La liberté de la presse mise à mal en Grèce

30 déc 2022 dans Liberté de la presse
Vue d'Athènes, depuis la colline du Filopappou, Φυλής

“C’est de plus en plus difficile de travailler ici”, constate Marina Rafenberg, journaliste correspondante en Grèce pour le journal français Le Monde et collaboratrice à l’AFP. Installée depuis près de huit ans à Athènes, elle note un changement au cours des dernières années. 

"Depuis 2019, il y a eu un durcissement de la politique migratoire, mais aussi de la façon dont on traite les journalistes qui s’occupent de cette question. Ils [NDLR : les autorités] font beaucoup plus attention à ce que les journalistes étrangers écrivent sur cette question et l’accès à certaines informations est assez difficile."

Poursuites abusives contre des journalistes, violences policières, manque d’indépendance des médias, attaques contre des locaux de médias…, autant de facteurs qui font que la Grèce figure désormais à la dernière place dans l’Union européenne et à la 108e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse, établi par RSF en 2022.

"La situation globale de la presse en Grèce est révoltante", assure le responsable du bureau Union européenne-Balkans de RSF, Pavol Szalai. "Le gouvernement ne prend pas la mesure de la gravité du problème et prend les critiques que nous et d’autres acteurs émettons à la légère ou avec du cynisme."

RSF se dit particulièrement préoccupé par l’assassinat en plein jour du journaliste d’investigation Giorgos Karaïvaz devant son domicile à Athènes en avril 2021 et dont l’enquête fait du surplace. À cela s'ajoutent les récentes révélations d’écoutes téléphoniques de journalistes par les services de renseignements grecs à l’aide du logiciel espion Predator. 

"Depuis l’éclatement de cette affaire, très peu a été fait pour jeter toute la lumière sur cette histoire et rendre justice. Ce gouvernement a raté une occasion d’apporter une meilleure protection des journalistes et d’améliorer la liberté de la presse et des droits des citoyens grecs contre la surveillance arbitraire", déplore Pavol Szalai.

Des pressions indirectes 

"Les médias grecs ont beaucoup perdu de leur indépendance financière et de leur habilité d’avoir une voix indépendante", explique Yannis Palaiologos, journaliste depuis plus de 15 ans notamment au journal grec Kathimerini. Lui aussi dit avoir observé des changements au cours des dernières années, qu’il attribue entre autres à la crise financière. "Les médias grecs sont devenus de plus en plus dépendants des partis politiques ou à l’État et beaucoup plus réticents à critiquer le gouvernement, quel qu’il soit."

La Grèce a aussi adopté en 2021, une loi sur les “fake news”, punissant de quelques mois de prison jusqu’à cinq ans, la diffusion de toute information causant "de l’inquiétude ou de la peur parmi les citoyens" ou "troublant la confiance publique envers l’économie nationale, les capacités de défense ou la santé publique". Les propriétaires et les directeurs des médias sont également passibles des mêmes peines.

Difficile d’en évaluer l’impact, mais selon RSF, cette loi aurait eu comme conséquence de développer de l’autocensure. "Quand il y a cette menace de prison ferme, les journalistes peuvent s’autocensurer", explique Pavol Szalai.

Certains sujets sont aussi plus sensibles que d’autres. La question migratoire, qui fait souvent les manchettes en Grèce, en est un exemple. La journaliste Marina Rafenberg nous raconte que lors d’un reportage à la frontière gréco-turque en juin dernier, elle et d’autres journalistes se sont fait arrêter pendant plusieurs heures, le temps que les autorités vérifient s’ils se trouvaient dans une zone militaire ou non. "Clairement, elles le savaient sûrement, mais de nous garder trois ou quatre heures, c’était pour nous intimider et nous dire de ne pas recommencer", croit-elle.

Marina Rafenberg rappelle que le travail de journaliste sur le terrain est particulièrement important dans cette zone, où des réfugiés arrivent et peuvent être victimes de pushbacks. "Forcément tu as aussi envie de faire ton travail et d’aller sur le terrain pour voir ce qui se passe."

Inquiétudes en vue des prochaines élections 

Les Grecs seront appelés aux urnes dans les prochains mois, alors que le premier ministre conservateur, Kyriakos Mitsotakis tentera de se faire réélire. RSF redoute "des attaques et un environnement défavorable au droit à l’information". Les pressions sur les journalistes pourraient s’accentuer durant cette période électorale, même si elles existent déjà. 

"Quand on écrit un article qui ne plaît pas au gouvernement, il peut y avoir des coups fil de conseillers de ministres ou du premier ministre, pour bien nous faire comprendre qu’ils ont vu qu’on a publié cet article et que ça ne leur a pas plus (…) Ces coups fils, c’est aussi pour nous dire on voit bien ce que vous écrivez et attention parce que peut-être vous aurez moins bien accès à certaines sources maintenant", explique Marina Rafenberg.

Yannis Palaiologos remarque qu’il est facile de s'offusquer d'un article écrit par un journaliste en Grèce et de le traîner en justice et ce même si ce que le journaliste a écrit est vrai. Il redoute lui aussi une période toxique à l’approche des élections. 

"Je pense que la pression du gouvernement qui existe déjà sur certains médias pro-gouvernementaux va s’accentuer, pour qu’ils soient silencieux sur les erreurs et très vocal sur les succès des quatre dernières années", conclut-il. 


Photo : Allan Rohmer via Unsplash