Dans les territoires ukrainiens occupés, la redoutable machine de la propagande russe

2 avr 2024 dans Lutte contre la désinformation
Mur en bois aux couleurs de l'Ukraine

Les forces d’occupation utilisent divers supports médiatiques pour diffuser des fausses informations dans les territoires d’Ukraine qu’elles contrôlent. La Russie cherche à endoctriner les populations locales et faire taire les opposants. 

“A Donetsk, mes amis sont dans une réalité parallèle façonnée par les mensonges russes.” Kateryna (son prénom a été modifié à sa demande) vit aujourd’hui à Kiev, elle est originaire de la ville occupée de Donetsk, dans le Donbass. “Ils ne savent rien des crimes commis par l’armée russe, ils pensent qu’elle aide le peuple ukrainien. À Donetsk, presque tout le monde y croit, parce que les informations qui circulent sur la guerre sont contrôlées par Moscou.” 

Déformation de la réalité 

Dans les territoires occupés, qui correspondent à environ 20% de l’Ukraine selon l’Institut pour l'étude de la guerre (ISW), le Kremlin a la mainmise sur les médias locaux. Des journaux ukrainiens ont été interdits, remplacés par de nouvelles publications contrôlées par les forces d’occupation, et les journalistes indépendants sont traqués. En novembre dernier, dans les territoires occupés du Donbass, les médias ukrainiens Luhansk 24 et Union.TV on tété “intégrés à l’Association nationale russe des radiodiffuseurs (NAT)”, selon Reporters Sans Frontières, “ils relaient la désinformation russe sur la guerre.”

La force de la propagande russe s’explique avant tout par “le mélange entre les fausses informations et les éléments réels” affirme Jais Adam-Troian, docteur en psychologie sociale qui mène des recherches sur la propagande russe, “ce n’est pas un lavage de cerveau total” indique-t-il “il y a du vrai et du faux. Souvent, la vérité est tronquée. C’est ce qui fait la force de la propagande russe.” 

Une réalité confirmée par Kateryna. Au début de l’invasion, la Russie affirmait dans les médias qu’elle contrôle que l’OTAN avait démarré la guerre. “C’est faux, mais certains y croient dans les territoires occupés, à l’est. Pour eux, cette désinformation est crédible, car elle est basée sur une réalité : la volonté de nombreux Ukrainiens de l’ouest du pays d’intégrer l’OTAN. La Russie manipule les divisions préexistantes entre les Ukrainiens pour faire passer d'énormes mensonges.”

La libération des territoires dans les Oblast de Kharkiv et de Kherson durant la contre-offensive ukrainienne d’automne 2022 a permis de décrypter le système de propagande mis en place par Moscou. A Izioum, ville occupée par l’armée russe entre mars et septembre 2022, durant l’occupation, une seule station de radio émettait depuis la ville voisine de Balakliia, et deux journaux gratuits étaient diffusés par les Russes : Izioum Telegraph et Karkhiv Z, selon les information du journaliste Hugo Lautissier, qui a travaillé sur la libération des territoires occupés. Le Kremlin y avait mis en place un vaste réseau de désinformation louant les actions des forces d’occupation, facilité par l'absence totale de réseau mobile et d’internet. “Dans le numéro du 1er septembre 2022 du Kharkiv Z, la Une est consacrée à la rentrée scolaire” indique le journaliste. “Les articles mettent en avant les efforts réalisés par les autorités russes pour approvisionner environ 1 000 élèves de la région en livres scolaires et en sac à dos.” Dans d’autres numéros, des fausses informations ont été publiés sur le maire d’Izioum Valery Martchenko et sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Un système verrouillé

Outre l’effort d’endoctrinement, la propagande vise à faire taire les opposants “en isolant les Ukrainiens peu réceptifs au discours de l’occupant” indique Jais Adam-Troian. “La propagande russe prétend que la population soutient le régime de Moscou. C’est efficace pour faire taire les critiques. Un individu qui s’oppose au pouvoir russe n’exprimera pas ses positions en public s’il croit que le reste de la population soutient majoritairement le régime.”

Dans les territoires occupés, l’accès à internet est limité, seuls les internautes munis d’un VPN peuvent contourner les restrictions. Le contrôle du réseau mobile empêche également les communications avec les Ukrainiens des territoires libres, “je ne peux pas appeler ma grand-mère depuis mon numéro ukrainien, je dois passer par un intermédiaire pour lui parler” indique Yevgeni, un habitant de Kiev dont la grand-mère, Nadiejda, vit à Malinov, un village de l’Oblast de Louhansk occupé par les Russes. “Les Russes craignent que les Ukrainiens des territoires libres informent ceux des territoires occupés sur la situation terrible causée par l’agression russe.” 

La propagande russe est d’autant plus efficace dans les villages occupés, “où vivent en majorité des Ukrainiens âgés qui cherchent l’information sur les supports traditionnels”, indique Yevgeni. “Ma grand-mère est née en 1943. Comme ses voisins, elle s’informe uniquement avec la télévision et les seules chaînes disponibles à Malinov sont des chaînes contrôlées par les Russes. Elle adhère totalement au narratif pro-russe.”


Photo de Tina Hartung sur Unsplash