"Les journalistes haïtiens ne sont contactés par les agences ou médias internationaux qu’en période de crise"

Oct 7, 2022 in Etre freelance
Une personne réfléchit et croise ses mains derrière sa tête

En Haïti, à l’instar de nombreux secteurs, le métier de journaliste est perpétuellement en crise. Durant ces 10 dernières années, le métier est battu de plein fouet par une précarité qui fragilise le quotidien des journalistes. Cependant, malgré cette situation, certains y voient encore une lueur d’espoir, car de plus en plus de jeunes embrassent le métier, alors que d’autres passent le cap de journalistes salariés à journalistes freelance, avant de tirer leur révérence. 

Si le journalisme freelance est devenu depuis le COVID-19, un mode de travail prisé par de nombreux journalistes à travers le monde, en Haïti, c’est un secteur qui peine encore à se développer, voire même est menacé de disparaître. 

"Les opportunités pour les journalistes freelance en Haïti sont minimes, [...] , car il y a très peu de médias locaux qui commandent des piges. C’est une situation qui fragilise économiquement les journalistes indépendants", indique le rédacteur en chef du média d’investigation Enquet’Action, Milo Milfort, qui travaille à son compte depuis plus d’une décennie. 

Fatigués par le chômage et la précarité des médias locaux, nombreux sont les journalistes à se reconvertir en freelance. Un nombre cependant peu exhaustif pour le photojournaliste indépendant et ancien collaborateur de l’AFP, Pierre Michel Jean qui dit avoir dénombré depuis 2015 près d’une vingtaine de journalistes freelance dans le pays. Malgré leur passion pour le métier, il ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins. Plusieurs d’entre eux se retrouvent ainsi piégés entre le chômage déguisé et le choix de l’abandon du métier. 

Depuis deux ans, un bon nombre de journalistes à leur compte ont dû abandonner le métier. "Et cela impacte grandement le secteur", regrette Pierre Michel Jean, membre du collectif de photojournalistes Kolektif 2 Dimansyon (K2D).

Travailler pour un média étranger 

Contrairement aux autres pays où il existe un secteur freelance cadré et organisé, en Haïti, les journalistes avec ce statut sont livrés à eux-mêmes et se divisent en deux groupes. Il y a d’un côté ceux qui sont rattachés à des médias locaux, tout en travaillant en freelance et de l’autre côté, ceux qui évoluent essentiellement en tant que pigistes et qui sont sollicités par des institutions ou des médias et agences internationaux. 

"Généralement, les journalistes haïtiens ne sont contactés par les agences ou médias internationaux qu’en période de crise ou de catastrophe naturelle", regrette Pierre Michel Jean. 

L’une des plus alléchantes opportunités que peuvent avoir les journalistes haïtiens est de travailler pour un média étranger, car en plus d’être un atout pour leur carrière, c’est aussi une occasion pour eux de gagner un peu d’argent. Contrairement aux médias locaux qui paient entre 1 500 gourdes (12,64 euros) et 4 000 gourdes (33 euros) pour une pige, le montant est bien plus attractif avec les médias internationaux qui paient entre 100 à 400 euros par article – soit le salaire mensuel d’un journaliste dans un média local.

Travailler pour un média international ne présente pas que des avantages. Il est difficile pour les journalistes de faire des propositions de pige en dehors des périodes de crise. Certains se retrouvent dans une situation précaire à chaque fois qu’ils doivent aller couvrir un événement. Car les médias étrangers ne leur délivrent pas de carte de presse. Ce qui paralyse parfois leur travail. 

En outre, certains se plaignent du fait de n’avoir aucun contrôle sur leurs œuvres, une fois vendues à l’étranger. 

Un secteur parsemé d’embûches

Les difficultés auxquelles fait face un journaliste freelance en Haïti ne sont pas différentes de celles du métier de journaliste au quotidien. L’accès à l’information demeure l’une des plus grandes difficultés des pigistes. C’est une situation qui fragilise tant le travail des journalistes traditionnels que les journalistes freelance, reconnaît Snayder Pierre-Louis qui collabore avec plusieurs médias internationaux. 

De son côté, Godson Lubrun, président de l’Association haïtienne des médias en ligne (AHML) pense que l’accès à l’information constitue l’un des plus grands combats quotidiens des journalistes haïtiens. 

Certains journalistes comme Woodjerry Mathurin, travaillant pour le média spécialisé Haïti Climat et également freelance, se plaignent de l’absence d’organe de presse délivrant des cartes de presse. Ce qu’il considère comme une barrière pour les journalistes indépendants haïtiens qui, souvent, se voient refuser des interviews ou l’accès à des lieux. Ce qui constitue une limite pour les journalistes qui sont parfois obligés d’abandonner des sujets pour manque d’information.

Par ailleurs, il existe une certaine méfiance de la population haïtienne vis-à-vis des journalistes freelance, qui s’amplifie avec l’explosion des médias en ligne, ce que le journaliste multiprimé Milo Milfort, appelle une "bidonvilisation du secteur des médias". Il croit que cette situation diminue considérablement les opportunités des freelance sur le marché du travail.

Les avantages d’être freelance

Être journaliste pigiste en Haïti ne présente pas seulement des inconvénients.

"Le premier avantage est la liberté qu’il a de traiter des sujets qui lui tiennent à cœur. Des sujets qui ne seront jamais abordés dans un média à cause du temps et de l’argent qu’ils peuvent nécessiter. C’est une occasion pour nous en tant que journaliste, surtout moi qui suis salarié à plein temps dans un média, de pouvoir gagner un peu plus d’argent", soutient Woodjerry Mathurin.

C’est un point de vue partagé par plusieurs autres journalistes contactés dans le cadre de cet article.


Photo : keenan-beasley via Unsplash licence CC