Comment les journalistes argentins se servent des réseaux sociaux pour parler d’économie

16 déc 2022 dans Médias sociaux
Drapeau argentin

Pour les étrangers comme pour les locaux, l'économie argentine est extrêmement compliquée à comprendre.

Cela va au-delà de la hausse constante des prix qui a mis le pays sur la voie d'atteindre un taux d'inflation annuel de 100 % d'ici à la fin de 2022, et des fréquents changements de politique que le gouvernement annonce pour tenter de juguler la crise.

D'une manière ou d'une autre, les Argentins doivent aussi faire le tri dans un large éventail de taux de change, à savoir le taux officiel et ses taxes, le marché parallèle et une pléthore d'autres taux en fonction du secteur industriel.

Pour les journalistes, il n'est pas facile non plus d'expliquer cette économie déroutante. Certains se sont toutefois tournés vers les réseaux sociaux pour créer des explications rapides et attrayantes sur ce qui se passe. Pour ce faire, ils utilisent différents formats : des stories Instagram, de courtes vidéos sur TikTok et des chaînes YouTube, entre autres.

Si vous envisagez également vous servir des réseaux sociaux pour expliquer l'économie ou d'autres sujets d'actualité dans votre pays, voici quelques conseils et mises en garde à prendre en compte.

Le journalisme, différemment

Estefanía Pozzo, journaliste argentine spécialisée dans l'économie et la finance, comprend que la communication est un écosystème en constante évolution. Les plateformes, dit-elle, "changent la façon dont les gens obtiennent et consomment l'information". Non seulement tout est immédiat sur les réseaux sociaux, mais ces sites "répondent à de nombreux besoins différents en même temps : information, opinion, analyse et débat", explique-t-elle. "Des communautés et des référentiels peuvent être créés, et ceux-ci permettent de raconter des histoires plus personnelles."

Comparé au fait de lancer son propre média, créer des contenus sur les réseaux sociaux nécessite une infrastructure beaucoup plus simple. "Si vous avez un téléphone portable avec une connexion Internet et un appareil photo, vous pouvez commencer à communiquer. Mais ce n'est pas facile et tout ne peut pas toucher un public de masse", prévient l'économiste et journaliste Candelaria Botto.

Pour Mme Botto, utiliser les réseaux sociaux pour expliquer l'économie complexe de l'Argentine est venu naturellement. "Je fais partie d'une génération qui a grandi en utilisant MSN messenger, Fotolog, Facebook, donc cela m'a toujours semblé naturel", dit-elle. Mme Botto a décidé de partager ses connaissances dans un espace qu'elle connaissait déjà. Elle a commencé avec Twitter.

La journaliste économique Sofía Terrile s'est tournée vers les réseaux sociaux à cause de son travail à la télévision. "Beaucoup de gens ont commencé à suivre mes comptes personnels et j'ai voulu les professionnaliser. Je me suis rendue compte que je pouvais m'adresser à un public qui me suivait déjà à la télévision, un public intéressé par les sujets économiques", raconte-t-elle.

Un cadre plus rapide et direct

Sur les réseaux sociaux, votre travail dépend de vous. Vous pouvez travailler plus rapidement et débattre de sujets tout en interagissant avec d'autres personnes, explique Mme Pozzo. Elle est présente sur Twitter et Instagram, et a lancé sa propre chaîne sur YouTube, la plateforme qu'elle trouve la plus intéressante. La journaliste estime que tous ces formats sont puissants et accessibles. Il est important, selon elle, d'y privilégier la qualité de l'information tout en produisant des récits engageants.

 

 

Les réseaux sociaux ont donné à Mme Botto une plus grande liberté, non seulement sur le plan éditorial, mais aussi dans la grande variété de formats qu'elle peut exploiter pour s'exprimer et atteindre les gens. "Il y a les messages directs, les commentaires, les réponses. Je peux savoir ce qui intéresse mes abonnés dans l'économie argentine", se réjouit-elle.

