Conseils pour couvrir le terrorisme en Afrique

6 févr 2025 dans Reportage de crise
Soldat derrière une barricade au coucher du soleil

"Cinq pays d'Afrique — le Burkina Faso, le Mali, la Somalie, le Nigéria et le Niger — figurent parmi les 10 premiers pays du classement mondial du terrorisme 2024 de l'Institute for Economics and Peace. Depuis des années, des groupes terroristes meurtriers tels que Boko Haram, Al-Shabaab, Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin et la Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique ont tué, blessé, enlevé et déplacé des millions de personnes sur tout le continent.

Les attaques perpétrées par des organisations extrémistes ont exacerbé les crises humanitaires et répandu l’instabilité, frappant particulièrement la région du Sahel. Les efforts antiterroristes déployés par les gouvernements n’ont pas réussi à endiguer le terrorisme.

Dans ce contexte, la Commission de développement du Nord-Est, une agence chargée de reconstruire la région du nord-est du Nigeria ravagée par le terrorisme, a formé plus de 100 journalistes et professionnels des médias à l’utilisation d’approches non cinétiques pour lutter contre le terrorisme.

Voici cinq façons dont les journalistes peuvent utiliser leurs reportages pour faire la lumière et lutter contre le terrorisme en Afrique.

Dénoncer les terroristes

Les journalistes doivent s’efforcer de révéler les détails qui perturberont, voire paralyseront, les opérations terroristes. “Nous devons démystifier les terroristes. Qui sont ces gens ? Pourquoi bénéficient-ils du soutien de certaines personnes et que veulent-ils ? Comment opèrent-ils ? Comment se procurent-ils des armes ?,” déclare le journaliste sud-africain Beauregard Tromp, organisateur de la Conférence africaine du journalisme d’investigation (AIJC). “Quel degré de complicité reçoivent-ils de la part du gouvernement ? Il est difficile d’imaginer qu’aucun élément corrompu au sein de l’État ne soutienne ces organisations dans leurs activités. Quelle est l’ampleur de leurs opérations ?”

Dans certains pays, des responsables gouvernementaux ont été liés à des groupes terroristes. Le vice-président du Nigeria, Kashim Shettima, par exemple, a été accusé de parrainer Boko Haram. En 2022, l'Agence nationale de renseignement et de sécurité somalienne se serait associée à Al-Shabaab pour mener un attentat meurtrier dans le centre de la Somalie qui a fait pas moins de 50 morts. 

Les journalistes doivent trouver des réponses aux questions clés ci-dessus et divulguer des faits irréfutables pour établir ces liens avec le gouvernement. 

Couvrir les causes profondes

Pour couvrir le terrorisme, les journalistes doivent dresser un tableau clair de ses causes profondes afin d’inciter les gouvernements et les organisations non gouvernementales à s’attaquer au problème. La pauvreté, la corruption, le chômage et la mauvaise gouvernance figurent parmi les principales causes du terrorisme en Afrique.

Ermias Mulugeta, journaliste d’investigation éthiopien qui a interviewé des survivants des attaques terroristes d’Al-Shabaab en Somalie, a exhorté les journalistes à analyser de manière approfondie les causes sous-jacentes des activités terroristes au profit de leur public. “Les journalistes ne devraient pas se contenter de rapporter l’incident, mais en décrire la cause profonde afin que les décideurs politiques sachent quel pourrait être le facteur déterminant de ce terrorisme,” déclare M. Mulugeta.

Les journalistes doivent également rester impartiaux dans leur couverture des événements. “Les journalistes doivent avoir une approche globale dans leurs reportages. Les victimes, le gouvernement et les terroristes doivent être réunis pour réaliser un reportage complet, en recommandant des solutions aux facteurs causaux,” déclare le journaliste burundais Desire Nimubona.

Tenir les autorités pour responsables

Les médias, en tant que quatrième pouvoir, doivent jouer un rôle de surveillance et, en dénonçant les lacunes des efforts de lutte contre le terrorisme, les journalistes peuvent inciter les autorités à mieux agir. 

“Les contributions des journalistes aident non seulement à demander des comptes aux autorités, mais favorisent également la résilience sociétale et une gouvernance axée sur les solutions,” a déclaré Kehinde Adegboyega, directeur exécutif du Human Rights Journalists Network.

Il est important de noter que certains journalistes n’ont pas la liberté de demander des comptes au gouvernement. Par exemple, le journaliste camerounais Peter Kum a fait remarquer que le gouvernement de son pays menace les journalistes s’ils publient des informations inexactes sur les activités de Boko Haram dans le pays. “Le gouvernement vous met sous pression pour que vous relayiez son discours,” affirme M. Kum.

M. Tromp met également en garde contre les risques pour la sécurité des journalistes qui couvrent l’affaire. “Faire des reportages dans ce genre de zones est particulièrement dangereux, et bien sûr, même les journalistes qui ont été enlevés, certains d’entre eux ont été tués alors qu’ils essayaient de raconter l’histoire,” déclare-t-il.

Vérifier toutes les informations

Il n’est pas rare que des organisations terroristes diffusent de fausses informations qui suscitent la peur chez les gens et entravent les efforts des forces de sécurité pour les débusquer. Les journalistes ont la responsabilité cruciale de vérifier l’exactitude des photos, des statistiques, des déclarations et des vidéos auxquelles ils font référence dans leurs reportages.

“Les groupes terroristes prospèrent en utilisant la propagande, la désinformation et les discours alarmistes pour recruter des adeptes et déstabiliser les communautés,” a déclaré M. Adegboyega. “En produisant des reportages précis, équilibrés et bien documentés qui exposent les mensonges et les tactiques de manipulation de ces groupes, les journalistes peuvent contrer leurs fausses informations.”

La vérification des faits devrait également s’étendre aux informations diffusées par le gouvernement.

 

Donner une voix aux victimes et survivants du terrorisme

Les journalistes devraient raconter les histoires des victimes et des survivants des attentats terroristes avec empathie et profondeur, en attirant l’attention sur leurs souffrances. Cela peut contribuer à obtenir le soutien des personnes et des communautés touchées.

Toutefois, il est essentiel d’éviter toute forme de sensationnalisme qui pourrait involontairement amplifier la notoriété des terroristes et alimenter un climat de peur.

“Après une attaque, les journalistes devraient se rendre dans les villages touchés et interviewer les victimes,” souligne M. Tromp. “Elles pourront ainsi exprimer leurs attentes et expliquer comment le gouvernement peut relever le défi.”

 


Photo de AMISOM via Iwaria.