Comment utiliser la satire dans les médias ?

29 févr 2024 dans Reportage de crise
Téléphone avec un smiley

"Si vous voulez dire la vérité aux gens, faites-les rire sinon ils vous tueront."

Cette citation attribuée à Oscar Wilde revient à chaque fois quand on parle de la satire. La satire, qui fait appel à l’humour, à l’exagération, à  la dérision, à la métaphore, est un outil pour  informer pour dénoncer ou encore pour divertir.

Mais peut-on la considérer comme dangereuse ? Peut-on rire de tout ? Peut-on traiter tous les sujets que l’on veut avec humour ? Quelles sont les limites et les défis éthiques liés à la satire ? Comment trouver un équilibre entre l'humour et l'information ? Comment utiliser la satire dans les médias ?  

Le 130e webinaire du Forum de Reportage sur les Crises Mondiales du Centre International des Journalistes (ICFJ) a tenté de répondre à ses questions, en invitant deux invités dessinateurs de presse, Damien Glez et Donald Aklassou-Gana

Damien Glez est dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè. Il est chroniqueur, parolier, enseignant, scénariste de séries télévisées et auteur du Comic strip Divine Comedy. Pendant 25 ans, il a été directeur de publication délégué de l’hebdomadaire satirique, le Journal du Jeudi. Quant à Donald Aklassou-Gana, il est l’un des pionniers de la caricature au Togo. 

 

Le caricaturiste Damien Glez se définit comme quelqu’un au parcours assez particulier. Passionné de dessin dès l’enfance, il a choisi de poursuivre des études en gestion. C’est sa rencontre avec la culture africaine il y a 30 ans au Burkina–Faso lors de l’ouverture démocratique et des médias privés qui l’a emmené à mettre en place le Journal du Jeudi. En Afrique de l’Ouest francophone, à cette époque-là le dessin de presse était assez inédit. 

Par ailleurs, les caricaturistes de presse sont parfois considérés comme des artistes ou des humoristes, parfois les deux. Est-ce qu’un dessinateur de presse est forcément un humoriste ? Pas systématiquement, répond Damien. Et il ajoute qu’il y a 2 variables. En tant que journaliste, il contribue à traiter de l’actualité et  transmettre de l’information. Du côté artistique, même s’il ne se considère pas comme tel, il y a une dimension dessin. 

Est-ce qu’il est  humoriste ? "Ça dépend, il y a des dessins qui font dans l’émotion et pas forcément dans l’humour, et  il y a des dessins reconnus pour faire rire les gens,  et pour faire ce que appelle de la satire," explique-t-il.

Comment utiliser la satire dans les médias ?

Il faut faire preuve de finesse car, c’est une ligne de crête assez étroite, souligne Damien Glez. "Si on fait des choses uniquement pour provoquer les gens, on finit par braquer tout le monde et le message est mal compris. Parfois vous provoquez de fortes réactions et vous vous apercevez après coup que le levier humoristique utilisé occulte le fond du message," dit-il.

Il souligne qu’il est aussi important de s’appuyer sur la culture locale et les ressorts humoristiques locaux. Il faut également établir une complicité avec le lectorat. Choquer le lectorat est contreproductif. "Si vous faites du Charlie Hebdo dans un pays africain, ça risque de ne pas fonctionner et de créer plus de conflits que du contenu journalistique," dit-il. 

Donald Aklassou-Gana travaille avec plusieurs médias en Afrique. Il explique que la caricature n’est pas facile à pratiquer au Togo. Il trouve son inspiration dans l’actualité politique au Togo et en Afrique, grâce à sa capacité à observer ce qui se passe dans la société, et le transcrire sous force de scénario. Le plus important pour lui est de faire rire ses lecteurs autant que les victimes de sa caricature.

Pourquoi le dessin de presse est important ?

Pour Donald Aklassou-Gana, le dessin est important parce que les gens ont un peu perdu le goût de la lecture. Avec le dessin, l’information passe un peu plus vite. La caricature aide aussi ceux qui ne savent pas lire à vite comprendre l’actualité.

Et pour finir, le dessin de presse apporte de la bonne humeur vue sur une bonne couche d’humour. Car avec lui, toutes les couches sociales et intellectuelles de la société s’y sentent à l’aise. 

Peu de dessins de presse en Afrique

L’absence de dessins de presse en Afrique est difficile à expliquer. Au Burkina par exemple, le dessin de presse n’existe pas, relève Damien Glez. "Nous avons fait un journal satirique pendant 25 ans avec rien que de la caricature. Normalement, la presse généraliste peut souvent avoir des caricatures qui servent même d’accroche à la première page, comme le journal Le Monde. La population aime le dessin de presse, il y a théoriquement une demande."

Le dessin de presse, une réponse à l’éducation aux medias

Aujourd’hui, la presse vit une crise : manque de confiance du public, lectorat en baisse, ou connexion internet inégale dans certains pays africains. Alors,  le dessin de presse n’est –il pas une réponse à l’éducation aux médias ? Est-ce que on ne devrait pas encourager les médias à embaucher plus de caricaturistes ?

"Dans beaucoup de pays du monde, il y a une méfiance qui s’installe vis-à-vis du dessin de presse avec la dictature du politiquement correct. Le dessin de presse a tendance à reculer même dans les pays où il avait jadis une grande  tradition en la matière. Il y a beaucoup de confusion dans les images sur internet qui peuvent parfois créer une confusion entre les dessins de presse parfaitement déontologique et un contenu humoristique idéologique malsain. Je suis d’accord qu’à l’avenir, le dessin de presse doit être promu et servir dans l’éducation aux médias puisqu’il peut être utilisé comme un vecteur de sensibilisation dans la  presse," répond Damien Glez. 

Comment trouver l’équilibre entre l’humour et l’information 

Pour Donald Aklassou-Gana, l’équilibre reste difficile à expliquer, car l’humour on l’a en soi, dit–il. Et d’ajouter que l’humour vient atténuer la colère que peut susciter une information difficile à accepter. L’humour selon lui vient présenter l’information sans choquer en considérant l’environnement dans lequel on se trouve. En prenant l’exemple sur la religion et les dessins à connotation sexuelle, il insiste sur le fait d’éviter l’humiliation et l’injure.

Le caricaturiste togolais souligne qu’il est primordial d’étudier et comprendre l’environnement où l’on se trouve pour savoir ce qu’on produire sans heurter les sensibilités. Il est important selon lui de s’autocensurer, car toutes les informations ne peuvent pas prêter à la satire. 

Les recettes d’une bonne satire

Selon Damien Glez, il est difficile de parler de recette. «Un bon dessin doit être piquant, le piment peut brûler comme il peut agrémenter le goût du plat à offrir. Le plus important, est d’anticiper le ressenti des personnes afin qu’elles ne se sentent pas humiliées », conseille –t-il.

Le caricaturiste définit le tout en soulignant que c’est l’expérience qui fait  qu’en matière de dessin de presse,  on arrive à doser entre la provocation, la dimension artistique, et l’évaluation de la réaction du public.  

 

 


Photo de Markus Winkler sur Unsplash