Reportage en zone de conflits : conseils de journalistes africains

9 juil 2020 dans Sujets spécialisés
Combat

En Afrique, le métier de reportage en zone de conflits évolue. Pendant des décennies, les actualités des zones en tension en Afrique étaient principalement relayées par des envoyés spéciaux étrangers employés par des médias internationaux.

Les conflits comme l'insurrection de Boko Haram au Nigeria et ses pays limitrophes en Afrique de l'Ouest, la montée d'Al Shabaab en Somalie et la Corne de l'Afrique ou le printemps arabe au Maghreb sont encore d'actualité. Tout comme le mécontentement des Africains face au traitement de ces sujets par les médias internationaux.

Frustrés par les pratiques de reportage des journalistes occidentaux, les journalistes africains ont élaboré de nouvelles manières de raconter l'histoire des conflits sur leur continent et présentent ici leurs conseils pour leurs confrères internationaux.

Obtenir des informations de sources locales

Au lieu de s'appuyer entièrement sur les informations d'organisations humanitaires, des réseaux sociaux ou des militaires, les journalistes doivent se rapprocher davantage des locaux en première ligne des conflits, conseille Abdulaziz Billow Ali, un journaliste freelance somalien dont le travail ces dix dernières années est apparu dans des médias comme Press TV, Voice of America English Service, DW, Radio Netherlands et CGTN Africa.

"Les journalistes étrangers viennent ici et décrivent l'armée nationale somalienne comme une milice désordonnée au lieu de l'appeler 'armée nationale'", explique-t-il. "Les envoyés spéciaux étrangers arrivent et ne voient que les côtés négatifs du fonctionnement de nos armées ou de la réaction des locaux."

Certains codes culturels des conflits en Afrique, comme l'utilisation de symboles locaux comme des animaux morts ou des rubans colorés ornés de cauris, peuvent paraître étranges aux yeux d'un correspondant étranger. Les journalistes doivent creuser localement pour savoir pourquoi ces coutumes existent et les relayer à leurs publics de telle manière à les rendre compréhensibles pour le reste du monde et pour que leur authenticité ne soit pas trahie.

Se rapprocher des communautés locales pour obtenir des informations peut également aider les journalistes à entrer en contact avec des leaders de groupes rebelles, des enfants soldats ou des chefs de groupes terroristes. Leurs témoignages pourront faire comprendre les dessous de ces conflits au grand public.

Etre honnête et vérifier ses informations

Dans la course au gros scoop, les correspondants étrangers doivent faire attention à ne pas déformer les faits pour rendre leurs papiers plus attrayants.

"J'ai vu des sujets contribuer à l'envenimement de conflits et donner des arguments politiques aux terroristes. Par exemple, lorsque les journalistes étrangers parlent de “l'Etat Islamique d'Afrique de l'Ouest" au lieu d'utiliser son vrai nom : l'insurrection de Boko Haram", précise M. Kingimi, un reporter spécialiste de la contre-insurrection dans la zone instable du Nord Est du Nigeria.

"J'ai aussi vu des rapports affirmant que la secte islamique avait capturé de nombreux villages, ou qu'elle avait pris le contrôle du Nord Est du Nigeria, une zone géographique très importante. En vérité, ceci ne se passe que dans de petits villages," ajoute-t-il.

L'amplification d'événements pour des raisons sensationnalistes peut donner de la légitimité et du poids politique à des groupes armés et contribuer à la montée des violences. Le rôle des médias dans la formation de la conscience collective implique que les angles choisis par les journalistes informent la manière dont le public reçoit et comprend l'information. C'est une lourde responsabilité dont il faut avoir conscience.

Pour Hinda Dahir Jama, une journaliste multimédia somalienne, une des erreurs principales des journalistes internationaux qui couvrent la Somalie est de publier des informations non vérifiables sur les conflits. Ils laissent ainsi entendre que le pays est en permanence en guerre, en pleine famine ou en train de commettre des actes condamnables aux yeux des sociétés occidentales. Elle affirme qu'ils le font pour des raisons sensationnalistes et attirer des lecteurs qui trouveront la situation décrite inacceptable.

Mme Jama conseille ainsi aux journalistes de vérifier leurs informations en interrogeant des agences gouvernementales, des analystes d'affaires publiques, des universitaires, des étudiants ou des journalistes locaux.

