Nos conseils pour pratiquer le journalisme long format

Jun 3, 2022 en Bases du journalisme
Fleuve Amazone

Le Forum Pamela Howard de l'ICFJ sur le Reportage des Crises Mondiales a été créé pour aider les journalistes à couvrir toutes les plus grandes crises mondiales. Rejoignez-le dès maintenant. Retrouvez ici les anciennes formations, gratuitement.

Le long format n’est pas une nouveauté, mais il fait aujourd’hui de plus en plus d’adeptes dans certains médias en Europe et aux États-Unis.

Johan Weisz, fondateur du site Streetpress (France) et Julien Cadot, directeur des opérations du groupe Humanoid, éditeur de plusieurs médias (France), qui pratiquent ce format, sont venus partager leur expérience avec les participants du Forum Pamela Howard de Reportage sur les Crises Mondiales du Centre International pour les Journalistes (ICFJ).  C’était lors du 87e webinaire organisé le 5 mai dernier par le Forum et modéré par son responsable, Kossi Balao.

 

 

Pourquoi faire un long format ?

Pour expliquer l'intérêt du journalisme long format, Johan Weisz donne en exemple l’expérience de son journal en ligne Streetpress, lancé en 2009 et dont l'un des objectifs est de "recréer la confiance entre le média et les lecteurs". 

Selon M. Weisz, à force de lire ou d’écouter les médias parler d’eux "de manière superficielle ou sans les avoir rencontrés avant", les gens finissent par se méfier des médias. 

Ainsi, en passant plus de temps sur le terrain au contact de leurs publics, les journalistes créent une confiance entre eux et ces derniers. "Avec la proximité et le temps, les populations se racontent et se révèlent davantage au journaliste et lui donnent les éléments d’aller en profondeur des sujets traités", explique Johan Weisz. 

Son confrère Julien Cadot de Numerama (un site du groupe Humanoid, France), précise que selon lui, c’est davantage le temps de l’enquête qui crée la confiance entre le média et les communautés que le format des articles.

C’est pourquoi, selon Julien Cadot, le long format s’adapte mieux à des sujets où le journaliste est plus qu’un simple spectateur. C’est la double situation d’observateur et d’acteur du journaliste qui lui "donne de la matière à raconter et de manière bien plus forte et captivante", estime Julien Cadot.  

Exigences et méthode du long format

Faire du journalisme long format nécessite d’abord un média crédible et indépendant. Les communautés que l’on rencontre ne s’ouvrent pas facilement aux médias mal perçus. 

En termes de guide, Julien Cadot ne trouve pas de "cadre formel" et pas "assez de contraintes" non plus. Toutefois, la difficulté réside dans la capacité du journaliste à organiser son style d’écriture, à condenser sa pensée pour donner les informations qu’il faut. 

En clair, le plan de rédaction et ses différentes parties doivent être bien organisés pour atteindre l’objectif. "Dès le début, il faut que le lecteur sache où est-ce que vous voulez le conduire", insiste-t-il.

Julien Cadot recommande de "s’exercer d’abord dans les formats plus courts, au résumé pour développer ses capacités à synthétiser". Sinon, "il est plus facile de faire un mauvais long format que d’en faire un bon".   

Rédacteur en chef du site Numerama depuis sept ans, Julien Cadot note aussi l’importance d’avoir une capacité à "marketer" ses informations. Contrairement à "une brève, où le marketing porte sur le titre seulement", la valorisation du long format est plus complexe car  "il faut mettre en exergue une information qui se trouve au milieu d’un article de 10 000 à 20 000 signes". 

Le long format autrement

Ce n’est pas le désir de raconter une longue histoire qui doit justifier la nécessité de faire un long format. Pour Johan Weisz, il s'agit plutôt "d’explorer un sujet qui a peut-être été traité ailleurs pour ressortir sa complexité et apporter de la nuance". 

Son confrère, Julien Cadot, ajoute qu’il arrive que d’une simple idée de reportage court au début, en résulte un long format ; parce qu’on aura trouvé plus d’angles que prévu, par exemple.

Dans ce cas, au lieu de condenser la masse d’informations recueillies dans un seul article où le lecteur aurait du mal à se faire une idée claire du sujet, on peut ressortir plusieurs angles et en faire autant de papiers.  

Une enquête bien séquencée peut également aboutir à un format long. Par exemple, "chez Mediapart, on n’écrit pas si long que ça. Mais on sait séquencer et sortir une info à un instant T, parce qu’ils ont suffisamment d’info pour faire un article".

Les limites du long format

Le long format est souvent inaccessible pour un public large parce qu’il demande plus de temps pour lire un article. 

Un autre risque que Julien Cadot fait remarquer, est le fait de savoir où s'arrêter dans le temps. Or, il faut, à un moment donné, s’arrêter pour se dire, qu’on a suffisamment d’information et trancher. 

Avec sept ans d’expérience à Numerama, Julien Cadot s’est rendu compte qu’il faut séquencer la diffusion des histoires pour permettre à un public large de vous lire. "Je dis à mes journalistes, si vous avez une information intéressante au moment des enquêtes, faites la publier. N’attendez pas en avoir cinq pour les noyer dans un format trop long", raconte-t-il.

Réussir un bon long format

Pour réussir un bon long format, Julien Cadot insiste sur trois critères essentiels : la nouveauté, l’intérêt et proposer un angle précis. 

Pour les freelance, il conseille de choisir des médias qui ont l’expérience dans ce type de format et de veiller également à ce que le responsable éditorial soit quelqu’un qui possède une expérience dans le long format. 

Enfin, "il faut être patient et être prêt à réécrire des papiers en entier. C’est une pratique très frustrante avec beaucoup de moment de colère", prévient-il. 


Photo sous licence CC Adam Śmigielski, Unsplash