COVID-19 : voici nos six propositions de solutions à la crise des médias

par Patrick White
10 août 2020 dans Infos locales
Stands de journaux

La crise des médias en cours, accélérée par le coronavirus, se faisait en réalité déjà sentir depuis plus de 30 ans. Ce n'est pas un phénomène nouveau.

Au début des années 90, les principaux réseaux de radios ont fusionné. Le développement d'Internet et des chaînes d'information privées disponibles sur le câble durant les années qui ont suivi ont changé la donne. Les agences de presse n'avaient plus le dessus puisque le public avait accès aux événements en direct, à tout moment. Les réseaux sociaux, nés dans les années 2000 et 2010, continuent aujourd'hui de transformer le rôle des médias.

La crise des médias est donc une constante. Elle a simplement été amplifiée par le COVID-19. Mais cette pandémie reste un coup particulièrement dur.

Plus de 135 organes de presse canadiens ont fermé depuis mars 2020. En mars et avril, 2 000 licenciements ont été recensés dans tout le pays, selon la Canadian Association of Journalists.

Aux Etats-Unis, 36 000 emplois dans le secteur du journalisme ont été perdus depuis le début de la pandémie, comme l'a indiqué le New York Times en avril. Depuis, Poynter garde un compte régulier de ce chiffre qui ne cesse d'augmenter.

Les raisons de cette crise persistante des médias à travers le monde sont bien connues : une baisse considérable des revenus publicitaires au profit de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, qui se partagent les gains et ne paient que peu, voire pas, d'impôts au Canada. Mais il y a aussi une réticence des médias américains, tout comme au Canada, à s'emparer des opportunités offertes par la technologie. La transformation digitale a été lancée trop tard pour nombre d'entre eux.

 

Woman reading a newspaper on a bench
De nombreux médias, notamment des journaux, se sont lancés dans leur transformation digitale à reculons. (Roman Kraft Zua/Unsplash)

 

La presse a sous-estimé le rôle des smartphones. 94 % des jeunes lecteurs consomment l'actualité sur leur téléphone ou grâce aux réseaux sociaux, selon les dernières recherches du centre CEFRIO, basé au Québec.

Les publics sont également plus éclatés que jamais, avec l'émergence de plus en plus de sources d'information spécialisées, qu'il s'agisse de sports, de finance ou de bien-être, etc.

Cette surabondance a fini par lasser une partie du public, trop submergée par cette avalanche d'informations.

Quelques modèles de réussite émergent

Il y a cependant quelques raisons d'espérer. Au Québec, le Groupe Capitales Médias a fait faillite en 2019, mais ses six quotidiens, qui représentent environ la moitié de l'offre quotidienne de la province, ont pu survivre grâce à leur réorganisation sous forme de coopérative en 2020.

[Lire aussi : Pour ne pas faire faillite, une rédaction québécoise lance sa coopérative]

 

D'autres modèles économiques fonctionnent bien dans le pays, comme celui mis en place par le journal Le Devoir à Montréal, qui s'appuie sur des abonnements payants, de la publicité et des dons. Ce petit journal a lancé son offre avec accès restreint dans les années 90, a revu sa ligne éditoriale pour se concentrer sur la politique, la culture et les problématiques sociales, et a opéré un grand virage numérique. Ils ont enregistré un bénéfice de 1,6 millions de dollars US en 2019.

Y'a-t-il d'autres solutions possibles pour résoudre cette crise au Canada et ailleurs ?

Nos six propositions

  1. L'aide aux médias de 600 millions de dollars US sur cinq ans, promise par le gouvernement fédéral canadien il y a deux ans, se fait encore attendre. C'est une honte. Une aide régionale aux organes de presse, d'un montant de 250 millions de dollars US sur cinq ans, est en cours de distribution au Québec. Les subventions gouvernementales restent essentielles pour le maintien de la démocratie et la lutte contre les déserts d'information.
  2. Monétisation des contenus : les médias locaux n'ont d'autre choix que de mettre en place des accès restreints à leurs articles et signer des accords peau de chagrin avec Apple News, Facebook et Google News pour obtenir une meilleure répartition des revenus. Les médias doivent aussi embarquer avec eux des donateurs philanthropiques et se servir du crowdfunding pour financer des projets de reportage spécifiques qui bénéficieront directement aux lecteurs.
  3. La diversification de la production est nécessaire. Les contenus doivent être plus variés grâce à des newsletters, des podcasts, des vidéos, des événements et animations de conférences et de la production de contenus pour des marques pour remplacer les revenus publicitaires traditionnels.
  4. Contenu à valeur ajoutée : les médias devraient laisser des agences de presse comme QMI et The Canadian Press s'occuper des actualités chaudes pour se concentrer sur du journalisme long format, des enquêtes, des chroniques, des interviews, des newsletters, des contenus explicatifs, etc. Ceci incitera les médias à comprendre la valeur d'un journalisme basé sur des analyses de données, d'un journalisme d'investigation et de solution. Plus que jamais, les citoyens veulent du contenu réfléchi, avec des informations d'importance et porteur d'espoir.
  5. S'attaquer aux fake news et à la méfiance envers les médias est clef. Il faut être actif dans la lutte contre le cynisme général qui domine chez les lecteurs. Cela passe par plus de fact-checking, notamment grâce à l'utilisation de l'intelligence artificielle. Les médias doivent également renouer des liens avec leurs publics, et les jeunes en particulier, en couvrant une plus grande variété de sujets. Dans les classes, nous devons mettre en place des ateliers d'éducation aux médias pour démystifier le métier de journaliste et le travail des médias.
  6. Les rédactions canadiennes, notamment au Québec, manquent cruellement de diversité. Trop peu de journalistes issus de populations racisées ou indigènes y travaillent. Un changement de fond doit avoir lieu au Canada sur ce sujet pour que les médias soient le reflet de la population canadienne et qu'ils couvrent les sujets qui importent à tous les publics.

Un besoin de se réinventer

Il est évident que les médias doivent se réinventer. C'était déjà le cas avant le COVID-19, et c'est d'autant plus pressant aujourd'hui.

Mais la situation n'est pas désespérée. Le trafic sur les sites d'actualité a beaucoup augmenté depuis le début de la pandémie mais il est mal monétisé.

Les organes de presse doivent aller là où sont les lecteurs : sur leurs téléphones. Les sites d'actualité doivent avoir un design plus ergonomique. Le succès de l'appli myFT app du Financial Times est un exemple à suivre dans ce domaine.

Nous espérons également que des alliances et des collaborations pourront naître entre différents médias locaux à travers le pays, soit pour partager des contenus ou pour nouer des partenariats technologiques. Un pionnier du genre est la Local Journalism Initiative au Canada, lancée via The Canadian Press, qui soutient le journalisme civique et local au sein de communautés défavorisées.

Y'aura-t-il des fusions entre des médias ou d'autres fermetures cette année, ou en 2021 ? Pas moyen de le savoir à l'avance. En attendant, nous pouvons mieux nous servir de la technologie qui existe : l'automatisation pour certains contenus (actualités sports et finance, la traduction) afin de libérer du temps pour que les journalistes se concentrent sur du journalisme à plus forte valeur ajoutée.

Nous n'avons rien à perdre et tout à gagner à travailler main dans la main, ensemble, pour réinventer le journalisme au Canada. Le COVID-19 nous a simplement rappelé d'en faire une priorité.


Patrick White est professeur de journalisme à l'Université du Québec à Montréal (UQAM)

Cet article a été initialement publié dans The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'original.

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