Mortaza Behboudi : détermination, passion et quête de justice

Dec 7, 2021 in Sécurité physique et numérique
Mortaza Behboudi

Mortaza Behboudi est un modèle de résilience. Il n'a même pas 30 ans mais sa vie et son travail l’ont emmené au quatre coins du monde. De Wardak, région à trois heures de route de Kaboul, dans son Afghanistan natal, à Ispahan en Iran, où sa famille se réfugie pour fuir les talibans au milieu des années 1990. Étudiant, il ira en Inde se former au journalisme de guerre, discipline qui le fera travailler dans plus de 35 pays. 

En 2015, il arrive en France depuis l’Afghanistan, après avoir demandé sans succès l’asile dans de nombreux pays, lorsqu’une enquête sur le marché de l’opium fait de lui une cible du régime. Le voilà réfugié de nouveau et sans ressources. Une rencontre avec une bénévole des Restos du Cœur et l'accueil de la Maison des Journalistes lui permettent d’entamer les démarches pour stabiliser sa situation. 

Quelles que soient les difficultés, Mortaza Behboudi est toujours plein de projets, d'idées, alors même qu'aujourd’hui, il travaille en tant que journaliste pour France 2. Retour sur un parcours hors normes.

Une vocation trouvée très tôt

La famille de Mortaza Behboudi quitte l'Afghanistan à cause de la guerre alors qu'il n'a que deux ans. Son père, poète, se retrouve à devoir travailler dans le bâtiment. Témoin des difficultés de cette vie en exil, faite de racisme et d’injustices, M. Behboudi sait qu'il doit trouver un moyen d'aller à l'université pour s’en sortir.

À 15 ans, il découvre la photographie. C’est avec cet outil qu’il fait ses premières armes en tant que reporter en Iran. Il documente la colère des jeunes iraniens pendant la révolution et trouve sa voie. À 17 ans, il retourne dans son pays natal pour poursuivre une licence de sciences politiques à l'Université de Kaboul.

Mortaza Behboudi choisit vite de mettre son talent au service de sujets difficiles : le conflit, le trafic, le déplacement forcé des populations, la guerre. Une bourse l’emmène en Inde pour se former à devenir correspondant de guerre. Plus tard, une fois arrivé en France, il complètera sa formation avec un master de relations internationales et action étrangère à la Sorbonne. Sa vision du journalisme s’approche d’une vision humanitaire. Il cherche à faire entendre ceux qu’on n’entend pas, à mettre en lumière l’humain derrière les statistiques de l’horreur.

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Faire entendre les voix de ceux qu'on ignore

Il se distingue notamment pour sa couverture de la crise migratoire. En 2017, il découvre l’île de Lesbos en Grèce et ses camps de réfugiés. Il y travaille à plusieurs reprises dans les années qui suivent, pour des reportages ou le UNHCR. 

En 2020, alors que la France se confine pour faire face au COVID-19, il décide de rester dans le camp de Moria sur Lesbos où il est déjà. C'est le plus grand camp de réfugiés d’Europe : 22 000 personnes y vivent au début de la crise sanitaire, dont 40 % de mineurs. Il est le seul journaliste à couvrir le camp de l'intérieur pendant cette période.

Lorsqu'il est arrivé début mars, il avait prévu de rester une semaine. Il va y rester six mois entiers. "J’ai commencé à raconter de près le quotidien des gens du camp de Moria", dit-il à Retour aux sources. Il en tire un film, Moria, au-delà de l'enfer, présenté à Cannes. Comme il n'avait pas le droit de filmer dans le camp, une bonne partie des images de l'intérieur ont été prises en caméra cachée avec son iPhone. Il n'a sorti sa caméra qu'en dehors des limites du camp.

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Faire changer les mentalités

"On parle toujours à la place des réfugiés, on ne leur donne jamais la parole. On ne peut pas comprendre l’Afghanistan, la Syrie, la République démocratique du Congo [les trois premières nationalités présentes à Lesbos, NDLR] avec la seule expertise des chercheurs.", a indiqué M. Behboudi à La Croix.

M. Behboudi a à cœur de mieux informer sur les questions d’immigration et d’intégration afin de sortir d'une vision plaçant ces préoccupations dans le domaine de la peur. "Les migrants et les réfugiés sont-ils une crise, où sont-ils pris dans une crise de l’accueil ?" demande-t-il lors d'une interview avec Retour aux sources. "Quand je vois comment les médias parlent des personnes qui ont été déplacées... Il faut montrer que ces personnes peuvent créer de l'emploi, créer un projet," dit-il à IJNet.

Pour son engagement auprès des personnes sans voix, M. Behboudi fait partie en 2019 des personnalités incluses dans la fameuse liste Forbes des “30 under 30”.


NDLR : cet article a été modifié le 17 décembre 2021.

Photo publiée en juin 2021 sur le compte Twitter du journaliste. Derrière Mortaza Behboudi, se trouvent les milices anti-talibans. Crédit photo Fab de Pierrebourg

Sedera Ranaivoarinosy est journaliste, traductrice, créatrice de contenus et formatrice à Paris. Elle est la traductrice d'IJNet en français depuis les débuts de la page francophone en 2020. En 2018, elle a lancé Etsedera, son agence de création de contenus, à destination des “changemakers”, des innovateurs, des entrepreneurs sociaux et culturels.