Choisir une approche par l'humain

Les journalistes couvrant les conflits en Afrique doivent garder en tête qu'il y a, au-delà des difficultés, également des histoires de résilience, d'espoir et de succès à raconter, même dans les zones les plus touchées.

"Il y a tant de projets de développement en Afrique. Tout n'est pas militantisme, ou piraterie. Il n'y a pas que la sécheresse et la famine", explique M. Ali. "Il y a tellement de sujets qui peuvent nourrir ces articles. Il faut sortir des sentiers battus et mettre les locaux au cœur des reportages."

Cherchez des histoires de vie qui se passent dans la zone que vous couvrez. Il y a tant d'initiatives, de start-ups à mettre en avant à la place des gains de groupes terroristes, ajoute-t-il.

Les journalistes font l'impasse sur des points de vue originaux et des récits enrichissants quand ils ne se concentrent que sur la destruction causée par un conflit. Par exemple, au lieu de ne parler que des méfaits de Boko Haram au Nigeria, un reporter pourrait produire un papier sur les relations entre les enfants des camps de réfugiés et les humanitaires et les agents de sécurité qui les aident à gérer leur syndrome de stress post-traumatique.

Faire attention à sa sécurité

"Les journalistes qui couvrent des conflits, notamment les femmes, doivent bien évaluer les risques qu'ils prennent et être extrêmement vigilants lors de leurs reportages", explique Mme Jama, également une défenseuse des droits des femmes. Les correspondants étrangers doivent mettre leur sécurité personnelle au-dessus de tout s'ils travaillent dans des zones de conflits.

Il faut avoir conscience de sa localisation à tout moment, avoir identifié les sorties de secours si nécessaire, et se protéger avec des casques, masques à gaz, gilets pare-balles ou gilets de sauvetage.

Il est prudent d'informer votre rédaction locale ou un collègue de confiance de vos déplacements, et d'avoir des pièces d'identité (passeport ou carte de presse) sur soi en permanence.

D'autres mesures de sécurité à prendre comprennent la consultation de professionnels de santé après avoir été témoin d’événements traumatisants, manger à horaires réguliers pour toujours être en bonne forme physique et mentale et avoir un fixer local pour vous orienter sur place et vous aider à éviter les tentatives d’enlèvement ou les zones à risques de mines antipersonnelles.

Réfléchir à tous les impacts d’un sujet

Le métier de correspondant étranger n’est pas sans conséquences. Même si les journalistes sont rarement directement impactés, leurs reportages peuvent engendrer des changements dans la vie des habitants de la zone de conflit concernée ou des personnes impliquées dans le conflit.

Pour éviter de faire du mal aux sujets de vos reportages, assurez-vous de produire des papiers justes. Ne dénigrez pas les efforts militaires et civils locaux lors d’un conflit simplement pour chasser un prix ou satisfaire l’agenda politique de votre pays d’origine.

Par exemple, les Somaliens qui résident dans des pays comme les États-Unis sont régulièrement victimes de stéréotypes à cause du discours des médias. Ils se sentent exclus dans leur pays d’accueil mais ont parfois peur de retourner en Somalie à cause des messages relayés par la presse. Ces récits peuvent aussi ternir l’image d’un pays auprès de potentiels investisseurs, qui pourraient renoncent à leurs projets de développement, explique M. Ali.

M. Kingimi partage cet avis : "La vérité, c'est que sur le terrain, la plupart des groupes terroristes ont peu de pouvoir, mis à part celui qui leur est donné par les médias. L'amplification du peu de contrôle qu'ils ont peut dissuader les investisseurs étrangers et les touristes de venir au Nigeria."

Un rapport publié par l'assemblée parlementaire sur les médias et le terrorisme au Nigeria en 2015 montre que les terroristes s'appuient sur les images et les messages diffusés par les médias au sujet des attentats et menaces terroristes pour faire grandir la peur au sein de la population. L'omniprésence des médias de masse au niveau mondial gonfle régulièrement les effets des organisations terroristes de manière disproportionnée.

Selon un article de 2018 sur le terrorisme international et les médias, à force de chercher à avoir le scoop le plus juteux et exclusif, les médias font le jeu des terroristes en donnant une perception déformée du problème.

Les correspondants étrangers doivent ainsi évaluer les conséquences potentielles de leurs reportages, en intégrant des statistiques locales et en mentionnant les efforts menés pour résoudre les conflits dans leurs papiers.


Image principale sous licence CC par Unsplash via jean wimmerlin.