Brésil : les dangers du reportage en Amazonie

30 juin 2022 dans Liberté de la presse
Forêt Amazonienne

Ils ont fait disparaître Dom. C'est la première pensée qui m'a traversé l'esprit lorsque j'ai appris la disparition du britannique souriant que j'avais rencontré sur la plage de Copacabana en 2018, surfant sur un paddle. Dom Phillips, un reporter expérimenté, était accompagné de Bruno Pereira, l'un des plus grands experts de la région amazonienne, où tous deux ont disparu sans laisser de trace le dimanche 5 juin.

Après quelques coups de téléphone qui ont surtout écarté l'hypothèse d'un accident, un ami m'a dit que des habitants de la région avaient effectué des recherches minutieuses dans les environs. Ils n'ont rien trouvé. C'est alors que la même pensée m'est venue à plusieurs reprises : Ils ont fait disparaître Dom.

Foto dos desaparecidos
L’image partagée largement sur les réseaux sociaux demande : “Où sont Dom Phillips et Bruno Pereira?”

 

Faire des reportages sur l'Amazonie a toujours été une tâche difficile et dangereuse, mais elle est devenue particulièrement mortelle ces dernières années. En 2021, le nombre de décès causés par les conflits dans les communautés locales a augmenté de plus de 1 000 % par rapport à l'année précédente. 80 % des morts violentes dans les zones rurales du Brésil ont lieu dans la région de l'Amazonie légale. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'un tel événement ne se produise.

[Le 15 juin 2022, la police fédérale brésilienne a confirmé que les deux personnes ont été assassinées et que leurs corps ont été retrouvés.]

Il y a trois ans, Dom Phillips a assisté à un événement avec le président Jair Bolsonaro. Il a interrogé Bolsonaro sur la déforestation croissante et inquiétante de l'Amazonie. Il a parlé du démantèlement des forces de l'ordre chargées de protéger l'environnement. Il a commenté les liens criminels entre les fonctionnaires, le ministre de l'environnement et les exploitants forestiers illégaux. Méprisant comme d'habitude, Bolsonaro a déclaré : "La première chose que vous devez savoir est que l'Amazonie appartient au Brésil, elle ne vous appartient pas."

On ne sait pas très bien à qui Bolsonaro faisait référence en disant "vous", mais le fait est que l'Amazonie n'appartient plus au Brésil. Aujourd'hui, alors que les équipes de secours recherchent Bruno et Dom, des zones continentales de la forêt tropicale sont aux mains de pilleurs nationaux et étrangers.

L'Amazonie est aujourd'hui une sorte de territoire anarcho-capitaliste où coexistent des mineurs d'or illégaux, des voleurs de terres, des populations autochtones et des communautés riveraines ignorées par le gouvernement et corrompues par le crime. Les trafiquants de drogue ont pris le contrôle des rivières de l'Amazonie orientale, principalement pour transporter la cocaïne vendue au Nord global. Certaines parties s’apparentent à une véritable dystopie, un Mad Max le long du fleuve, favorisé par le gouvernement.

Bolsonaro n'a jamais caché à quel point il déteste les populations indigènes. Dans le passé, il a dit qu'il était désolé que le Brésil n'ait pas "décimé" sa population indigène comme l'avaient fait les États-Unis. Dès qu'il le peut, il exprime son admiration pour les orpailleurs illégaux. Ce n'est pas un hasard si le père de Bolsonaro, Percy Geraldo Bolsonaro, était un chercheur d'or à Serra Pelada, l'une des plus grandes régions aurifères du monde. Alors que la politique de Bolsonaro ouvre la voie à ceux qui pillent la forêt tropicale, les mots durs sont réservés aux journalistes et aux militants comme Dom et Bruno.

C'est pourquoi la léthargie dont ont fait preuve les équipes de secours dirigées par le gouvernement n'était pas surprenante, et peut être considérée comme le résultat attendu de la situation mortifère dans laquelle le Brésil s'est mis. Lundi, nous savions déjà que le temps était compté pour Bruno et Dom. La réponse de l'armée brésilienne ne pouvait qu'inspirer la haine : dans un communiqué, elle a déclaré qu'elle pouvait commencer à rechercher les deux disparus, mais qu'elle attendait un mandat des autorités.

Le mandat est arrivé tardivement alors même que le gouvernement a menti deux fois. (D'abord, il a déclaré que Bruno et Dom n'avaient dit à personne qu'ils allaient dans la forêt, puis il a affirmé qu'il avait déployé intensivement des hélicoptères pour rechercher les deux hommes, bien que ceux-ci n'aient été vus par personne dans la région). Lorsque le gouvernement a agi, après des jours interminables dans la jungle, il restait peu d’espoir de retrouver les deux hommes vivants.

Bolsonaro et son équipe ont maltraité la presse depuis son entrée en fonction. En 2018, tout en affirmant qu'il défendait la liberté de la presse, sa campagne a activement réprimé cette même liberté de la presse. Pendant ce temps, il créait des fausses informations, et volait les données de téléphones portables pour sa propagande. Le parti du vice-président a financé le plus grand réseau de désinformation du Brésil, qui a ensuite été supprimé par Facebook.

Dom Phillips est l'auteur du livre inachevé Comment pouvons-nous sauver l'Amazonie ?. C'est pourquoi il s'était rendu dans la forêt tropicale. [Quand le sort de Dom n'était pas encore déterminé, j'avais espéré] l’embrasser lors de la dédicace de son livre. Malgré les horreurs que nous vivons en ce moment, ils ne peuvent pas encore nous empêcher de rêver.


Le 15 juin 2022, la police fédérale brésilienne a confirmé que les deux ont été assassinés et que leurs corps ont été retrouvés. Deux suspects ont été arrêtés, et les autorités enquêtent sur les raisons du meurtre.

Photo de Pio Ordozgoith sur Pixabay.