Mme Botto avait pour habitude de s’exprimer sur Twitter avec un ton plus critique et interrogatif, bien que son taux d’engagement soit faible sur cette plateforme. Elle la trouvait plus conflictuelle, basée sur un format binaire : un côté contre l’autre. "De ce point de vue, Instagram est plus convivial", dit-elle.

La journaliste a commencé à créer de longues vidéos sous le label "Candesplaining", une approche de YouTube, mais sur Instagram. Lorsque la plateforme appartenant à Meta a abandonné le format IGTV, elle a dû de changer de stratégie. Elle a créé "Cande al rescate" (Cande à la rescousse, en espagnol) en utilisant le sticker “Questions” de l'application. "J'ai aussi essayé les Reels, mais expliquer [tout] en une minute et demie est difficile", précise-t-elle.

N'ayez pas peur d'innover : Mme Botto souligne que les plateformes sont dynamiques et que ce que les utilisateurs consomment change au fil du temps. "Je me mets à leur place et je me dis que peut-être ils se lassent du format. Il faut être capable de s'adapter", insiste-t-elle.

Les formats des réseaux sociaux exigent un contenu plus rapide et plus court, remarque Mme Terrile. Elle utilise un langage simple, en s’attelant à capter l'attention du public avec une accroche brève.

 

@sofiterrile Dólar, dólar, dólar 🇦🇷 Apostemos: cuál es el que sigue? 🧞‍♀️ #tiktokteinforma #tiktokargentina #noticias #argentina ♬ Sunroof - Nicky Youre & dazy

 

Pour apprendre les outils de base, Mme Terrile recommande de commencer par un outil de montage vidéo : "CapCut est très facile à utiliser." Elle conseille également d'utiliser Canva pour créer des modèles de titres.

Des retours pour mieux orienter vos reportages

Les réseaux sociaux permettent d’obtenir des retours directs, ce qui n'est pas toujours le cas si vous travaillez dans la presse écrite ou à la télévision. En analysant les questions de leurs abonnés, les journalistes peuvent se faire une idée de leurs besoins en matière d'information. Il s'agit de données très utiles, affirme Mme Botto.

Les questions les plus fréquentes portent sur le dollar américain (toujours un sujet important pour les Argentins), l'inflation, les impôts et les prix de l'électricité. Certains veulent également mieux comprendre le produit intérieur brut.

Mmes Terrile et Botto reçoivent également des questions sur les investissements personnels. Elles essaient de ne pas répondre à ces questions, car elles dépassent leurs compétences. L’engouement pour ce sujet, cependant, peut devenir plus tard une occasion de s'associer à d'autres influenceurs et de rayonner davantage.

Mme Pozzo, quant à elle, a compilé les réponses aux questions qu'elle a reçues sur l'économie et la finance dans son récent livre Es la economía, vos no sos estúpida ("C'est l'économie. Tu n'es pas stupide", en espagnol), destiné à favoriser l'autonomie économique des femmes.

Prenez soin de vous

Les retours directs sont une arme à double tranchant. "C'est plutôt positif et c'est génial. Mais les réseaux sociaux sont aussi un empire de la violence. Je suis constamment la cible d'agressions systématiques et massives", déplore Mme Pozzo.

Mme Terrile acquiesce. "Il y a des commentaires très négatifs. Ca fait des ravages parce qu'on a tendance à mesurer son succès et son estime de soi en fonction de ça, et ça ne devrait pas être le cas", dit-elle.

Il est donc important de faire attention à sa santé mentale. Par exemple, surveillez le temps que vous passez sur les réseaux sociaux, conseille Mme Terrile. Les algorithmes favorisent l'engagement constant, il peut donc être tentant d'échanger en permanence avec ses followers. Cela peut devenir incontrôlable.

C'est pourquoi Mme Terrile essaie de réguler le temps qu'elle passe en ligne : "Sinon, c'est sans fin".


Photo d’Angelica Reyes sur Unsplash.