Créé fin janvier 2019, l'Algiers Herald est un journal en ligne qui, comme son nom l’indique, a l’Algérie comme centre d’intérêt principal. Cependant, selon ses fondateurs, le journal ambitionne de couvrir toute l’Afrique du Nord : Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie et Egypte. Il se veut un média axé sur le traitement des sujets se rapportant aux violations des droits humains, aux questions liées à la corruption ainsi qu’à la sécurité dans toute la région, notamment les conflits armés et les menaces terroristes.
Dans un premier temps, le journal était exclusivement anglophone. Dans un pays dont le paysage linguistique est dominé par l’arabe, le français et le tamazight –la langue du peuple autochtone d’Afrique du Nord– le choix de l’anglais ne paraissait naturellement pas évident. Or, un nombre croissant de jeunes algérien-ne-s sont connecté-e-s aux médias internationaux de langue anglaise et les fondateurs du journal entendaient capitaliser cet intérêt en lançant le premier journal d’information de langue anglaise en Algérie.
Un "revirement linguistique"
Actuellement, il est plutôt bilingue : français et anglais. Ce "revirement linguistique" a été opéré "pour donner suite à la demande insistante de nombreux lecteurs et lectrices algérien-ne-s dont la première langue est le français, et qui voulaient accéder à notre contenu en cette langue", affirme Yacine Bouatrous, le rédacteur en chef du journal. Il ajoute : "cela n’a pas été facile pour nous d’abandonner l’usage exclusif de l’anglais, d’autant plus que cela a été l’une des marques de fabrique de notre journal. Cependant, le réalisme a fini par avoir raison."
Au niveau du contenu, le journal semble privilégier un traitement distancié de l’information, notamment avec des articles d’opinion, des analyses ainsi que des podcasts. Les points d’actualité immédiate sont le plus souvent traités sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter. Le journal alterne entre un focus national (Algérie) et un focus régional (Afrique du Nord).
Le lancement du Algiers Herald a coïncidé avec le début d’un mouvement de contestation populaire sans précédent en Algérie, et ce, fin février 2019. Appelé communément "le Hirak", ce mouvement a imprimé son sceau sur tous les médias algériens et l'Algiers Herald n’a pas échappé à cela. Cela est d’autant plus vrai que cette dynamique de contestation a vu l’émergence des journaux en ligne comme acteurs médiatiques majeurs, capables de s’adapter et d’être présents là où les médias classiques ont eu du mal à se faire accepter.
Rapidement, l’équipe du journal est embarquée par l’actualité immédiate et s’est retrouvée à couvrir les marches et manifestations quasi-quotidiennes des citoyens, réclamant le départ de l’ex-président, Abdelaziz Bouteflika. A chaque fois, la clef de voûte de cette couverture était les vendredis où des millions de personnes investissaient la rue pacifiquement dans la majorité des villes algériennes. "Nous nous inscrivons dans une démarche de journalisme citoyen. C’est donc tout naturellement que nous couvrons toutes les manifestations citoyennes qui se déroulent en Algérie ou dans la région", affirme Yacine Bouatrous.
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La grande difficulté pour un journal très jeune comme l'Algiers Herald était de trouver des sources d’information fiables dans de divers coins d’un pays avec un immense territoire. Elle l’est également dans son positionnement au sein paysage hétéroclite et incertain de la presse électronique en Algérie.
En effet, de l’avis de nombreux observateurs, la presse électronique y manque d’une clarté juridique à même d’assurer son développement et de permettre aux journalistes y travaillant d’accomplir leur mission en toute sécurité. La loi du 12 janvier 2012 relative à l’information qui régit la profession, bien qu’elle mentionne la presse électronique à plusieurs reprises, ne fait aucune mention de l’identité professionnelle et juridique des journalistes qui exercent leur métier sur la toile. Plusieurs journalistes et blogueurs ont d’ailleurs été poursuivis par la justice, voire même emprisonnés, pour leur activité via les supports numériques.
Un travail gracieusement fourni par ses contributeurs
La presse électronique en Algérie peine aussi à trouver un modèle économique qui lui sied le mieux dans un écosystème qui tarde à intégrer le numérique et à s’approprier les opportunités énormes qu’offrent les nouvelles technologies.
A la question de savoir quelles sont les sources de financement du Algiers Herald, Yacine affirme que le journal compte pour l’instant sur les efforts fournis gracieusement par les membres de l’équipe qui le compose ainsi que sur les contributions gratuites (articles, podcasts, dessins) d’ami-e-s et collègues journalistes de par le monde. "Nous sommes également très intéressés par les projets de journalisme transfrontalier et nous aimerions collaborer avec les autres médias sur des sujets d’intérêt commun", ajoute-t-il.
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A ce propos, Yacine évoque également "la faiblesse des ressources publicitaires à cause du peu de connexion entre le monde des médias, notamment les médias électroniques, et celui des entreprises en Algérie." Selon lui, plusieurs facteurs font que la publicité "atterrit souvent chez les mêmes médias, souvent classiques, et ne bénéficie pas aux médias émergents."
Pour un journal qui se veut citoyen, le grand défi pour l’équipe du Algiers Herald est de trouver un modèle de financement qui lui permette une durabilité et lui garantisse une indépendance dans un monde des médias à la fois très dynamique et très fluctuant. Cela est d’autant plus valable que la crise sanitaire du COVID-19 est en train de provoquer des remises en question profondes au sein de très nombreuses rédactions dans le monde.
Nourredine Bessadi est journaliste, consultant indépendant et traducteur. Il s’intéresse aux droits humains et des minorités, au genre, à la société civile, aux questions environnementales et au monde des médias. Il vit entre Alger et Tunis.
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