Le concept de transition juste, tel qu'énoncé dans l'Accord de Paris de 2015, a pris une importance croissante au cours des dernières années. Il décrit une transition juste et équitable d'activités à forte empreinte carbone vers une économie verte. Selon cette vision, la réussite de la transition loin des combustibles fossiles nécessite une approche inclusive, créant des opportunités économiques suffisantes pour les communautés mondiales.
Per Heggenes, directeur général de la Fondation IKEA, a souligné cette notion en affirmant : "La clé du succès dans la lutte contre la crise climatique réside dans une réduction rapide, significative et durable des émissions mondiales. Cependant, un grand nombre de travailleurs et de communautés du Sud dépendent des industries à forte intensité carbone pour leur subsistance". Il a également ajouté que la transition vers les énergies renouvelables ne sera réalisable que si des mesures de soutien appropriées sont mises en place pour aider ces communautés. Dans son initiative philanthropique récente, la Fondation IKEA vise à apporter ce soutien aux travailleurs et aux communautés du Sud affectés par la transition vers les énergies renouvelables. Selon lui, “l'absence de ce soutien essentiel risque d'entraver la capacité et la volonté des pays à adopter les énergies renouvelables”.
May Thazin Aung, experte en changement climatique à l’International Institute for Environment and Development, souligne que bien que les initiatives nationales visant à adopter des sources d'énergie renouvelables puissent être perçues comme une avancée positive, il est essentiel pour les journalistes de se pencher sur la question de l'équité des politiques et pour qui elles sont réellement bénéfiques.
Elle explique : "Jusqu'à présent, la notion de transition juste s'est principalement concentrée sur le secteur de l'énergie, mettant l'accent sur la perte d'emplois liés aux combustibles fossiles, notamment dans des domaines tels que l'exploitation minière. Cela a surtout concerné les pays du Nord du monde développé, qui ont opéré des changements significatifs dans leurs portefeuilles énergétiques en passant d'une dépendance aux combustibles fossiles à une orientation plus axée sur les énergies renouvelables". Elle insiste sur le fait que les perspectives des voix du Sud n'ont pas encore reçu une couverture médiatique adéquate.
Pas de solution standard
Vicky Aridi, responsable de programme pour la Youth Economic Opportunities 2030 Initiative, avertit qu'il n'existe pas de solution universelle pour une transition juste, en particulier dans les pays du Sud, en raison des variations significatives des conditions socio-économiques d'un pays à l'autre.
Elle conseille aux journalistes d'utiliser le Global Green Skills Report de LinkedIn comme une ressource essentielle pour informer dans leurs reportages. Mme Aridi s’est interrogée sur la manière de préparer les jeunes à l'avenir. Elle déclare : "Le rapport [Global Green Skills] met en lumière les compétences diverses dont les jeunes et les parties prenantes ont besoin lorsque nous évoquons une transition juste. C'est une ressource complète qui peut même aider les pays à identifier les compétences nécessaires".
Parmi les autres solutions mises en avant par Mme Aridi, on peut citer le projet du Programme des Nations unies pour l'environnement visant à établir un réseau d'universités axées sur le développement durable, ainsi que l'initiative Green TVET de l'UNESCO. Cette dernière offre des directives aux établissements d'enseignement supérieur et de formation professionnelle pour verdir leurs programmes éducatifs. “De plus, l'exploitation de centres d'accélération à faible émission de carbone dans différents pays offre l'opportunité de collaborer avec de jeunes entrepreneurs et innovateurs, en leur fournissant les compétences nécessaires. Les journalistes peuvent utiliser ces centres comme source d'information précieuse”.
Par ailleurs, Mme Aung a souligné l'importance pour les journalistes de se questionner sur l'impact des politiques environnementales et des mesures de durabilité adoptées par les pays riches sur les nations en développement. Par exemple, un article du Washington Post a enquêté sur le fait que la demande croissante de batteries et de matières premières comme le lithium, nécessaires pour les projets d'énergie renouvelable, est souvent satisfaite par des exploitations minières situées dans des pays du Sud.
En outre, les journalistes devraient étendre leur couverture pour inclure les négociations sur le climat qui se tiennent lors d'événements majeurs, comme les conférences des Nations unies sur le changement climatique. Cette approche permettrait de mieux comprendre l'impact des politiques internationales sur les différents pays. Selon Mme Aridi, "Les journalistes doivent mener des enquêtes pour déterminer qui est touché par ces politiques et qui bénéficiera des sources d'énergie renouvelable à l'échelle nationale et régionale, telles que les fermes solaires, l'hydroélectricité et les avancées dans le domaine de l'énergie verte".
Les voix des jeunes
Lorsqu'ils abordent le sujet de la transition juste, les journalistes doivent accorder une attention particulière à ceux qui seront les plus touchés par le changement climatique, c'est-à-dire les jeunes. Il est crucial pour les journalistes de se pencher sur les initiatives entreprises par les jeunes, notamment dans le domaine de l'entreprenariat.
“Partout dans le monde, de jeunes entrepreneurs se lancent dans des entreprises agricoles axées sur la durabilité climatique, en utilisant des technologies de pointe et en pratiquant l'agroforesterie”, affirme Mme Aridi.
Elle mentionne des exemples d'entreprises dirigées par des jeunes entrepreneurs aux Philippines et au Liban, qui se servent de technologies avancées pour imprimer en 3D des vêtements à partir de matériaux respectueux de l'environnement.
Les perspectives autochtones
Joan Carling, directrice exécutive de l'organisation Indigenous Peoples Rights International, souligne l'importance pour les journalistes de prendre en considération la perspective des populations autochtones lorsqu'ils abordent des sujets liés à une transition juste.
Elle explique : "Il est évident que même si les peuples autochtones ont la plus faible empreinte carbone en raison de leur mode de vie simple, ils se trouvent en première ligne et subissent les conséquences du changement climatique". Joan Carling met également en lumière le fait que ces populations autochtones sont victimes de la transition juste, qui, dans leur contexte, peut être perçue comme une extension de la colonisation. Elle qualifie cette forme de colonisation verte.
Selon les propos de Mme Carling, le colonialisme vert a eu pour conséquence des déplacements forcés, des expulsions, la destruction des systèmes alimentaires et des moyens de subsistance, des atteintes au patrimoine culturel, ainsi que des attaques contre les défenseurs de la terre et de l'environnement.
“Lorsque nous, les membres des communautés autochtones, défendons nos terres contre de telles impositions, nous sommes criminalisés, et de nombreux d'entre nous se retrouvent emprisonnés, voire tués, en raison de leurs actions", souligne-t-elle. “Par ailleurs, cette forme de colonialisme a entraîné une pollution substantielle et une détérioration environnementale significative. Elle a également contribué à l'augmentation de la violence et des abus à l'encontre des femmes, ce qui compromet l'expertise et le rôle des femmes autochtones dans la gestion des ressources.”
En intégrant ces perspectives dans vos reportages, vous pouvez rendre vos rapports plus inclusifs et plaider en faveur de solutions qui prennent en compte les éventuels effets néfastes sur les communautés locales et autochtones
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