Le COVID-19, un sujet délaissé par les rédactions ?

Jul 7, 2022 في Couvrir le COVID-19
Une main, un masque

En Afrique et ailleurs, la pandémie déclenchée en 2020 n’est définitivement pas vaincue, cependant, les journalistes et leur média en parlent de moins en moins. Un relâchement qui inquiète certains d’entre eux, ainsi que les spécialistes de la santé.

Le COVID-19, quelques médias camerounais en ont encore parlé, à la suite du communiqué du ministre de la Santé publique datant du 14 juin dernier et instituant 30.000 Fcfa (quelque 60 dollars US) de frais pour le test PCR sur l’ensemble du territoire.

Guy Martial Tchinda, responsable de la rubrique santé-environnement au quotidien à capitaux privés Mutations à Yaoundé, se souvient pourtant que, pendant la pandémie, ce sujet avait ravi la vedette même à la politique, thématique phare de ce journal créé il y a plus de 25 ans.

"Dès les premiers cas de la maladie, nous produisions des dossiers de six pages. Quelques fois, la hiérarchie consacrait l’édition entière au COVID-19. Désormais, ce n’est pas le cas", indique le journaliste. 

Cet engouement s’est estompé dans bon nombre de pays en Afrique. "Alors qu'on craint en Europe une nouvelle vague et qu'on s'interroge sur la fin de la maladie virale, au Togo, le sujet pandémique ne polarise plus constamment l'attention des médias", relève, inquiet, Kossi Balao, journaliste scientifique à Lomé au Togo et président du Réseau des journalistes scientifiques d’Afrique francophone (Rjsaf) (Ndlr : Kossi Balao est également le responsable du Forum francophone de l'ICFJ, l'organisation-mère d'IJNet en français).

En République Démocratique du Congo (RDC), le COVID-19 ne fait plus la Une : "Au début de la pandémie, il y avait chaque jour des informations sur la pandémie. On note quand même quelques médias qui en parlent, avec des séances de sensibilisation sur la vaccination. La plupart reçoivent un financement. C’est clair qu’à cette allure, tout pourra s’arrêter s’il n’y a plus d’argent", renseigne Patrick Kahondwa, journaliste correspondant de Scidevnet en RDC.

Manque d'enthousiasme

Comment expliquer ce manque d’enthousiasme presque généralisé pour une pandémie qui n’a pas jusqu’ici dit son dernier mot ? Guy Martial Tchinda pense que "l’avènement de la pandémie a offert un flot important d’informations aux médias : des scandales autour de la maladie, à la désinformation grandissante contre laquelle il fallait lutter afin de fournir de bons messages à notre public, l’on avait du grain à moudre." Les points presse des autorités sont moins fréquents, voire absents :

"L’information est de moins en moins disponible ces derniers temps. Même les points de presse des autorités sanitaires, au départ quotidiens, ont progressivement changé de périodicité pour disparaître. L’on a sporadiquement des communications", regrette-t-il. 

Malgré la présence d’un espace dédié à la santé et à l’environnement, le coronavirus n’est pas régulièrement évoqué dans son média.

Epidémiologiste, directeur Afrique d’Epicentre, branche de recherche de Médecins sans frontières et enseignant des facultés de médecine au Cameroun et ailleurs, le Pr Yap Boum II, ne manque pas de se soucier de cet état de choses. Pour lui, il faut que le sujet du COVID-19 reprenne sa place dans les médias, parce que nous traversons une période mouvementée qui pourrait replonger de nombreux pays dans le désarroi.

"Il est important de profiter de l’accalmie observée dans les pays africains, comme au Cameroun par exemple, [...] pour éviter de retomber dans de nouvelles vagues. Des pays vers lesquels se déplacent nos populations pour le pèlerinage du Hadj, comptent un nombre des cas important. À côté de cela, il y a des gens qui viennent de l’Occident pour des vacances en Afrique. C’est vrai que le ministère de la Santé publique du Cameroun a renforcé le dispositif de dépistage dans les aéroports, mais les trois prochains mois pourraient être à risque", craint le spécialiste.

Pas assez de formation des journalistes sur le sujet 

Le Pr Yap Boum II invite les journalistes à moins de sensationnel, mais plus d’analyse car s’ils n’en parlent pas, les populations vont se dire que la pandémie est définitivement partie.

Le président du Rjsaf le rejoint, lassé par la faible représentativité de la science dans l’ensemble des médias du continent.

Patrick Kahondwa trouve que le manque de formation dont souffrent plusieurs hommes et femmes des médias est pour beaucoup dans le COVID-19 mort observé. "De nombreux journalistes n'ont pas suffisamment de formation sur la maladie. Très peu ont eu le privilège de se former, même sommairement. Les journalistes ne comprennent pas bien la maladie, encore moins la vaccination. L’on n’a pas beaucoup de journalistes scientifiques ou des médias spécialisés en science. Cela constitue un défi pour la population qui se contente de ce que lui proposent les médias généralistes", analyse-t-il.

Le président du Rjsaf, qui partage cet avis, va plus loin. "Le peu d'intérêt que suscitent les sujets scientifiques a peut être une autre raison. Le COVID-19 est un sujet scientifique. Or, dans les rédactions, il n'y a pas de journalistes embauchés pour couvrir la science. Il n'y a pas de desk scientifique. Dans les colonnes des journaux, la science ne jouit pas du même traitement que la politique, la culture, le sport ou l'économie qui occupent une place plus importante. Elle est loin d'être la priorité", s’indigne Kossi Balao.

Ce dernier précise enfin que "la pandémie a démontré le besoin de journalistes qui maîtrisent les codes de fabrication du savoir et qui sont capables de raconter la science, de la lire et de l'expliquer au public."


Photo : Ailin Luna via Unsplash, licence CC