Etre manager d'équipe est un défi quoi qu'il arrive et les difficultés de gestion RH sont exacerbées en temps de crise mondiale et d'isolement comme ceux que nous vivons actuellement avec la pandémie de COVID-19. En plus d'appréhender de nouvelles contraintes, les managers doivent prendre davantage de précautions, en instaurant le télétravail notamment.
Créer un espace bienveillant pour soutenir votre équipe
Afin d'accepter de nouvelles procédures et gérer efficacement les tensions internes, il est essentiel que vous puissiez accueillir les ressentis des membres de votre rédaction sur les changements en cours.
“On ne peut pas s'empêcher d'avoir peur dans la situation que nous vivons. La peur est une émotion humaine primaire. Le manque d'information nourrit ce sentiment. En tant qu'adultes, on est tenté de le camoufler. C'est un comportement qui peut être lourd de conséquences lorsqu'on doit y faire face", explique Hebe Maguire, psychologue clinicienne.
En reconnaissant que ce sentiment de peur a un impact sur les membres de l'équipe, les managers créent ainsi un espace où chacun peut assumer pleinement ses émotions durant une crise, telle la pandémie actuelle.
Ecouter
Dans des circonstances de distanciation physique, il est important d'aiguiser son sens de l'écoute et de développer son empathie envers son équipe afin de prévenir toute incompréhension, colère ou prise de risque inutile. Appeler ses collègues au téléphone ou par visio plus souvent, même brièvement, peut être une solution. Prendre le temps de demander à ses collègues s'ils vont bien peut être bénéfique pour leur bien-être et ainsi favoriser leur travail et productivité.
Prioriser
En Argentine, l'équipe de fact-checking Chequeado a ré-évalué son budget prévisionnel. "On a fait un exercice durant lequel on a éliminé tout ce qui est agréable à avoir mais qui n'est pas vital, en partant du principe qu'on n'aurait pas les moyens de tout garder au vu des circonstances mondiales actuelles", raconte Laura Zommer, la directrice exécutive de Chequeado.
Une semaine plus tard, ils ont renouvelé l'exercice. "Nous pensons que c'est utile de le faire au moins une fois tous les 15 jours afin de prendre conscience de l'évolution positive ou négative de la situation dans le monde", dit-elle.
En plus des réflexions au niveau macro, il est opportun de prendre le temps d'examiner les procédures en place avec les personnes en charge des différentes branches de votre entreprise ou qui mènent des projets spécifiques. En temps de crise, le journalisme devient un métier encore plus exigeant et il est donc primordial de faire état de cette nouvelle réalité avec votre équipe.
Si une nouvelle tâche s'ajoute à celle d'une personne de votre équipe, il est conseillé d’en retarder, déléguer ou annuler une autre que cette personne devait accomplir. Ré-équilibrer les responsabilités de chacun permettra d'aider votre équipe à maintenir son engagement au travail et ainsi améliorer la qualité de sa production.
"L'engagement est une question de confiance. Si on veut que les gens s'engagent, il faut apprendre à faire des demandes claires" explique Mariel Graupen, consultante en ressources humaines, coach de dirigeants et fondatrice de Powered Box.
Mettre de l'ordre
Pour celles et ceux de votre équipe qui se sentent dépassés par la situation actuelle et se retrouvent tétanisés au travail, décomposer les listes de tâches en sous-tâches peut les aider à se concentrer et leur donner la sensation d'avancer davantage. Ajouter des sous-tâches peut allonger leur to-do list à première vue mais cela les aidera à se concentrer sur leurs responsabilités quotidiennes et ainsi sur ce qu'ils peuvent accomplir plutôt que l'inverse.
Communiquer
Les dirigeants sont responsables de la sécurité de leurs équipes. Vos collègues dépendent de votre leadership et vous observent en permanence", souligne Mme Graupen.
Si vos collègues vous demandent, en tant que manager, ce à quoi vont ressembler leurs projets à l'avenir et que vous ne pouvez pas leur donner de réponse concrète, ce n'est pas un problème. Il est plus important et plus efficace de leur offrir une réponse sur laquelle vous pouvez vous engager. Par exemple, Mme Graupen propose que vous leur répondiez de la manière suivante : "Voici ce que je sais. Un aspect déterminant du projet dépend de ces autres facteurs et je reviendrai vers vous sur ce point précis quand j'aurai plus d'information." Graupen ajoute par ailleurs : "L'équipe apprend de ce que font ses dirigeants encore plus que de leurs paroles."
Le comité de direction d’El Pitazo, un média indépendant vénézuélien qui couvre l'actualité nationale du pays et membre de l'accélérateur d’entreprises Velocidad, s'est mobilisé très tôt durant la pandémie pour communiquer auprès de ses équipes. "Nous avons envoyé différents messages : un aux correspondants d'El Pitazo et un aux managers à Caracas" explique Yelitza Linares, responsable du développement commercial et des partenariats d'El Pitazo.
Ces messages expliquaient clairement les mesures prises par El Pitazo en réponse aux préoccupations et inquiétudes remontées par les équipes. La direction a annoncé entre autres une baisse des reportages terrain, précisé les procédures de télétravail et les mesures d'hygiène qui seraient appliquées par El Pitazo.
