Au Kenya, l’homophobie généralisée a fait que les problèmes rencontrés par les communautés LGBTQ+ sont largement sous-estimés.
Depuis les milliers d’adolescents qui ont subi des humiliations, des traumatismes et des abus résultant de “thérapies de conversion”— des pratiques discréditées prétendant faussement changer l’orientation sexuelle d’une personne — jusqu’aux couples de même sexe qui ne peuvent pas adopter d’enfants ou qui ont du mal à conserver la garde de leur enfant en raison de barrières systémiques dans le système judiciaire, les défis rencontrés par les personnes LGBTQ+ au Kenya sont rarement couverts par les médias traditionnels par crainte d’une réaction négative du public et des politiciens.
Cela n'a pas arrêté Tracy Bonareri, qui a tendu l'oreille là où d'autres détournaient la leur.
Vérificatrice des faits chez Africa Uncensored, les reportages de Mme Bonareri ont mis en lumière les luttes des personnes LGBTQ+ dans son pays, les campagnes de désinformation ciblant les journalistes et la législation, ainsi que les défis juridiques qui ont un impact sur les personnes marginalisées.
Faites la connaissance de Tracy Bonareri, élue journaliste du mois par IJNet.
Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour le journalisme ?
Quand j’avais six ans, je me suis assise avec mon père pour regarder les informations pour la première fois. Les présentatrices ce jour-là étaient Beatrice Marshall et Njoroge Mwaura [de KTN News]. Je les ai regardées pendant une heure et, même si je n’avais aucune idée de ce qu’impliquait réellement leur travail ni de la façon d’y parvenir, j’étais certaine à la fin du bulletin que c’était ce que je voulais faire quand je serai grande.
Décrivez votre parcours professionnel. Comment avez-vous rejoint Africa Uncensored ?
J'ai rejoint Africa Uncensored en tant que stagiaire en 2022, lors de ma dernière année à l'université KCA. Finalement, j'ai été embauchée comme vérificatrice de faits, un rôle que je continue d'occuper aujourd'hui.
Mes objectifs de carrière incluent l’amplification des voix des communautés marginalisées et la lutte contre les violations des droits humains. Je m’engage à lutter contre la désinformation et la mésinformation pour garantir que le public ait accès à des informations exactes et vérifiées et, fondamentalement, à faire pression pour que les responsables rendent des comptes.
Quand avez-vous commencé à couvrir les questions LGBTQ+ ?
Au départ, je ne me concentrais pas sur les reportages sur la communauté LGBTQ+. Mais cela a changé après avoir participé à une formation sur les reportages sur la santé et les droits sexuels et reproductifs, où j'ai écouté des membres de la communauté LGBTQ+ partager leurs expériences de violations des droits humains en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Étant donné mon intérêt pour les reportages sur les droits humains, j'ai décidé de commencer à couvrir ces questions.
Je crois que chacun, quel que soit son sexe, sa race ou son âge, doit voir ses droits humains protégés, et je souhaite refléter cela dans mon travail.
Cela n'a pas été facile. Trouver des données fiables et des sources prêtes à parler est un défi, car beaucoup craignent pour leur sécurité, après avoir vu d'autres personnes subir des violences, parfois de la part de leur propre famille, pour avoir fait leur coming out. Un autre défi réside dans la nature bouleversante de certaines expériences partagées. Les récits d'abus sont parfois si atroces qu'il faut du temps pour s'en remettre, tant ils peuvent vous bouleverser profondément.
De quelles histoires êtes-vous le plus fière ?
Plus tôt cette année, j'ai travaillé sur un reportage révélant une campagne de désinformation numérique coordonnée visant l'un des principaux médias du Kenya, le Nation Media Group. Ce média avait révélé la mauvaise qualité des services fournis par le gouvernement, ce qui a incité des acteurs malveillants en ligne à lancer une campagne de diffamation accusant la publication d'utiliser de l'encre cancérigène pour imprimer ses journaux. L'objectif était de détourner l'attention du public de l'exposé.
Mon enquête a révélé les comptes de réseaux sociaux derrière la campagne, exposé leurs actions coordonnées et mis en évidence les implications plus larges pour la liberté de la presse au Kenya.
J'ai également travaillé sur un article sur la thérapie de conversion, en examinant ses effets néfastes sur la santé mentale et en expliquant comment les personnes concernées peuvent demander réparation en justice. Ces deux histoires m'ont valu une nomination aux Global Free Press Awards dans la catégorie Newcomer of the Year (Espoir de l’année).
Comment IJNet a-t-il soutenu votre travail ?
Les organisations qui soutiennent les journalistes dans ce domaine facilitent la couverture des questions relatives aux droits humains, et cela me donne de l’espoir. IJNet m’a beaucoup soutenue dans mon travail, en m’aidant à trouver des possibilités de financement pour mes reportages. L’histoire de la “thérapie de conversion” qui m’a valu une nomination est venue d’une opportunité que j’y ai trouvée.
Quels conseils donneriez-vous aux journalistes qui couvrent des questions culturellement controversées, comme les communautés LGBTQ+ en Afrique ?
Mon conseil aux journalistes qui traitent de sujets ignorés par les cultures et les gouvernements est de s’informer soigneusement sur le sujet afin de s’assurer que leurs reportages sont à la fois éthiques et factuels, évitant ainsi tout préjudice potentiel. Collaborer avec des organisations de la société civile peut s’avérer précieux pour accéder à des sources et à des documents qui renforceront votre travail.
Il est également essentiel d’établir une relation de confiance avec les sources, car il peut être difficile de trouver des participants disposés à participer à ces reportages. Souvent, une source d’un reportage peut vous mettre en contact avec d’autres. Enfin, donnez la priorité aux soins personnels et trouvez des moyens de décompresser, car ces reportages peuvent avoir des conséquences émotionnelles sur le journaliste.
Photo principale avec l'aimable autorisation de Tracy Bonareri.