays sont largement oubliées dans les actions visant à sauver l’info locale.

Cet oubli s'explique notamment par le fait que la radio opère dans un espace très encombré. Contrairement à un quotidien local, qui occupe le marché de la presse écrite quasiment à lui seul, les stations de radio publiques locales font face à la concurrence d'autres stations. L’idée largement répandue selon laquelle la radio publique répond aux intérêts des personnes ayant un revenu et un niveau d'éducation supérieurs à la moyenne peut également l'avoir exclue de la conversation.

Mais en tant qu'universitaire qui étudie les médias, je pense que la radio publique locale devrait faire partie des échanges sur la sauvegarde de l'information locale.

 

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Don Farrell/Digital Vision/Getty Images

Les avantages : confiance, prix bas, rayonnement

Il y a plusieurs raisons de penser que la radio publique peut contribuer à combler le manque d'informations locales.

La confiance dans la radiodiffusion publique est supérieure à celle des autres grands organes d'information américains. Par ailleurs, les coûts de production de la radio publique sont relativement bas ; pas aussi bas que ceux d'une start-up numérique, mais bien moins que ceux d'un journal ou d'une chaîne de télévision. De plus, les radios publiques locales sont présentes dans tous les États et touchent 98 % des foyers américains, y compris dans les déserts d'information, c'est-à-dire dans les endroits où il n'y a plus de quotidien aujourd'hui.

Enfin, la radio publique locale n’est plus limitée à la radio. Elle s'est étendue à la production numérique et a le potentiel de grandir davantage.

Pour évaluer le potentiel de la radio publique locale à combler le déficit d'information, j'ai mené une enquête approfondie auprès des 253 stations membres de la National Public Radio.

La principale conclusion de cette étude : la radio publique locale a un problème d’effectifs. Les stations ont un potentiel considérable mais n’ont pas les ressources pour le concrétiser.

Ce n'est pas faute d'intérêt. Plus de 90 % des stations que j'ai interrogées ont déclaré vouloir jouer un rôle plus important pour répondre aux besoins d'information de leur communauté. Comme l'a déclaré l'une des personnes interrogées, "le besoin du type de journalisme que les médias publics peuvent fournir devient de plus en plus évident chaque jour. La volonté de nos rédactions est forte".

Pour jouer un rôle plus important, la plupart des stations doivent étoffer leur équipe éditoriale, dont les effectifs sont insuffisants.

Soixante pour cent des stations locales comptent 10 personnes ou moins dans leur rédaction, et ce, selon une définition large du mot équipe. Les personnes interrogées ont inclus dans ce décompte les reporters radio et numériques, les rédacteurs en chef, les animateurs, les producteurs et autres personnes qui contribuent au contenu de l'information locale et des affaires publiques sous ses diverses formes, ainsi que ceux qui fournissent directement un soutien technique ou autre aux membres de l'équipe. En plus des employés à temps plein, les stations ont été invitées à inclure les employés à temps partiel, étudiants, stagiaires ou pigistes qui contribuent régulièrement au contenu.

Le problème des effectifs est particulièrement prononcé dans les communautés qui ont perdu leur journal ou dans lesquelles les reportages d'information locale ont été fortement réduits. Les personnes interrogées ont jugé que beaucoup de ces communautés avaient un niveau de revenu inférieur à la moyenne, ce qui limite le potentiel de collecte de fonds de la station locale.

Bien que le problème de personnel soit plus prononcé dans les stations situées dans des communautés où les informations locales sont rares, le volume des effectifs de presque toutes les stations est bien inférieur à celuicelle d'un quotidien de taille moyenne.

Le Des Moines Register, par exemple, qui tire à 35 000 exemplaires, a une rédaction de près de 50 personnes ; elle est donc plus grande que 95 % des stations de radio publiques locales.

Quelles limites ?

L'une des conséquences de ce problème de personnel est que la radio publique locale n'est en fait pas si "locale" que cela.

L'enquête a révélé que sur une période de 13 heures, de 6 heures à 19 heures en semaine, la station moyenne ne diffuse que deux heures de programmes d'information produits localement, dont une partie sous forme d'émissions-débats et une autre sous forme de rediffusions. Pour les stations dont l'équipe de journalistes est composée de 10 personnes ou moins, la moyenne quotidienne d'informations produites localement, même en tenant compte des rediffusions, est à peine supérieure à une heure.

Ce n'est là qu'un indicateur des limites d'une rédaction sous-dimensionnée.

Les stations dont l'équipe éditoriale est composée de 10 personnes ou moins, par exemple, sont deux fois moins susceptibles que celles qui en comptent plus de 20 d'avoir un journaliste régulièrement affecté à la couverture des collectivités locales. Certaines stations manquent tellement de personnel qu'elles n'effectuent aucun reportage original, s'en remettant entièrement à d'autres médias, tels que le journal local, pour les informations qu'elles diffusent.

Une petite équipe de journalistes signifie également qu'il est difficile de créer du contenu pour le web, comme l'illustrent les sites web des stations. Les stations dont la rédaction compte 10 personnes ou moins sont deux fois moins susceptibles que celles dont l'équipe compte plus de 10 personnes de présenter des informations locales sur leur page d'accueil. Le site Internet d'une station locale ne peut pas devenir le lieu de prédilection des habitants à la recherche d'informations locales si la station ne fournit pas ces informations à tout moment.

 

 

Lawn signs in different colors advertising local candidates.

Qui couvre les élections locales si le journal de la ville fait faillite ? AP Photo/Ryan J. Foley

Les enjeux pour la démocratie

Avec plus de personnel, les radios publiques locales pourraient contribuer à combler le déficit d'information créé par le déclin des journaux locaux. Elles pourraient se permettre d'affecter un journaliste à plein temps à la couverture du gouvernement local, tels que les conseils municipaux et les conseils d'administration des écoles.

Ce serait toujours un défi pour les stations situées dans des zones rurales comprenant plusieurs communautés, mais les journaux des zones rurales ont toujours été confrontés à ce défi et ont, par le passé, trouvé des moyens de le relever.

Avec l’équipe adéquate, les stations locales pourraient également rendre leur programmation véritablement "locale", ce qui les rendrait plus attractives.

Les programmes créés par NPR, PRX et d'autres fournisseurs de contenu représentent une grande partie de l'attrait des stations locales. Mais elle peut constituer un handicap dans les régions où de nombreux auditeurs potentiels ont des valeurs et des intérêts qui ne sont pas satisfaits par la programmation nationale et où la station n'offre que peu de couverture locale. Comme l'a fait remarquer un répondant, les stations doivent fournir une couverture "qui reflète l'ensemble de leurs communautés".

De combien d'argent les stations locales auraient-elles besoin pour élargir leur couverture ? D'après les estimations de nos répondants et en ciblant le financement sur les communautés qui en ont le plus besoin, il faudrait environ 150 millions de dollars US par an.

Étant donné que ces communautés ont tendance à se trouver dans des zones où les revenus sont inférieurs à la moyenne, le financement devrait provenir en grande partie de sources extérieures. Ce ne sera pas facile, mais c’est nécessaire. Comme l'a fait remarquer Eric Newton de la Knight Foundation, les informations locales donnent aux gens les données dont ils "ont besoin pour gérer leurs communautés et leurs vies".


Thomas E. Patterson, Bradlee Professor of Government and the Press, Harvard Kennedy School

Cet article a été republié à partir du site The Conversation grâce à une licence Creative Commons. Lire l’article original ici.

Photo de Jacob Hodgson sur Unsplash.