En Haïti, ce média s'engage pour l'environnement mais manque de moyens

29 oct 2021 dans Sujets spécialisés
Labadee, Haiti

Haïti Climat est l'unique plateforme médiatique qui se spécialise dans le traitement de sujets et problématiques liés au changement climatique, développement durable et environnement dans le pays. IJNet en français a rencontré pour vous Patrick St-Pré, son directeur exécutif. Il nous présente le projet, les initiatives et défis auxquels il fait face.

IJNet en français : Pourquoi un média consacré à l’environnement, au réchauffement climatique et au développement durable en Haïti ? Cela répond à quelle(s) nécessité(s) ?

Patrick St-Pré (PSP) : Haïti Climat est la première plateforme multimédia haïtienne spécialisée exclusivement dans le traitement et la production de contenus sur les thèmes liés à l’environnement, aux effets du changement climatique et au développement des énergies renouvelables, dans le but de favoriser une meilleure compréhension de leur impact sur l’économie et le développement du pays.

Haïti Climat est la matérialisation de notre volonté de créer et de développer une presse spécialisée en environnement en Haïti. La plateforme Haïti Climat est donc un savant mélange entre médias traditionnels et médias numériques. Elle se compose d’un site internet, d’une chronique dans le journal Le Nouvelliste et d’un magazine radiophonique hebdomadaire (diffusé sur Magik 9).

Quel traitement les médias haïtiens accordent-ils aux problématiques et enjeux liés à l’environnement ? Pourquoi selon vous ?

Les médias haïtiens pour l’heure accordent beaucoup plus d’importance "aux nouvelles qui font vendre". La course à l’audimat oblige, quasiment tout le focus est mis sur ce qui se passe au Palais national, au Parlement, au bureau du Premier ministre alors que les problèmes environnementaux sont plus que jamais réels. Ils existent. Dommage, les informations sur les problèmes environnementaux sont d’ordre conjoncturel et n’attirent guère l’attention des décideurs publiques, et plus particulièrement la population, sur le moyen et le long terme. 

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Qu’est ce qui selon vous explique ce manque d’intérêt des médias et journalistes haïtiens pour la thématique ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce manque d’intérêt à la fois des médias et des journalistes pour la thématique. Premièrement, elle est nouvelle. Tout ce qui est nouveau forcément provoque de la méfiance. Il n’y a pas longtemps qu’on a commencé à parler dans les médias haïtiens du phénomène des changements climatiques. Je crois qu’il faut dans ce cas donner du temps au temps. 

La deuxième explication réside dans le niveau de complexité de cette thématique. C’est pourquoi le paysage médiatique haïtien traite majoritairement des informations en lien avec l’actualité politique et sportive. Il est beaucoup plus simple de commenter un match de foot ou d’appeler un acteur politique pour avoir son commentaire sur la conjoncture sociopolitique. Alors que pour les changements climatiques, le journaliste doit être en mesure d’expliquer à la population pourquoi les périodes de sécheresse ont tendance à se prolonger ou encore le pourquoi des changements constatés au niveau de la saison pluvieuse, etc. 

À quels défis et difficultés a fait face Haïti Climat au cours de ses années d’existence?

Les principales difficultés sont liées essentiellement à une incompréhension de notre travail et aussi à la façon dont le paysage médiatique haïtien est "formaté". Il nous reste à surmonter quelques obstacles majeurs avant d’aboutir à une presse spécialisée en environnement forte, efficace, créative et innovante. C’est la raison pour laquelle nos actions futures ne devraient pas se limiter uniquement à assurer une bonne couverture du champ environnemental sinon à influencer plus d’institutions de la société civile à s’impliquer davantage dans l’éducation environnementale des citoyens et à inciter les journalistes à attribuer une plus large couverture à l’actualité environnementale, au même titre que le sport ou la politique.  

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Qu'en est-il des moyens matériels, économiques et financiers d'Haïti Climat ?

Des difficultés concernent notamment notre modèle économique qui ne s’appuie pour le moment que sur le financement obtenu en répondant à des appels à proposition d’institutions ou de bailleurs nationaux et/ou internationaux. Nous avons aussi des partenariats avec des institutions locales pour des supports en nature comme la mise à disposition gratuite de salles de conférence ou d’espaces de travail. Nous avons aussi développé un plan de parrainage qui permet à des entreprises privées de supporter nos activités sur une base périodique, en échange de promotion de leurs activités sur nos plateformes numériques. 

Quelles sont les perspectives d’avenir liées à Haïti Climat ?

Continuer bien sûr avec le travail de sensibilisation qui ne doit en aucun s’arrêter. Mais force est de constater que le thème changement climatique est de plus en plus présent dans le paysage médiatique, grâce au travail conjoint d’ACLEDD et d’Haïti Climat notamment. De nos jours, il y a de plus en plus de personnes qui se sentent concernées par cette thématique qu’il y a 10, 20 ans. 

Nous voulons continuer à militer pour la cause du climat et faire entendre la voix d’Haïti dans les instances de décision internationales. Sur le court terme, entamer la deuxième édition du Prix de la Médaille Verte qui récompense une action, une initiative d’une organisation, d’une personnalité, de la société civile, d’une entreprise privée, etc.

À terme, instituer un prix reconnaissant les mérites d’un travail (d’une investigation) journalistique dans le domaine de l’environnement et du climat. Et pourquoi ne pas promouvoir la recherche scientifique dans le domaine de l’environnement et du climat à travers la création d’un fonds dédié à cet effet.


Milo Milfort est journaliste d’investigation en Haïti. 

Photo : Labadee, Haiti, par Patrice S Dorsainville, via Unsplash, sous licence CC