L'environnement, un sujet à risque pour les journalistes au Cameroun

28 févr 2022 dans Sécurité physique et numérique
Un homme prend une photo dans la nature

À cause du dérèglement climatique, l’émergence et la réémergence de certaines maladies, particulièrement des zoonoses (maladies infectieuses des animaux vertébrés transmissibles à l'être humain), le débat sur la préservation de l’environnement a pignon sur rue. Nécessaire donc pour des journalistes environnementaux, de plus en plus nombreux, de diffuser des informations fiables. Sauf que le faire les expose aux menaces de toutes sortes. Des cas se multiplient au Cameroun.

Les reporters surveillés par les autorités 

"Pendant longtemps, les journalistes scientifiques se croyaient à l’abri des dangers encourus par leurs confrères des desks politique, économie ou sport. Mais c’est à leur dépens qu’ils comprennent que le danger rôde partout", explique une journaliste scientifique camerounaise, spécialiste des questions environnementales. Cette dernière voulait travailler en 2021 sur la gestion des forêts communautaires dans une localité appelée "Tête d'éléphant" à l'est du Cameroun, l'une des régions les plus riches en biodiversité du pays. Elle n’est pas allée jusqu’au bout. "J’ai brutalement arrêté ma mission parce qu’interpellée et arrêtée par la gendarmerie, sur ordre du préfet d'un des quatre départements de la région", indique, pour le déplorer, la journaliste. 

Pour le même sujet, un autre journaliste d'une chaîne de télévision privée a été éconduit de la région sur instructions du même préfet. On lui a détruit ses enregistrements.

Jean Charles Biyo’o, journaliste en service à la Radio Tséméni Siantou explique qu'un responsable local lui a lancé : "Mon petit, tu es encore jeune. Je te conseille, en tant qu’aîné, de laisser tomber ce sujet sur les difficultés des populations riveraines de SudCam. [...] J’ai dû partir sans plus réaliser le travail". Il s'était rendu dans la région du Sud pour enquêter sur l’impact environnemental d’une plantation d’hévéa en plein cœur de la forêt, non loin de la réserve de biosphère du Dja, classée patrimoine mondial de l’UNESCO. 

Elias Ngalamé est allé lui aussi dans cette même région avec un confrère américain pour s’intéresser au projet de replantation de l'ébène par une société américaine de production de guitares au Cameroun. Ils ont été chassés par le préfet du coin censé les autoriser à interroger les riverains. "Il a menacé de nous enfermer si nous ne partions pas immédiatement", raconte ce journaliste scientifique, directeur de publication d'Eco Outlook. Eugene Ndi, journaliste environnemental, dit avoir dû abandonner des enquêtes jugées très risquées parce qu’il pense que "rien ne vaut la vie".

Le risque de se faire manipuler reste important

La journaliste scientifique citée plus haut a pu être libérée grâce à la mobilisation des confrères et consœurs sur des réseaux sociaux décriant son interpellation arbitraire tandis qu’Elias Ngalame révèle que : "Nous avons été réadmis à Sangmelima, après que le collègue a signalé l'affaire à l'ambassade des États-Unis au Cameroun".

Seulement, la journaliste n’a jamais entièrement diffusé ses reportages aussi bien ceux de la région de l’Est que ceux réalisés suite aux plaintes des riverains d’une carrière de pierre des nuages, de poussière et fissures dans les maisons à cause des explosions de la dynamite. L’entreprise chinoise qui exploite ladite carrière a rencontré le ministre de l’Industrie des Mines et du Développement technologique et un coup de fil à la rédaction a tout arrêté. Une posture qui décourage certains qui abandonnent ce couloir. Comment continuer à travailler sur les questions environnementales ?

Eugène Messina, journaliste environnemental, chef de chaîne de Radio environnement au Cameroun, par ailleurs président du Réseau des radios communautaires d’Afrique centrale (RERAC), conseille aux journalistes environnementaux professionnalisme et vigilance.

"Il s'agit de se rassurer que l’on tient une information fiable, vérifiée et vérifiable. Il y va de la qualité des sources, et de la nécessaire prudence que l'on doit observer en tous temps. Surtout qu'en général, ce sont des informations extrêmement sensibles. En outre, la vigilance doit être de tous les instants car les luttes d'intérêts peuvent se déporter sur le terrain médiatique. Le journaliste doit donc faire preuve d'une extrême vigilance car il peut facilement être instrumentalisé même sans le savoir", avertit-il.


Photo d'illustration, sous licence CC via Unsplash, Van Mendoza