Comment tenir responsables les gouvernements ?

13 juin 2024 dans Journalisme d'investigation
Personne en session de travail face à son ordinateur

Lors d'un webinaire animé le 30 mai 2024 par Kossi Balao, directeur du Forum Pamela Howard de l’IJNet, en compagnie de la journaliste d’investigation Ariane Lavrilleux et de Noël Konan, directeur de publication du journal l'Étau, des pistes très importantes ont été évoquées pour aider les journalistes à mieux mener leurs enquêtes et tenir responsables les gouvernements. 

 

La séance était s'adressait aux journalistes non complaisants, courageux qui n’hésitent pas à remuer "la plume dans la plaie" pour dénoncer des malversations des gouvernants. Ceux-là mêmes qui ne reculent devant aucun obstacle pour rendre à la démocratie sa vitalité. Ces journalistes qui constituent les cauchemars des dictateurs corrompus et hostiles à la manifestation de la vérité qui font tout pour barrer la route aux journalistes.

Pour Ariane Lavrilleux, les sujets d’enquêtes peuvent commencer par un reportage sur le terrain qui permet de rencontrer des victimes des injustices. Ils donnent l’envie d’aller plus loin pour connaître les tenants et les aboutissants. Il faut être attentif. Elle a notamment cité ses enquêtes menées entre l’Égypte et la France, la perquisition de son domicile par neuf agents de renseignements français et sa détention de 39 heures. 

"C’était une attaque claire et nette et précise contre la liberté d’informer. Contre la possibilité des journalistes et des citoyens de s’informer sur ce que font les dirigeants en notre nom. C’est une attaque aussi contre tous les gens qui veulent saisir des médias. C’est une attaque un peu terroriste dans le sens où l'on veut faire peur aux citoyens, les empêcher d’appeler un média, d’appeler des journalistes pour leur transmettre des informations d’intérêt public mais confidentielles. Mon histoire a permis à tout un tas de journalistes et d'organisations de réaliser que la liberté de la presse était menacée aussi en France, même si dans des conditions différentes que celles dans des dictatures parce que nous avons la possibilité de faire des recours," dit-elle.

Comment tenir responsables les gouvernants ?

"C’est un travail quotidien. C’est demander à des responsables de révéler leurs notes de frais. Il faut d’abord comprendre comment fonctionne l’administration, savoir où avoir accès à l’information publique. Il existe tout un tas de données qui sont accessibles mais cachées, empilées dans les méandres de l’administration. Il faut déployer beaucoup de ressources, de temps et d’énergie, du temps d’enquête pour trouver cette information.  Ensuite, il faut la rationaliser, l’expliquer, l’analyser pour le public et leur dire, ‘Voilà, tant d’argent a été dépensé de manière illégale’," explique-t-elle.

Ariane Lavrilleux déconseille aux journalistes de penser qu’ils peuvent mener des enquêtes seulement à partir de leur clavier. Elle encourage d’agir de façon à ce que les sujets qu’ils traitent aient des impacts avant même leurs publications. Cela implique le partage de l’information avec d’autres confrères pour obliger des dirigeants à répondre de leur gestion.

Mais la situation n’est pas aussi simple en Afrique, fait remarquer Noël Konan qui déplore le manque des lois protégeant les lanceurs d’alertes notamment dans son pays, la Côte d’Ivoire. Un bon journaliste trouve toujours les moyens de donner de l’information. 

"Pour pouvoir faire son travail, le journaliste doit être indépendant vis-à-vis des pouvoirs politiques, idéologiques, économiques, y compris l’entreprise de presse dans laquelle il exerce. Il ne doit pas recevoir des directives venant de la part de ses responsables. Il a aussi besoin de se montrer crédible. Il doit incarner un certain nombre de valeurs, être professionnel, respectueux des règles d'éthique et de déontologie mais aussi doit prendre conscience de son rôle en tant que contre-pouvoir et éveilleur de conscience. Parce que ce qu’on fait, on ne le fait pas dans notre intérêt mais on le fait dans l’intérêt général," détaille le journaliste d’investigation qui estime que ces procédés obligent tout dirigeant à se plier et à donner l’information.

La peur

Il faut aussi rassurer les sources, prendre en compte leur peur. Ces sources risquent parfois le pire si elles sont démasquées. Il faut donc protéger les sources, votre vie et celle de votre entourage. "Le journaliste ne doit jamais abandonner. Il faut aller jusqu’au bout. Souvent en réseau. La peur, elle est quotidienne mais il faut savoir la gérer," indique M. Konan. 

Les qualités du journaliste d’investigation

"La qualité c’est la rigueur, c’est l’extrême rigueur de votre travail. Vous pouvez avoir les meilleures sources, les meilleurs documents, vous pouvez être contacté au plus haut sommet de l’État, si vous n’avez pas de rigueur votre information, vous ne sauriez pas l’expliquer, l’analyser, faire une démonstration. Le journalisme d’investigation c’est d’abord une méthode très précise. Il faut comprendre l’enquête comme une démonstration d’hypothèses et d’éléments que vous avez collectés. Le courage et l’intrépidité, pour moi, sont assez secondaires. Ce qui est vraiment important, c’est d’être carré. Le but du journaliste, c’est de rendre vivante la démocratie," développe Ariane Lavrilleux. Pour conclure, l’ivoirien Noël Konan encourage la culture générale du journalistes pour éviter l’amalgame ou la désinformation.


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