Voici les trois obstacles pour les médias dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient

Nov 15, 2022 en Liberté de la presse
Marrakech, Maroc, de nuit

Bien que la situation des médias dans la région d’Afrique du Nord et Moyen-Orient (ANMO) varie sensiblement d’un pays à un autre, étant donné les différentes évolutions contextuelles, on est tout de même en mesure d’en dresser un tableau global en tenant compte de trois facteurs : la liberté de la presse, l’environnement législatif et la tendance générale en matière d’accès à l’information.

Liberté de la presse en péril

Les deuxièmes Assises internationales du journalisme qui se sont tenues les 17, 18 et 19 mars 2022 à Tunis ont montré que la situation de la liberté de la presse dans les pays de la région est "calamiteuse".

En effet, selon le classement de Reporters sans frontières (RSF) 2022, les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont parmi les mauvais élèves dans le monde en la matière. Le rapport de RSF parle d’"une régression préoccupante en Afrique du Nord" et d’"un journalisme au péril de sa vie au Moyen-Orient".  

En Afrique du Nord, l’organisation pointe particulièrement du doigt l’Algérie (134e du classement RSF), où "la situation s’est considérablement dégradée en 2021 avec de nombreux journalistes emprisonnés dans le pays, poursuivis en justice ou empêchés de voyager", et le Maroc (135e) "qui maintient en prison trois figures importantes du journalisme en dépit des pressions". Même en Tunisie, qui a reculé dans le classement de la 73e place en 2021 à la 94e en 2022, RSF parle de "graves inquiétudes" qui "sont apparues depuis le coup de force du président Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021, et l’installation de l’état d’exception."

Au Moyen-Orient, "plusieurs journalistes sont tombés dans l’exercice de leurs fonctions ou ont été assassinés de manière délibérée". C’est le cas de Lokman Slim, journaliste et analyste politique libanais, qui a été retrouvé mort près de sa voiture le 4 février 2021 dans le Sud Liban, et de Shireen Abu Akleh, une journaliste palestino-américaine, tuée le 11 mai 2022 par un tir des forces de sécurité israéliennes, selon l'ONU. 

Un environnement législatif défavorable

Le droit d’accès à l'information gagne lentement du terrain sur le plan législatif dans la région ANMO, quoiqu’à des degrés divers. En 2007, la Jordanie est devenue le premier pays arabophone de la région à publier une loi s’y rapportant. Elle a depuis été rejointe par la Tunisie, le Yémen, le Liban, le Maroc et le Soudan. 

Un rapport de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), publié le 3 mai dernier, indique également que treize pays arabes ont adopté des lois pour lutter contre la cybercriminalité : les Emirats arabes unis, le Royaume d’Arabie saoudite, le Soudan, l’Algérie, la Jordanie, Oman, la Syrie, le Bahreïn, le Qatar, le Koweït, la Mauritanie, l’Egypte et la Palestine. 

Soulignant que ces lois, là où elles existent, contiennent des dispositions controversées sur la liberté d'expression et la liberté de la presse, la FIJ enjoint les pays concernés à :

  1. Modifier la législation relative à la cybercriminalité conformément aux normes internationales en matière de droits humains
  2. Eviter les formulations vagues lors de l'adoption de ces législations ;
  3. Limiter les peines à une amende pour les délits liés à la diffamation et ne pas recourir à l'emprisonnement conformément aux normes internationales des droits humains. La FIJ rappelle notamment que les journalistes ne peuvent être emprisonnés en vertu de ces lois ou de toute autre législation.

Concurrence croissante des réseaux sociaux

Dans la région ANMO, les dernières années ont connu un changement radical, consacrant les réseaux sociaux comme une source majeure d'informations. 

Un rapport de 2021 produit par Damian Radcliffe (professeur en journalisme à l’université d’Oregon, Etats-Unis ), en collaboration avec la New Media Academy de Dubaï montre qu'aux alentours de 2015-2016, les réseaux sociaux n'avaient pas une grande influence sur la façon dont les habitants de la région s’informaient. Ces derniers continuaient à consommer des informations en accédant aux médias (journaux, chaînes télé, etc.) traditionnels. C’est vers 2018 que les choses ont commencé à changer, lorsque les personnes ont commencé à s’informer d’abord sur les réseaux sociaux, avant de solliciter d'autres sources en ligne, telles que les agrégateurs et les moteurs de recherche. 

Plus des trois quarts (79 %) des ressortissants de la région, âgés entre 18 à 24 ans déclarent s'informer sur les réseaux sociaux, contre 25% en 2015, affirme le rapport de Damian Radcliffe.

"Cela a de réelles implications pour les médias traditionnels établis, en particulier les journaux, mais aussi, dans une certaine mesure, les informations radiodiffusées qui ont historiquement eu une portée assez importante dans la région, et qui ont commencé à devenir moins importantes pour les jeunes publics âgés de 18 à 24 ans", explique Radcliffe. 

Par ailleurs, cette dépendance croissante vis-à-vis des réseaux sociaux pose également le problème de la désinformation. En réponse à cette menace, plusieurs pays – dont l'Algérie, la Tunisie et le Qatar – ont adopté des lois qui réglementent le contenu des réseaux sociaux et criminalisent les fausses nouvelles. Cependant, les critiques ont souligné que cela étend le contrôle gouvernemental sur des plateformes comme Facebook et Twitter et pourrait être un moyen déguisé pour réduire la liberté d'expression. 


Photo : zoltan-tasi via Unsplash