La République Démocratique du Congo, particulièrement les provinces du Kivu et l’Ituri, est dominée par les conflits armés depuis 1998. Parmi les meneurs de troubles, on trouve les rebelles Allied Democratic Forces (ADF) d’origine ougandaise, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), le Mouvement du 23 Mars (M23) et plusieurs autres dizaines de milices armées, qui font la loi sur ce territoire congolais. Dans ce contexte, les civils sont victimes de ces conflits, des experts de l’ONU dénombrent des centaines de morts depuis 20 ans.
Qu’en est-il de la pratique du métier de journaliste dans ce contexte ? On a vu des journalistes se faire tuer, kidnapper, des maisons de presse vandalisées par des rebelles. En mai 2021, un jeune de journaliste de la Radio Communautaire Kichanga était assassiné par huit balles, tiré par des inconnus. La même année, un autre journaliste en pleine étape de récolte des informations était porté disparu en territoire de Beni (Nord-Kivu), jusqu’à présent pas retrouvé (ses habits ont été trouvés après).
Les journalistes sur le chemin des rebelles
Gérard* est le rédacteur en chef d’une radio dans le Nord-Kivu depuis 2019. Dans son expérience, il a été, à maintes reprises, ciblé par des miliciens Mai-Mai et des rebelles qui opèrent dans cette partie. Pour avoir refusé de donner la parole aux rebelles du M23, lui et toute sa famille se sont vus menacés.
"Je venais d’échapper à une menace des rebelles, ils ont exigé que je leur tende mon micro pour exprimer leur idéologie, alors que la loi congolaise interdit de donner la parole aux rebelles", s’exprime-t-il.
Une guerre informationnelle
Dans ces conflits, les groupes rebelles se servent aussi des fausses informations pour créer de la diversion entre les forces de sécurité et les habitants. Cette pratique s’est intensifiée avec l’usage massif des réseaux sociaux. Notre journaliste recommande aux journalistes de s’intéresser aux fact-checking pour mieux couvrir la guerre du Kivu.
"Les rebelles du M23 utilisent une stratégie médiatique, où ils utilisent les mass médias pour créer de la terreur dans la population et parmi les dirigeants pour déstabiliser tout le monde. Ainsi, le journaliste non formé sur cette stratégie tombe souvent dans ce piège et diffuse des rumeurs qui sont sur les plateformes et médias des manipulateurs", ajoute notre source.
"Certaines autorités politico-administratives ne donnent pas le temps aux journalistes de bien vérifier les faits, ils les détournent de la réalité et dictent aux journalistes ce qu’ils peuvent faire. Ceci les conduit à tomber dans la mésinformation, à la longue, le journaliste arrive à perdre sa crédibilité devant la communauté et ainsi à ternir l’image de son média."
Comment les journalistes peuvent-t-ils exercer leur métier en toute sécurité ?
Wema Kennedy est journaliste chercheur en journalisme politique en RDC. Il pense que tout pratiquant du métier est un citoyen, patriote et doit respecter la déontologie et les règles du métier. En même temps, il signale que couvrir un cas de maladie sur un site de déplacés n’est pas pareil que couvrir la guerre elle-même sur le front.
"Le journaliste doit se munir de certains dispositifs pratiques pour couvrir la guerre à l’est de la RDC, tels que les dispositifs psychologiques et matériels (casque, gilet par balle, des chaussures adaptées pour le terrain et d’autres matériels plus légers), cela lui permettra de bien se déplacer sans problème", indique ce journaliste.
L’héroïsme n’est pas un principe journalistique, explique Kennedy. "(Que ce soit) le journaliste en formation ou professionnel, personne ne doit se faire passer pour un héros devant son public. Il doit plutôt laisser le front aux journalistes militaires ou aux journalistes de guerre."
Il se justifie par le fait que le gouvernement congolais ne garantie pas la vie d’un journaliste sur le champ de bataille. "Notre gouvernement n’a pas encore cette rubrique de garantir la vie d’un journaliste qui meurt sur le front, et nos médias n’ont pas cette faculté non plus. Plusieurs de nos journalistes de l’est ont perdu la vie sur la ligne de front dans les zones à conflits et personne n’est venu en aide à leurs familles ni organiser leur deuil", indique Wema Kennedy.
L’armée protège-t-elle les journalistes ?
De son côté, le capitaine Antony Mwalushayi, porte-parole du secteur opérationnel du grand nord, indique que le journaliste est appelé d’informer la population sur l’actualité. "L’armée fait tout son mieux pour protéger le journaliste conformément aux lois et traités internationaux, mais ce n’est pas le cas pour les rebelles, nous sommes dans une zone où nous faisons face aux terroristes, aux groupes armées et locaux [...] Ils pensent que les professionnels des médias ne sont pas avec eux [...]".
La RDC, un pays avec plus de 250 tribus
Ce pays a plus de 250 tribus, et plus de 400 ethnies, mais aussi autant des conflits entre ces familles. Dans ce contexte où certaines communautés ethniques sont en conflit avec d'autres, les médias doivent s'y prendre avec délicatesse afin de d'être source de résolution des conflits.
À cette question, Umbo Salama croit que "le journaliste doit être un élément de référence. Pour ce faire, le citoyen doit avoir des informations confirmées et vérifiées [...]. Face à cette situation, le journaliste doit comprendre le fonctionnement de ces mouvements ethniques : leurs chefs, les structures, les personnes influentes, leur position".
"Le journaliste couvre la crise pour permettre à son public de mieux agir. Il doit donc faire de son mieux pour mieux informer. Il n’est ni porte-parole de l’armée, ni des groupes en conflits. Il est là pour donner l’information. Et doit savoir quand couvrir ces crises et quand diffuser les informations liées à ces crises. Mais aussi, il doit surtout veiller sur sa sécurité", conseille-t-il aux journalistes.
Quel programme dans les écoles de journalisme
Umbo Salama regrette que le programme d’enseignement en journalisme ne se soit pas adapté au contexte des conflits vécu dans l’est de la République. "Ce sont peut-être des formations des journalistes données par des partenaires des médias, où on sent des évolutions avec le journalisme de paix, le journalisme de guerre, la survie du journaliste en zone de conflit, le journalisme d’investigation par hypothèse pour la paix, le journalisme de solution pour la paix, le journalisme sensible au conflit."
Conseils pratiques
Ces conseils pratiques ont été donnés par Umbo Salama, enseignant à l’Université de l’Assomption au Congo :
- Le journaliste doit s’informer suffisamment sur les différents conflits dans cette partie du pays,
- Connaître l’histoire et la genèse de ces conflits, les causes proches et causes lointaines,
- Savoir dissocier les vrais protagonistes des vraies victimes, mais aussi les autres parties prenantes du conflit,
- Avoir un aperçu général sur les textes légaux de la RDC en matière de sécurité des journalistes, des groupes rebelles dans des zones en crise,
- Connaître les textes internationaux sur le respect du droit des journalistes, des humanitaires et la protection des civils,
- Le journaliste doit être psychologiquement, physiquement et matériellement prêt à couvrir les crises,
- Pour bien couvrir cette guerre asymétrique, il faut des formations continues des journalistes.
* Le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité