Comment l'intelligence artificielle peut vous aider à couvrir le COVID-19

5 févr 2021 dans Couvrir le COVID-19
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Cet article est issu d'un webinaire organisé dans le cadre du Forum de reportage sur la crise sanitaire mondiale. 

L’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus utilisée dans les médias, pour filtrer les nouvelles qui arrivent, pour produire et générer de l'information. Mais peut-elle aussi aider les journalistes, en cette période de pandémie, à couvrir le COVID-19 ? 

L’IA est-elle plutôt une menace au métier de journaliste? Remplacera-t-elle un jour les professionnels ? Cette technologie doit-elle plutôt être perçue comme une alliée ? Quel rôle peut-elle véritablement jouer dans les salles de nouvelles?

Ces questions faisant partie des sujets brûlants de l’heure et omniprésentes dans les médias, ont fait l’objet d’un webinaire interactif organisé le 28 janvier par le Forum de Reportage sur la Crise Sanitaire Mondiale du Centre international pour les journalistes (ICFJ) et modéré par son directeur, le journaliste Kossi Elom Balao.

 

 

Un événement enrichi par la participation de M. Claude de Loupy, un expert en intelligence artificielle, docteur en informatique appliquée au traitement automatique des langues et à la gestion de l’information.

Il est également le co-fondateur et le PDG de la société Syllabs, l’un des leaders mondiaux en production automatique de contenus multilingues. Plus d’une quinzaine de médias français font appel à la technologie de cette start-up pour produire des contenus.

L’IA, une opportunité

Claude de Loupy baigne dans cet univers depuis plus de deux décennies. Mais quand on lui demande d'expliquer ce qu'est l’intelligence artificielle, il aime se rapporter à la définition de Minski Marvin Lee. Il définit l'IA comme "la science qui permet de fait faire à une machine ce qui demanderait de l'intelligence à un humain".

En cette période de crise sanitaire, une telle science peut-elle être utile au journalisme ? Oui, répond Claude de Loupy. Il va plus loin d’ailleurs en expliquant que "dans le domaine de la crise spécifique que nous traversons, l'IA peut être utilisée de plusieurs façons". Lesquelles ?

La collecte de l’information

Selon l’expert, on peut utiliser l'IA pour faire de la collecte, du filtrage et rassembler des publications qui parlent du même sujet. C'est-à-dire créer de manière automatique ou avec une supervision humaine des systèmes qui vont récupérer des articles qui parlent du COVID-19 et ensuite les proposer dans un flux qui va donner tous les articles sur ce sujet.

L’analyse des opinions

On peut aussi s’en servir pour faire l’analyse des opinions. Par exemple, lorsque "tel ministre déclare telle chose sur les réseaux sociaux, on peut analyser comment les gens en parlent et on peut voir que majoritairement, à 70 % ils sont critiques, à 10 % ils sont positifs et à 20 % ils sont neutres".

La détection des sentiments

"Au-delà du positif négatif, on peut aussi y avoir recours pour détecter des éléments de sentiments c'est-à-dire d'émotion", nuance-t-il. On peut très bien détecter une émotion liée à la peur ou à la colère. "Et du coup on est capable de réaliser des statistiques sur les réseaux sociaux pour voir si la population semble majoritairement se résoudre à un confinement par exemple, ou au contraire si les tweetos se révoltent par rapport à ça".

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Séduire les lecteurs

M. Claude de Loupy annonce qu’une rédaction qui a à cœur de mettre en avant les sujets importants qui intéressent les lecteurs peut très bien utiliser l'IA dans une méthode à la fois pertinente commercialement et éthique journalistiquement. Il rappelle tout de même à ces médias de faire attention à ce qu'ils cherchent, parce que, explique-t-il, pour que l'IA fonctionne elle a besoin d'objectifs.

"Il faut l'utiliser, recommande-t-il, en fixant des objectifs qui correspondent à l'ADN du média. Sinon, prévient-il, si on l’utilise pour avoir le plus de clics possibles, cela peut avoir un impact hyper négatif sur l'information".

Faire gagner du temps aux journalistes

"Je suis heureux quand par exemple un journaliste me dit c'est super j'ai gagné 45 minutes par jour pour faire des interviews, ça me rend heureux", témoigne le docteur en informatique appliquée. 

Il s’enthousiasme que l’IA puisse redonner du temps de travail journalistique. "C’est un premier point sur lequel je pense que l'IA peut jouer", avance-t-il. Le deuxième point, "c'est l'information locale".

Dans les endroits où il y a beaucoup de fermetures de médias locaux, où ces médias se meurent faute de moyens pour produire de l’information, Il estime que "l'IA peut avoir un impact très important à ce niveau en apportant une information qui tombe chaque jour". 

Traiter les données

Le spécialiste a aussi indiqué que l’IA peut permettre d'enregistrer un discours, d’arriver à trouver les mots-clefs, à extraire les phrases les plus pertinentes, les plus représentatives, traiter des images, du texte, du son, des données pures et permettre de générer en temps réel des informations sur la progression de la maladie. Toutefois, selon Claude de Loupy, elle n’est pas : "(…) un outil absolument nécessaire à toutes les rédactions".

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"Il y a des cas où c'est utile, des cas où c'est nécessaire", clarifie l’expert qui cite en exemple les projets que sa société a traités avec 17 médias pour les élections en France.  "Aucune de ces rédactions n'aurait pu écrire les milliers de textes qu'on a produits automatiquement pour couvrir les résultats de chaque commune. Si le projet de la rédaction est de couvrir un événement dans beaucoup d'endroits, le choix est judicieux."

C’est aussi utile, poursuit-il, lorsque par exemple pour le quotidien Nice Matin dans le sud de la France, on va produire des alertes par rapport à des séismes dans une zone où il y a un peu de séismes. "C'est utile, ce n’est pas nécessaire, c'est juste que ça permet de produire plus rapidement que si c'était fait par un journaliste."

Mais pour les centaines de médias qui font plutôt un travail de reportage en local et dont la valeur ajoutée est la proximité et d'aller dialoguer avec les gens, "ils n'ont pas besoin de ce type d'outils".

Les limites de l’IA

Les limites de l’IA sont nombreuses. Claude de Loupy rappelle qu’elle "ne peut pas interpréter un discours politique et en faire un résumé qui en déduit les implications. Elle ne remplacera pas les journalistes".

"Certains ont peur que l’IA vole leur métier. C'est une peur qui est tout à fait compréhensible", concède-t-il, en rappelant toutefois que le journalisme est un métier tellement complexe qui fait appel à tellement de capacité d'intelligence humaine qu’on n’en est pas au stade où les journalistes peuvent être remplacés par des machines.

Si un jour cela arrive, nuance-il, ça veut dire que la machine serait capable de remplacer les humains dans quasiment tous les métiers puisque le métier de journaliste est un métier qui demande beaucoup d'investissement intellectuel.

Il y'a des métiers où il y'a de l'investissement intellectuel mais où la machine peut être meilleur sauf que dans le métier de journalisme, précise-t-il, ce n'est pas un métier répétitif c'est toujours des choses différentes et il faut toujours s'adapter, toujours être dans un moment où on va faire quelque chose qu'on a jamais fait avant. "Les machines ne savent pas faire ça", conclut-il.  


Journaliste indépendante, Sara Véronique est passionnée par les nouveaux médias. Outre le numérique, elle s'intéresse à l'économie et aux finances. Diplômée de l'Institut Van Duyse de Formation en Leadership Entrepreneurial (VELI), elle est basée à Lomé, au Togo. Elle est formatrice dans les métiers d'écriture.


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