La pratique du journalisme en Haïti remonte presque à la même période que la lutte pour l’Indépendance nationale. 1794, parution de Gazette de St Domingue, première publication périodique. 1er janvier 1804, proclamation de l’Indépendance. Ce ne fût pas un coup du hasard si le journal concentrait l’éditorial à l’actualité politique de l’époque.
La période d’après-Indépendance a connu une prolifération en termes de périodiques, lit-on dans la monographie du prêtre Adolphe Cabon, publiée en 1919. Pourtant, la politique continuait de mener la danse éditoriale, à part l’actualité littéraire qui y a fait son entrée. La donne a-t-elle changé aujourd’hui ?
Le journalisme scientifique, parent pauvre de la presse haïtienne
À observer de plus près, la tendance se dirige plutôt vers la presse généraliste. Le cas du journal Le Nouvelliste, parmi les plus anciens quotidiens francophones des Amériques, fondé en 1898. S’y ajoutent les autres titres de presse, surtout en ligne, qui peuplent le paysage médiatique haïtien. Mais la presse spécialisée fait toujours défaut, les tentatives pour aboutir au développement de la presse scientifique, par exemple, ont toujours été tuées dans l’œuf.
Plus récemment, en 2014, un groupe de journalistes et professeurs d’université ont tenté en vain le pari de lancer le Collectif haïtien des journalistes scientifiques et d’investigation. "Il y avait de l’espoir que les résultats des travaux de recherches effectuées en Haïti seront mieux connus du grand public, et que la science aurait finalement la cote dans les médias haïtiens", explique Wesner Désir, coordonnateur.
Mais le groupe a buté à un ensemble d’obstacles, parfois oniriques, qui ont flétri sa volonté. "Certains patrons ne tarissaient pas d’éloges à l’égard du collectif, mais n’accepteraient jamais de mettre la main à la poche pour soutenir les travaux de l’équipe."
La science, grand absent du débat public
Une autre pierre d’achoppement serait liée au contexte même de la production scientifique dans le pays. Le récent état des lieux de la recherche au sein des IES (2020) en Haïti montre que le secteur se déploie en dents de scie. Ce constat rejoint la préoccupation de Widlore Mérancourt, éditeur en chef de la plateforme AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post.
"Il n’y a pas assez de recherches [en Haïti, ndlr], mais les quelques chercheurs qui travaillent ne font pas assez d’efforts pour établir une relation avec les journalistes, et le public.", explique-t-il. Malgré la latence du journalisme scientifique dans le pays, Mérancourt pense que certains journalistes arrivent à sortir la tête de l’eau.
"De façon consistante et soutenable, il n’existe pas de journalisme scientifique dans le pays. Mais, il existe, cependant, des productions journalistiques scientifiques sporadiques."
La relève en journalisme et/ou communication scientifique
Comme souligné précédemment, le journalisme scientifique n’est pas un chantier en ruines en Haïti. Certains acteurs s’y mettent, à leur façon et avec les moyens du bord.
Marc-Donald Vincent, doctorant en Sciences de la gestion à l’Institut des Sciences, des Technologies et des Études Avancées d'Haïti (ISTEAH), a lancé le site Le Scientifique en 2017 : "notre désir, c’est de faire connaître la recherche nationale, combler le manque d’informations scientifiques en Haïti."
Mais la nouvelle structure fait déjà face à ses propres démons, comme des menaces de mort provenant des personnes et/ou institutions épinglées dans leurs enquêtes, des difficultés à financer les travaux et le manque de personnel qualifié.
Kareen Seignon, spécialiste en biologie moléculaire de l’Université Smith College, a lancé le laboratoire virtuel TIkalab accompagné d’une chaîne YouTube, en 2019. L’objectif consiste à susciter de l’intérêt pour la science chez les jeunes, plus particulièrement les enfants. Elle plaide pour l’implémentation d’une plateforme nationale de vulgarisation scientifique.
"Cette structure de vulgarisation scientifique permettra de répertorier les institutions et centres qui s’investissent dans la production scientifique de qualité dans le pays et les types de recherche qui s’y effectuent. Ce sera une passerelle entre la science telle qu’elle se pratique en Haïti et le grand public." Elle se voit plutôt comme communicatrice scientifique.
Tout le monde voit la nécessité de développer un pôle de journalisme scientifique en Haïti, reste à identifier celui qui mettra la clochette au chat pour sauver cet oiseau.
Photo d'une vue aérienne en Haïti : Kelly, via Pexels