À Hong Kong, les médias indépendants s'adaptent à un environnement qui se durcit

17 janv 2024 dans Liberté de la presse
Femme devant un kiosque à journaux à Hong Kong

Hong Kong a perdu sa réputation antérieure de forteresse de la liberté de la presse dans la région Asie-Pacifique. 

Depuis l'introduction de la loi sur la sécurité nationale (NSL) par Pékin en juillet 2020, des descentes de police ont été perpétrées dans les rédactions, des journalistes ont été appréhendés, et des organes de presse ont dû fermer leurs portes.

Dans ce contexte incertain, Hong Kong Free Press (HKFP) se distingue en tant que seul média indépendant de langue anglaise qui persiste. Fondée par le journaliste Tom Grundy à la suite du mouvement des parapluies en 2014, la rédaction composée de neuf journalistes poursuit sa mission d'information avec prudence.

J'ai eu l'occasion de discuter avec Tom Grundy au sujet de la situation actuelle de la liberté de la presse à Hong Kong. Voici un résumé de ses observations.

La liberté de la presse subsiste-t-elle à Hong Kong ?

Grundy : Bien que le gouvernement de Hong Kong persiste à affirmer que la liberté de la presse demeure inchangée, une simple consultation de la chronologie détaillée sur notre site web révèle une réalité différente. Hong Kong reste tout de même une plaque tournante médiatique avec la présence constante de bureaux internationaux tels que l'AFP, Reuters, AP et la BBC, bien que d'autres aient opté pour Taïwan.

Le journalisme est devenu un métier à risque, comme en témoigne notre expérience à Hong Kong Free Press. Nous sollicitons fréquemment des conseils juridiques et nous faisons notre possible pour prioriser la sécurité dans notre travail.

La loi sur la sécurité nationale a-t-elle un impact sur les médias locaux et les journalistes indépendants ?

Je présume que de nombreux observateurs soulignent la surveillance accrue des médias en langue chinoise, une réalité bien ancrée en Chine continentale depuis plusieurs décennies. 

Un grand nombre de médias sont détenus par des entrepreneurs ayant des intérêts en Chine continentale ou par des conglomérats chinois, qui leur dictent une orientation souvent conservatrice. De nombreux sujets ont été sensibles et notoires pendant longtemps, comme le Tibet, Taiwan ou Tiananmen.

À l'heure actuelle, les tensions sont plus vives à Hong Kong, et les limites ne semblent pas clairement définies ; les "lignes rouges" demeurent floues. Cette ambiguïté peut potentiellement favoriser les autorités, car de nombreux médias et acteurs de la société civile risquent de choisir la précaution extrême.

Ces lignes rouges floues peuvent facilement conduire à l'autocensure, n’est-ce pas?

La mise en avant constante de la loi sur la sécurité nationale (NSL) peut induire un déséquilibre préoccupant, où la préoccupation principale devient la conformité plutôt que le respect des principes traditionnels du journalisme et du code de déontologie. Cette approche risque de conduire à l'autocensure.

L'autocensure peut se manifester de différentes manières, par exemple en traitant certains sujets de manière déséquilibrée, en les ignorant totalement, ou en les reléguant à la page 16 du journal. On ne peut pas savoir ce qu’il se passe exactement au sein d'autres rédactions. Nous n’avons pas d’envie particulière de défier la loi, bien sûr, mais nous continuerons à œuvrer pour la diffusion impartiale de l'information.

Comment vous vous y retrouvez ?

Nous avons dû opérer une sélection plus rigoureuse, mais aucun sujet délicat sur l'actualité locale ne nous est inaccessible. Nous nous accommodons des "lignes rouges" pour diffuser quotidiennement des informations cruciales. 

À l'origine, notre mission consistait principalement à combler le fossé linguistique entre le chinois et l'anglais. Au fil du temps, nous nous sommes professionnalisés et développés. En 2019, nous avons largement retransmis en direct depuis les lignes de front lors des manifestations, une démarche qui se distinguait des autres organes de presse.

Puis, avec l'arrivée de la pandémie de COVID-19 et ultérieurement, la mise en œuvre de la loi sur la sécurité nationale (NSL), notre rôle s'est transformé. Aujourd'hui, nous couvrons les répercussions de ces événements, en mettant particulièrement l'accent sur les développements judiciaires. La disparition de nombreux organes de presse a entraîné la perte de leurs archives. La préservation de nos propres archives revêt une importance cruciale, et une partie intégrante de notre mission consiste, d'une certaine manière, à rédiger la première version de l'histoire en anglais.

