Désinformation en temps réel en période électorale : Les géants du web doivent "aussi" protéger les élections africaines

6 mai 2024 dans Médias sociaux
Bulletin de vote et urne

À l’approche des élections européennes, Meta et Tiktok ont renouvelé leur engagement à lutter contre la désinformation en ligne en temps réel. Au moment où le continent africain connaitra également des élections majeures, des mesures pour protéger ces échéances électorales contre ce fléau ne seraient pas mal venues. 

Nous sommes en Août 2023, au Zimbabwe. Les campagnes électorales pour les élections présidentielles, parlementaires et locales battent leur plein. Un redoutable invité surprise, pensé et fabriqué par des entrepreneurs politiques entre dans le jeu : les fausses nouvelles. Le phénomène est total : affiches de campagnes, vidéos…tout y passe. Parmi les faits marquants, on note la modification d’un clip video du chef du parti politique, Citizens Coalition for Change. Dans la vidéo devenue virale, on entend le leader politique soutenir l’annulation des réformes agraires radicales de l’ex-président Robert Mugabe et un retour des terres entre les mains des fermiers blancs…

Ce scenario vécu par les zimbabwéens pourrait se démultiplier cette année, où plus de la moitié des citoyens du monde iront aux urnes. A l’approche des élections européennes, Meta et Tiktok entendent bien y faire face. Plusieurs mesures ont d’ores et déjà été annoncées : réduction de la mise en avant des contenus politiques en rapport aux élections européennes, renforcement des partenariats avec les vérificateurs de fait, ou encore collaboration avec les commissions électorales pour distinguer faits et fiction politique.

Au début fut la loi, et la loi incita les géants du web à agir 

Alors qu'une dizaine de pays africains connaitront également des élections majeures, pourquoi ne bénéficieront-elles pas de mesures de protection contre la désinformation en ligne, au même titre que les élections européennes ? Pour comprendre cet écart, il faudrait regarder du côté de l’activisme législatif de l’Union européenne contre le fléau de la désinformation, qui se traduit par une inflation de codes de bonnes pratiques et de lois. Récemment encore, l’Union Européenne adoptait la nouvelle règlementation sur la transparence et le ciblage des publicités à caractère politique dans l’objectif de lutter contre la désinformation et les influences étrangères. Ce couvert législatif est venu renforcer le règlement sur les services numériques, entré en vigueur en février 2024, et prévoyant un volet répressif allant des amendes à des mesures d’interdiction d’accès sur le marché européen.

Acculés par les pressions européennes, les géants du Web s’alignent bien souvent aux nouvelles règles du jeu afin d’en éviter les répercussions néfastes. Les récentes initiatives prises par Meta et TikTok pour renforcer l'intégrité des elections européennes s’inscrivent dans ce cadre.

Bien qu’en Afrique, la circulation des fausses nouvelles en période électorale reste une équation à résoudre, les institutions régionales continentales de l'envergure de l'Union européenne restent relativement atone dans la lutte  contre ce fleau. Pourtant, comme le relèvent les experts, le mandat des institutions régionales africaines, notamment de l'Union africaine, comprend la garantie des élections libres et transparentes pour tous. De ce fait, il devrait-il y avoir “[..]des règlements appropriés pour contrôler l'utilisation correcte du cyberespace afin d'empêcher la désinformation et la mésinformation pendant les élections en Afrique”, explique le Dr. Sadiq Adu-Twum, directeur exécutif du centre d’étude sur la sécurité, les médias et la gouvernance, basée au Ghana.

La responsabilité des géants du web, ça compte aussi !

En l’absence d’un travail législatif régional pour contrer la désinformation en ligne en période électorale, le renforcement de la protection des élections africaines contre ce fléau requiert une contribution volontariste des géants du Web. Ainsi, outre les mesures consistant à contrôler davantage la circulation des informations politiques en période électorale, il importe aussi de renforcer les partenariats avec les vérificateurs de faits locaux, en prenant en compte les spécificités endogènes de propagation et de dissémination des fausses nouvelles jusqu’aux couches les plus vulnérables de la population. Certes, des initiatives africaines de vérification de faits bénéficient déjà de partenariats avec les géants du Web, mais elles  n’intègrent pas toujours les spécificités locales, notamment l’utilisation de la puissance des radios, considérée par des études récentes comme la source d’information la plus répandue sur le continent. Or, les radios peuvent être de "bonnes sources pour la vérification des faits et des nouvelles provenant des réseaux sociaux," admet le Dr. Sadiq Adu-Twum, tout en reconnaissant qu’"elles [les radios] doivent elles-mêmes veiller à la diffusion d'informations exactes sur le plan des faits," étant donné qu’elles ont cette capacité de toucher des couches vulnérables. 

Prévenir la censure abusive, protéger la liberté d’expression

Cela dit, il convient également de souligner que la désinformation en temps réel sur les réseaux sociaux n’est pas moins un sujet complexe, soulevant la question de ses pesanteurs sur la liberté d’expression. "La désinformation ne peut être traitée en l’absence de préoccupations relatives à la liberté d’expression" estime à cet effet L’UNESCO dans un rapport, tout en soulignant que les efforts menées dans cette voie ne devrait pas aller à contre-courant de cette liberté. Ainsi, les mesures à prendre pour protéger les élections africaines, doivent respecter les principes de transparence et de responsabilité afin que les efforts de lutte contre la désinformation ne se traduisent pas par une atteinte injustifiée à la liberté d'expression. Il importe à cet effet que les partenariats pour la modération de contenu soient transparents et fondés sur des critères clairs et objectifs, partagés entre les vérificateurs de faits.  

 


 

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