Limiter les risques de contamination
"Nous avons décidé de ne mobiliser qu'une seule équipe pour des reportages sur le terrain. Nous leur fournissons du matériel de protection, avec des moyens de transport dédiés, des gants, des masques et des consignes d'hygiène détaillées," explique Linares. "Comme nous ne pouvons pas envoyer ces équipements à tous nos correspondants, nous avons décidé de limiter leur charge de travail à ce qu'ils peuvent produire depuis chez eux, via Internet et par téléphone" dit-elle.
Pedro Vaca, le directeur exécutif de la Fundación para la Libertad de Prensa (FLIP), une fondation pour la liberté de la presse en Colombie, a salué les mesures prises par des médias comme El Pitazo. "Fournir ne serait-ce que du matériel de protection basique aux journalistes qui enquêtent sur le terrain est un défi de taille. C'est parfois impossible d'en trouver" dit-il.
M. Vaca raconte que FLIP crée des kits de protection pour aider à répondre aux besoins des journalistes qui n'ont pas suffisamment de moyens. "Je vois des journalistes en Amérique Latine imiter des pratiques vues dans d'autres parties du monde, comme mettre un sac plastique sur un micro, mais ils n'appliquent pas les mesures nécessaires pour nettoyer et entretenir ces protections de manière adéquate."
"L'écosystème médiatique de l'Amérique Latine est très informel. Beaucoup de journalistes sont des freelances et c'est important que les médias qui les emploient leur demandent s'ils ont accès à une assurance médicale" insiste M. Vaca. Il a rappelé que le l'Organisation des Etats Américains a déclaré que l'information était un bien de première nécessité.
Un autre facteur ajoute de la complexité au métier de journaliste pendant cette pandémie : "Actuellement, personne ne veut perdre son emploi" dit-il. "Il y a sûrement des journalistes qui ne souhaitent pas continuer à faire du terrain mais se sent obligés de continuer et de prendre des risques."
Rassurer
Alignant leurs actions avec leurs paroles, certains médias ont décidé de donner des avances de salaires ou des primes aux journalistes actifs sur le terrain, qui sont donc exposés à la maladie. La direction d'El Pitazo a décidé de donner en avance des primes initialement prévues pour le mois d'avril afin d'aider les équipes à se préparer aux pénuries à venir.
"Nous sommes à un moment critique qui va aggraver la crise économique dans laquelle nous étions déjà" s'attriste Linares. "En plus de l'électricité, d'Internet et des provisions déjà limitées, nous avons maintenant une pénurie d'essence, qui retardera encore plus la livraison de nourriture aux magasins", explique Linares.
Prendre de la hauteur
Identifier les forces et les faiblesses de votre média durant la pandémie et les partager avec votre équipe peut permettre à tou.te.s de prendre du recul. Même s'il y aura des situations que vous ou votre équipe ne pourrez pas changer, ce changement de perspective peut donner à tout le monde une meilleure appréhension de la situation.
Changer de regard peut aussi calmer les angoisses de vos collègues et les aider à préserver leur énergie, apaisant ainsi l'environnement de travail général.
Fêter les réussites
Chaque petite victoire mérite son tour d'honneur (du salon, bien sûr). Au cœur du chaos professionnel et personnel, il est parfois difficile de s'arrêter et de se dire bravo. Dans la réalité actuelle, où les tâches quotidiennes peuvent être compliquées à accomplir, reconnaître les succès aide à garder le moral et renforce la cohésion d'équipe.
"Lorsqu'on travaille sur tant de choses en simultané, il est facile d'aller d'un projet à l'autre sans s'arrêter pour célébrer nos réussites", admet Janine Warner, cofondatrice de SembraMedia et lauréate du programme ICFJ Knight. "Pour m'assurer que nous ne laissions pas passer les réussites inaperçues, j'ai inventé il y a quelques années une petite danse nommée 'J'ai fini !' pour fêter la fin d'un projet d'équipe qui avait nécessité un grand effort collectif".
Les dirigeants sont humains aussi
"C'est essentiel que les dirigeants prennent soin d'eux-mêmes et qu'ils montrent l'exemple en demandant de l'aide en premier. Un burn-out ressemble à une pandémie : s'il commence avec le manager, il y a de grandes chances que toute l'équipe l'attrape" explique Mme Graupen. "La peur est légitime, comme passer une mauvaise journée ou ne pas savoir quoi faire. C'est pourquoi il est primordial de trouver un bon équilibre et se tenir à un emploi du temps professionnel qui prend en compte ses responsabilités personnelles annexes."
Mme Graupen souligne que les membres d'une équipe remarquent tout de suite si leurs dirigeants essaient de paraître plus forts qu'ils ne sont, aussi importants soient leurs efforts pour masquer leur peur.
"Les managers doivent comprendre une notion clef : ils sont des êtres humains avant toute autre fonction sociale qu'ils puissent avoir" dit-elle. "Les leaders ont peur aussi, au même titre que les personnes avec lesquelles ils travaillent. Bien sûr, les managers sont responsables des résultats de leur équipe et leur rôle est de soutenir leurs collègues mais tout ce qui se passe n'est pas entre leurs mains.
Cet article a initialement été publié par SembraMedia et a été traduit en français et publié ici avec leur permission.
Images de SembraMedia.