Médias et désinformation en milieu communautaire au Bénin : quels enjeux ?

Feb 21, 2024 в Infos locales
Bateau sur un canal au Bénin

Lorsqu’on essaye de mettre en débat la part des médias dans un environnement de désinformation, les médias qui font le plus objet d’étude sont parfois ceux à envergure nationale ou internationale. Et pourtant, à la base, le fléau peut prendre des proportions sérieuses. Dans le volume 3 de sa parution N°004 de décembre 2022, la revue Djiboul a montré à suffisance comment une seule fausse information faisant état de la présence de terroristes, a entraîné une « désagrégation de l’ordre social », dans une communauté à la base au Bénin. Cela prouve combien de fois les médias de proximité, qui traitent surtout des faits de la communauté ont toute leur place dans ce sujet préoccupant.

La désinformation à la base

Les communautés à la base au Bénin ont toujours côtoyé la désinformation. Qu’elle prenne la forme de calomnie ou qu’elle ait pour source un sentiment d’inimitié, la désinformation est presque aussi vieille que les communautés. Du moins, elle a un fort ancrage historique. Dans le sud du Bénin, en langue locale Fongbé, le « Kpadjrè » est l’un des répondants utilisés pour la désigner, à en croire Wenceslas Mahoussi, Docteur en Science de l’Information et de la communication. Pour le Directeur de développement du Journal Jupiter implanté dans le milieu communautaire de Drabo, à 15 kilomètres de l’Université d’Abomey-Calavi, « autour du puits, sous l’arbre à palabre, lors des petits regroupements, souvent caractéristiques des communautés à la base, les fausses informations circulent abondamment ». 

Même si le taux de pénétration d’internet reste faible en milieu rural, Jean Tognipko, rédacteur en chef adjoint de Radio FM Ahémé fait remarquer que les réseaux sociaux numériques ainsi que les applications de messagerie, notamment avec « les groupes WhatsApp par exemple », sont des « canaux redoutables » de diffusion de fausses informations. 

Proximité et niveau d’instruction inégal, la désinformation s’émancipe

La proximité entre les humains, caractéristique des milieux communautaires, a pour vertu de renforcer les valeurs telles que la solidarité et la convivialité, mais elle représente un puissant vecteur d’information, fausse ou vraie. Le Dr Mahoussi décèle d’ailleurs à travers ses observations scientifiques que « le bouche-à-oreille », dans les communautés à la base, reste un « amplificateur qu’il ne faut pas négliger ».

Par ailleurs, l’accès à l’instruction dans les zones rurales étant parfois faible, la lecture de journaux, de livres, ou la vérification d’une information avant de la partager, sont parmi les derniers réflexes des populations de ces milieux, comme le fait remarquer le rédacteur en chef de Rafio FM Ahémé. Ce facteur peut faire craindre une présence et une vitesse importante de propagation des fausses informations dans les milieux communautaires.  

Désinformation par les médias communautaires

Les médias communautaires, radios comme télévisions, ou de tout autre type, en plus de traiter de l’actualité du périmètre immédiat, sont aussi un moyen pour certaines populations, de s’abreuver des informations à l’échelle nationale et internationale. En ce sens, il leur revient de redoubler de vigilance pour ne pas concevoir et propager de fausses informations, ou « servir de relai d’informations erronées », prévient le Dr Mahoussi. Cela est d’ailleurs déjà arrivé quand Radio FM Ahémé a diffusé, comme d’autres médias, dès les premières heures du récent coup d’État au Niger, que le Général Salifou Mody avait pris les rênes du pouvoir nigérien. Pourtant, le Général Abdourahamane Tchiani fait office de première autorité au Niger, à ce jour. C’est un acte de désinformation qu’a reconnu Jean Tognikpo, qui pense que cela a pu semer la confusion dans le rang des auditeurs et bousculer la crédibilité de son média, même s’il a « trouvé la manière de rectifier le tir et passer la bonne information ».

Pour contenir la désinformation à la base

Selon une conception commune que déplore Nattivité Yehounme, rédacteur en chef de La Voix de la Lama, radio communautaire basée à Allada au Bénin, « Lorsqu'on parle de radios communautaires, beaucoup pensent que ce sont des médias qui ont du personnel peu qualifié pour faire le travail ». Et pourtant, souligne-t-il, les journalistes des médias communautaires, conscients de la réalité de la désinformation, restent très attachés au « code de déontologie ». Mieux, en plus des formations des différentes organisations, la fédération des radios communautaires accorde beaucoup de prix à la problématique de la désinformation. Elle permet, selon Nattivité Yehoume, aux journalistes d’être « formés sur des techniques radiophoniques et le traitement de l'information communautaire ». La fédération compte à ce jour une quarantaine de radios communautaires et organise au moins deux fois par an, des formations qui regroupent deux journalistes de chaque rédaction.

Pour renforcer tout ceci, l’enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, Wenceslas Mahoussi, suggère que les médias qui s’occupent des informations en communauté renforcent ou installent, si elles n’en ont pas, leurs équipes spécialisées en vérification des faits et rectification des informations erronées, dans les rédactions, des équipes à outiller continuellement afin de garantir l’efficacité. De plus, ces médias gagneraient à créer des réseaux de référents, des personnes basées dans les villages par exemple, qui peuvent vérifier des informations assez rapidement pour optimiser la capacité de vérification des faits de la communauté. 

En matière de désinformation, ce n’est pas la matière à travailler qui manque aux médias communautaires soucieux de rétablir la vérité. 

Cela ne peut se concrétiser sans les populations directement concernées elles-mêmes. Les dégâts de la désinformation peuvent être tout aussi sérieux à l’échelle communautaire qu’à l’échelle nationale ou internationale et il est important de renforcer et d’étendre les programmes d’éducation aux médias et à l’information aux zones rurales, à l’instar des tournées éducatives périodiques de l’Observatoire des Sciences de l’Information et de la Communication. Cela vise à davantage attirer l’attention des populations sur les réalités et à faire d’elles les premiers remparts contre la désinformation.

 


 

Photo de Iwaria Inc. sur Unsplash