L’importance des alliances et réseaux dans la lutte contre la désinformation

21 mars 2024 dans Lutte contre la désinformation
Un emoji lumineux d'un serrage de main

Laurent Bigot, directeur de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT) en France, a entretenu le public sur l’importance des alliances et réseaux pour mieux lutter contre la désinformation dans le cadre du Sommet mondial ‘Empowering the Truth 2024. 

« Il faut penser collectif. On est plus fort collectivement. On obtient tout mieux collectivement. On ne sera pas lésé. On aura plus et mieux », a martelé l’expert formateur, assesseur auprès de l’International Fact-Checking Network (IFCN), qui a en outre passé en revue différentes initiatives d’alliances et de réseaux visant à lutter contre la désinformation pour le moins inspirante. 


L’un des éléments fondamentaux sur lequel l’intervenant a mis beaucoup l’accent, c’est l’importance de discuter et de se donner des règles dans le processus de la mise en réseau. « Le fait de faire émerger des principes ou se référer à des principes existants va de fait inclure ou exclure un certain nombre de partenaires. Il n’y a pas de réseaux qui se font totalement sur une base informelle. Ça ne fait que générer des incompréhensions. Ça n’aboutit à rien », met-il en garde, rappelant que c’est l’une des clés essentielles pour faire travailler ensemble des acteurs qui n’ont généralement pas l’habitude de le faire.

« Faire des réseaux, c’est intéressant, mais faire des réseaux qui ne fonctionnent pas ou qui fonctionnent mal parce que tout le monde n’a pas les mêmes critères de collaboration et de vérification, donc c’est très risqué. Il faut que vos partenaires aient la même éthique, déontologie et méthodologie que vous. Sinon vous risquez de ne pas pouvoir coopérer très longtemps », a souligné l’auteur de l’ouvrage Fact-checking vs fake news : vérifier pour mieux informer paru en 2019.

La mise en réseau rapporte gros !

Aujourd’hui, la concurrence entre médias n’est pas le plus important. La concurrence est beaucoup plus forte entre la sphère médiatique et la sphère de la désinformation. S’unir pour lutter contre cette dernière est devenu plus important que de se prémunir d’une concurrence d’un autre média, affirme Laurent Bigot.

L’alliance, c’est la capacité à faire travailler ensemble des acteurs pour lutter contre un ennemi commun beaucoup plus important que chacun d’entre eux, qui est en train de prendre le pas dans l’esprit des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, rappelle l’intervenant. Il ajoute que la mise en réseau, c’est aussi un moyen d’aller chercher des fonds issus d’un certain nombre de bailleurs cherchant à encourager cette mise en réseau et la possibilité d’avoir des impacts sur les régions concernées en matière de lutte contre la désinformation. 

« Il y a des bailleurs qui n’ont d’autres objectifs que de promouvoir les valeurs démocratiques. Si on est en mesure de présenter la mise en réseau fonctionnelle d’un certain nombre d’acteurs qui en plus ne mélange pas seulement des journalistes, mais des acteurs de la société civile… Cela fait partie largement des projets qui peuvent être accompagnés et aidés », laisse-t-il entendre en soutenant que des instances internationales commencent à affirmer la lutte contre la désinformation comme la priorité mondiale. Donc, les programmes et fonds vont suivre. 

Pour lui ces alliances et réseaux charrient des résultats probants. Retenons quelques uns: des médias gagnant en compétences et en crédibilité ; des coalitions propices à un meilleur journalisme ; des ouvertures plus évidentes vers le grand public et davantage d’audience pour des productions d’intérêt public. 

Des modèles d’alliances inspirants 

Dr Laurent Bigot fait état de différents programmes de collaboration qui ont réuni des acteurs divers et variés qui ont permis, entre autres, de fédérer des rédactions et des journalistes autour de la lutte contre la désinformation. Le premier réseau présenté est CrossCheck, une initiative portée par la plateforme Google en France mettant en relation 118 membres, 33 rédactions nationales et régionales en 2017 lors des présidentielles françaises. Il a abouti à la création d’une plateforme commune où tout le monde peut publier. Une fois posté sur cette plateforme, chaque média peut se réapproprier les contenus. Les journalistes s’entraident pour vérifier des informations. 

La deuxième alliance est FactCheckEU, promu en 2019 par Google et réunissant 19 médias venant de 13 pays parlant 11 langues différentes autour d’un enjeu majeur : les élections européennes. Elle a permis de faire collaborer des rédactions qui n’ont pas forcément l’habitude de le faire. Des partenaires de l’opération peuvent reprendre les articles traduits dans leur propre langue grâce à un processus impliquant la mutualisation du travail de vérification.

La troisième est celle mise en place par la plateforme Meta/Facebook appelée ‘’Third party fact-checking program’’, ou Programme de vérification de l’information par de tierces parties en français. Elle est axée sur la vérification des contenus douteux par des médias de fact-checking rémunérés pour cela par Facebook. Il permet à ces rédactions d’avoir un impact sur la diffusion des fausses nouvelles sur le fameux réseau social. 

La quatrième est le réseau international de Fact-Checking (International Fact-Checking Network ou IFCN) créé en septembre 2015, rattaché au Poynter Institute avec comme objectif de rassembler les initiatives de fact-checking du monde entier, en promouvant les meilleures pratiques et les partages d’expériences. Ce réseau s’est mis d’accord autour d’un code de principe axé sur 31 critères dont le respect par un média est couronné par l’octroi du label IFCN. Il comptait plus de 120 signataires en mars 2024.

La cinquième c’est Factoscope.fr, une plateforme créée par l’EPJT mettant en relation le travail de lutte contre la désinformation de plusieurs médias francophones dans le monde. Elle produit 4 types de ressources : des articles de vérification des faits, des outils technologiques et numériques, de la pédagogie liée à l’éducation aux médias et à l’information (EMI) et des recherches. Ses partenaires sont par exemple, le CFI, l’EPJT, Nothing2Hide, qui est spécialisé dans la sécurité informatique, et l’équipe de recherche PRIM de l’Université de Tours. 

La toute dernière alliance présentée est une initiative citoyenne appelée #StopAtènè, l’équipe qui stoppe les « on dit » et les fausses nouvelles en République centrafricaine (RCA) issue d’une formation organisée par l’EPJT. L’alliance a mis autour de la table des acteurs extrêmement différents les uns des autres dans une formation un peu compliquée à mener, mais qui a permis de faire émerger une nouvelle forme de collaboration et de réseaux. « On a fait entrer dans cette communauté des artistes associés à la lutte contre la désinformation. (...). Un réseau totalement inédit qu’il est important d’essayer de reproduire en d’autres circonstances », termine Laurent Bigot, directeur de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT).

 

 


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