Le contrôle des médias est-il un moyen de contrôler également le passé de Hong Kong ?

Il y a quelques jours, le gouvernement a pris la décision de retirer une section entière de l'histoire de Hong Kong de sa rétrospective annuelle, une publication maintenue depuis des décennies. En ce qui concerne des événements tels que les manifestations de 2019, le gouvernement a radicalement modifié sa position sur ce qui s'est réellement déroulé. Actuellement, les autorités affirment même que Hong Kong n'a jamais été une colonie.

Il est impératif que les médias assument leur responsabilité en dénonçant toute information erronée, en se basant sur des faits vérifiés. Nous reconnaissons que cette tâche peut être difficile pour de nombreux médias, mais notre objectif n'est pas de servir de porte-voix aux autorités. 

Quel pourrait être l'impact de la future législation sur les médias à Hong Kong ?

Plus d'une centaine de condamnations ont été rendues en vertu de la loi sur la sécurité nationale (NSL), bien que les autorités aient cherché à en faire un usage mesuré. Ces dernières années, elles ont également eu recours à la loi sur la sédition datant de l'époque coloniale, dont le libellé est plus vague et englobant. Conformément à la loi fondamentale de Hong Kong, la ville est tenue d'élaborer sa propre loi sur la sécurité. Bien qu'une tentative en 2003 ait échoué sous la pression de manifestations massives, certains analystes suggèrent qu'une nouvelle tentative pourrait être entreprise l'année prochaine.

Des rumeurs de propositions de loi sur le financement participatif et une législation sur les "fake news" reviennent de temps en temps. Cependant, lorsque le gouvernement évoque les "fake news", il tend à donner des exemples de civils diffusant des informations sur les réseaux sociaux, une distinction par rapport aux organes de presse. Il y a peu de preuves indiquant que les médias de Hong Kong diffusent délibérément de fausses informations.

Il demeure incertain à quoi ressemblera la nouvelle législation sur la sécurité, et quelles seront ses implications pour nous. Il est probable que les peines soient plus sévères, suscitant des inquiétudes, en particulier dans le milieu médiatique, quant à certains aspects de cette loi à venir.

Vous attendez-vous à subir davantage de pressions à l'avenir ?

Ce qui était autrefois impensable est aujourd'hui devenu monnaie courante. Des sommes considérables d'argent sont en jeu, et des milliers de bureaucrates sont impliqués ; il serait naïf de croire que la situation va se stabiliser. 

Il suffit de regarder les premiers jours de l’ère Xi Jinping en Chine, marqués par la répression de la société civile, des avocats, et la censure d'Internet. On pourrait craindre qu'à Hong Kong, nous ne soyons qu'au début d'un scénario similaire. Je ne suis pas particulièrement optimiste.

Pourquoi restez-vous là ?

Nous avons fait le choix de rester car nous bénéficions encore d'opportunités et de privilèges qui ne sont certainement pas accessibles en Chine continentale. Nous avons la possibilité de nous rendre au parlement, de suivre les audiences des tribunaux, d'assister aux conférences de presse et de poser des questions difficiles aux hauts fonctionnaires, y compris à John Lee, comme je le fais chaque semaine.

Tant que nous pouvons exercer ces activités et trouver des moyens de rapporter l'actualité difficile, même depuis notre position privilégiée de médias de langue anglaise, nous estimons que cela vaut la peine de rester et de maintenir notre présence. Cependant, il se peut qu'un jour arrive où nous devrons remettre en question notre capacité à poursuivre notre travail dans ces conditions.

Notre objectif est de documenter ce qui se passe dans la ville. Sept millions de personnes résident encore à Hong Kong, et un nombre significatif sont à l'étranger et dans la diaspora chinoise. Nous aspirons à témoigner de la transformation d'une ville autrefois ouverte, libre et semi-démocratique vers une situation plus autoritaire. Cela survient malgré les affirmations du gouvernement selon lesquelles la loi sur la sécurité nationale (NSL) est similaire à celles en vigueur à l'étranger et qu'elle a instauré la paix et la stabilité.

Une des raisons pour lesquelles notre existence perdure réside dans notre engagement à ne pas devenir une plateforme de plaidoyer. Nous adoptons une position strictement impartiale, suivons des normes éthiques transparentes en ligne, et divulguons de manière absolue nos financements. Notre unique objectif est de rapporter les faits, laissant ainsi aux lecteurs le pouvoir de décider.

 


Photo de Cheung Yin sur Unsplash.