Selon une enquête de 2022 sur l'état du journalisme de données, plus de trois journalistes sur quatre dans le monde manquent de compétences avancées en reportage à partir de données.
En Afrique, le Media Hack Collective (MHC) s'attaque à cette problématique en équipant les journalistes d'une connaissance pratique des compétences et des outils de data-journalisme. Depuis son lancement en 2020, le MHC a formé plus de 200 journalistes en Afrique du Sud, au Nigeria, au Kenya, au Zimbabwe et en Ouganda.
"Sur le continent, le journalisme de données est relativement peu développé, et si nous pouvons encourager d'autres personnes à essayer d'utiliser les données dans leur reportages grâce à ce que nous faisons, alors nous considérons cela comme un succès", déclare Alastair Otter, co-fondateur du Media Hack Collective (MHC).
Le journalisme de données pendant la pandémie
Frustrés par le manque de journalisme de données sur le continent, M. Otter et sa collègue journaliste Laura Grant ont lancé le Media Hack Collective (MHC) au début de la pandémie de COVID-19. "Nous avions tous deux travaillé dans de grands médias, mais nous n'avions pas eu l'occasion de pratiquer le data-journalismede manière significative. Le MHC était une opportunité de réaliser le travail que nous souhaitions faire", déclare M. Otter.
Alors que la pandémie prenait de l’ampleur, le duo a vu l'opportunité de produire des reportages de données impactants sur l'impact du virus. Ils ont créé un tableau de bord interactif qui suivait les cas de COVID-19 en Afrique du Sud, qu'ils ont ensuite étendu à d'autres pays africains.
"La valeur des compétences en journalisme de données a été mise en avant pendant la pandémie de COVID-19. Nous nous sommes rendu compte que les visualisations que nous partagions aidaient les gens à comprendre comment la pandémie évoluait", déclare M. Otter.
En octobre 2021, le Media Hack Collective (MHC) a organisé une masterclass virtuelle en journalisme de données ainsi qu'une bourse de formation pour les étudiants en journalisme afin de leur enseigner des compétences essentielles en reporting de données. Les participants ont appris à trouver, extraire et analyser des ensembles de données, à produire des reportages basés sur les données, et à utiliser des infographies et des outils de visualisation pour présenter les données. Les boursiers ont également reçu des subventions pour produire des reportages basés sur les données.
"Nous constatons que beaucoup de personnes que nous avons formées font un excellent travail, donc nous avons le sentiment d'avoir eu un impact", ajoute M. Otter.
Développer des compétences en reporting de données
Le volet le plus précieux des formations du Media Hack Collective, selon Mme Grant, réside dans leur capacité à renforcer la capacité des journalistes à lire et comprendre les données.
"Il s'agit de donner aux gens la confiance de savoir que s'ils rencontrent une statistique, comme le taux de réussite scolaire,ils pourront consulter les données originales, ou bien ils pourront explorer les données dans un graphique et trouver une tendance qui peut ajouter du contexte à une histoire", explique Mme Grant. "C'est un processus progressif. Le nombre d'articles et la qualité du récit ne feront que s'améliorer avec le temps."
Le MHC fournit également un soutien technique et éditorial pour aider ses stagiaires à produire des reportages basés sur les données dans leur travail. "Souvent, lorsque les personnes que nous avons formées retournent dans leurs rédactions, elles font partie d'un petit nombre de personnes possédant des compétences en données. Parfois, elles sont les seules", affirme M. Otter. "Les attentes en matière de résultats peuvent être élevées. Produire un reportage basé sur les données peut nécessiter un certain temps, et il y a une pression dans les rédactions pour fournir des articles rapidement. Nous offrons un soutien à nos anciens stagiaires s'ils en ont besoin."
Ainsi, Oge Udegbunam, une stagiaire de la masterclass en 2021 et journaliste au Premium Times, a réussi à produire davantage de reportages basés sur les données dans son domaine d'expertise, l’agriculture. "Cette formation m'a permis de perfectionner mes compétences en analyse de données. Désormais, je suis en mesure de mieux comprendre et interpréter les documents budgétaires, ce qui me permet de rédiger des reportages pour demander des comptes au gouvernement", déclare-t-elle.
La formation du MHC a été "instructive et fondamentale" pour Abiodun Jamiu, l'aidant à utiliser les données pour couvrir les conflits dans la région nord du Nigeria, et à donner une dimension humaine à ses reportages au-delà des chiffres de morts et de victimes. "Personnellement, j'ai compris que les chiffres ont des conséquences. Chaque chiffre représente les moyens de subsistance des gens", dit-il. "Ces chiffres devraient être humanisés et simplifiés de manière à ce que les citoyens puissent s'y identifier et les comprendre pour prendre des décisions éclairées."
En 2021, le MHC a lancé The Outlier, une publication destinée à aider le public à mieux comprendre les actualités grâce au journalisme de données. Cette publication utilise des infographies, des graphiques et d'autres outils de visualisation des données pour raconter des histoires qui ont un impact sur la vie quotidienne des gens, abordant divers sujets tels que la santé, la politique, l'éducation, le changement climatique et l'économie. "Nous avons d'abord mis l'accent sur la production de petits graphiques ciblés quotidiens pour aider les gens à comprendre rapidement les problèmes du jour", déclare M. Otter.
Les défis
Peu de rédactions en Afrique ont les moyens d'envoyer leurs journalistes se former au journalisme de données, déclare M. Otter, ajoutant qu'il est également difficile d'enseigner les complexités du journalisme de données à un grand nombre de journalistes, en particulier en ligne.
Un autre obstacle majeur est l'accès à l'information sur le continent. "En général, le data-journalisme en Afrique est difficile en raison des ressources limitées, mais surtout en raison du très petit nombre de sources de données", explique-t-il.
Pour surmonter ces défis, le MHC a développé un cours introductif gratuit dispensé à travers une série d’e-mails qui permet de familiariser les journalistes avec les bases du journalisme de données. "Nous nous concentrons sur les fondamentaux, afin de pouvoir initier autant de personnes que possible au journalisme de données et leur donner suffisamment de compétences pour commencer à utiliser les données dans leur travail quotidien", souligne M. Otter. "Notre objectif avec cette formation est de valoriser le journalisme de données africain et d'aider d'autres personnes à se lancer dans cet univers."
Photo par MART PRODUCTION.