Ces obstacles handicapent la pratique du journalisme sensible au genre en Afrique

Mar 10, 2025 em Diversité et inclusion
Femme noire

Des inégalités entre les sexes demeurent une réalité dans les salles de rédaction et dans les médias notamment en Afrique de l’Ouest.

Une nouvelle étude réalisée par Africa Women Journalism Project (AWJP), grâce à un soutien financier de l’International Center for Journalists (ICFJ), révèle une absence de reportages axés sur le genre, une représentation insuffisante des femmes en tant qu’expertes et un manque de femmes dans les rôles décisionnels au sein des médias.

Quatre obstacles majeurs au journalisme sensible au genre

L’étude, menée à travers une combinaison d’enquêtes et de discussions en groupes dans trois pays de l’Afrique de l’Ouest, dont le Sénégal, le Burkina Faso et le Togo, met en exergue quatre obstacles majeurs à l’inclusion dans les médias ou encore dans les productions journalistiques.

Le premier obstacle est lié à l’absence de politiques axées sur le genre. Selon les résultats des enquêtes, la majorité des salles de rédaction de l’étude n’ont pas de politique officielle en matière de rapports tenant compte du genre.

La production et diffusion des contenus journalistiques insuffisamment sensible au genre constitue le deuxième obstacle identifié par l’étude.

« Bien que 62,4 % des salles de rédaction affirment avoir des sections dédiées aux histoires liées au genre, la fréquence des reportages sur le genre est limitée. Au Sénégal, 60 % des salles de rédaction produisent du contenu lié au genre moins de cinq fois par mois, avec des tendances similaires au Burkina Faso et au Togo », précise le rapport de l’étude.

Les difficultés d’accès aux expertes est identifié comme le troisième obstacle. « Un défi important mis en évidence dans la recherche est le fait que les expertes qui sont prêtes à être citées ou interviewées n’ont qu’un accès limité. Les femmes journalistes rapportent que leurs salles de rédaction ont souvent du mal à inclure les femmes comme sources d’expertise, perpétuant le cycle des perspectives dominées par les hommes dans la couverture médiatique », indique l’étude conduite par Abdou Diaw, Docteur en Science de l'Information et de la Communication.

De plus, la faible rémunération et l’accès limité aux ressources nécessaires comme la technologie, la formation et le mentorat par les femmes, constituent le quatrième type d’obstacle à l’émergence d’un journalisme sensible au genre.

« Les femmes gagnent moins que leurs homologues masculins et se voient souvent confier des sujets d'actualité "mous" (par exemple, la culture et le style de vie), ce qui limite leur évolution professionnelle. Les enquêtes et les reportages politiques restent dominés par les hommes », confie Catherine Gicheru, Directrice de l’AWJP.

L’étude indique de même, que malgré leur présence importante dans les salles de rédaction, les femmes occupent rarement des postes de décision. De fait, selon les résultats des enquêtes, les femmes n’occupent que 20 % des postes de direction des salles de rédaction dans les pays d'Afrique francophone étudiés.

« Les résultats de l’étude montre que de nombreuses femmes journalistes déclarent être confrontées à des stéréotypes sexistes, au harcèlement et à l'exclusion des décisions éditoriales importantes. Cet environnement hostile les décourage de briguer des postes de direction », confie Mme Gicheru.

Un appel à l’action

Les résultats de l’étude sont plus qu’un simple recueil de données, c’est un appel à l’action, selon Catherine Gicheru, Directrice de l’AWJP. Responsables des médias, décideurs politiques, acteurs de la société civile et organisations de développement des médias doivent mener des actions en faveur des femmes de médias.

« L’étude nous invite tous à nous engager en faveur d’un changement significatif. En mettant en œuvre les recommandations présentées ici, nous pouvons créer des environnements favorables qui non seulement aideront les femmes journalistes, mais aussi enrichiront notre paysage médiatique dans son ensemble », lance-t-elle.

Dr Abdou Diaw, auteur principal de l’étude, propose des actions à mettre en œuvre par différents acteurs afin de créer un environnement médiatique plus inclusif.

« Les résultats de cette recherche soulignent que l’inégalité entre les sexes dans les salles de rédaction, en particulier dans le domaine des rapports sur les questions de genre, est un problème systémique qui exige une attention immédiate. En mettant en œuvre des politiques éditoriales tenant compte du genre, en offrant une formation ciblée et en renforçant les mesures de responsabilisation, nous pouvons éliminer ces obstacles et donner aux femmes journalistes le pouvoir de prendre la tête de la création d’une couverture médiatique plus inclusive et équitable », a-t-il recommandé à la publication des résultats de l’étude.

De fait, le rapport d’étude propose les recommandations clés suivantes :

  • Adopter des politiques de reporting sur l’équité entre les sexes : Les organisations de médias devraient mettre en œuvre des lignes directrices éditoriales officielles qui donnent la priorité à un reporting sensible au genre et fournir une formation régulière à tout le personnel des salles de rédaction.

  • Augmenter la production de contenu sexospécifique : les médias doivent s’engager à produire des articles plus fréquents et plus approfondis sur le genre afin de contester les stéréotypes et de mieux représenter les expériences des femmes.

  • Promouvoir l’accès aux femmes expertes : les rédactions devraient activement rechercher et prioriser l’accès aux femmes expertes dans divers domaines, en veillant à ce que les différentes perspectives soient représentées dans la couverture et les sources.

  • Soutenir les femmes journalistes sur le plan économique et professionnel : Les médias devraient assurer l’égalité des salaires pour un travail égal et offrir des possibilités de perfectionnement professionnel ciblées, y compris l’accès à la formation, aux programmes de leadership et à la technologie, afin de combler l’écart entre les sexes dans les rédactions.

  • Élaborer et appliquer des politiques de lutte contre le harcèlement : Établir des protocoles clairs pour signaler et traiter les cas de harcèlement sur le lieu de travail, afin de garantir un environnement sûr aux femmes journalistes.

 


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