Au Mali, l'application Wuya offre une réponse aux fake news

17 oct 2024 dans Lutte contre la désinformation
Labyrinthe Vérité Fake News

Dans le contexte actuel où les fake news prennent une ampleur sans précédent, particulièrement sur les réseaux sociaux, la Fondation Tuwindi a mis en place une initiative numérique unique en son genre : l’application Wuya. Créée en 2017, Wuya s'est progressivement imposée comme un outil central dans la lutte contre la désinformation. Ce projet novateur, amélioré en 2020, vise à intégrer la technologie dans la vérification de l'information, en ciblant notamment les jeunes, grands utilisateurs du numérique.

La Fondation Tuwindi, organisation à but non lucratif fonctionnant grâce à des projets et des subventions, est spécialisée dans l’utilisation du numérique pour améliorer la vie des citoyens dans divers domaines tels que la santé, la gouvernance, la politique et les médias. Wuya est née de la volonté de cette fondation de répondre à la prolifération des fake news, surtout sur les réseaux sociaux. Le choix de Wuya s’est imposé naturellement, car la désinformation représente une menace sérieuse pour la stabilité sociale et politique du pays.

Dès 2017, Wuya a permis de soumettre des informations pour vérification. Les contenus envoyés par les utilisateurs sont analysés par des "fact-checkers" ou "Wuya checkers," qui valident ou réfutent les informations, et les classent dans différentes catégories : vrai, faux, dangereux, hors contexte ou satirique, et selon plusieurs domaines : santé, éducation, politique et sécurité. Cette approche permet non seulement de contrer les fausses informations, mais également de sensibiliser la population à leur prolifération. Wuya a ainsi su gagner la confiance des citoyens maliens en leur donnant les moyens de vérifier eux-mêmes la véracité des informations qu’ils reçoivent.

Un modèle participatif

L’une des forces de Wuya réside dans son caractère participatif. Chaque citoyen peut soumettre une information pour vérification, ce qui contribue à une lutte plus large contre la désinformation. De plus, les experts de Wuya s’autosaisissent de sujets d’actualité lorsqu’ils détectent des fake news particulièrement virales ou dangereuses.

La Fondation Tuwindi va plus loin en formant des blogueurs et des journalistes au fact-checking, à l’éthique et à la déontologie, ainsi qu’aux lois régissant la presse. Cette formation inclut également l’apprentissage des différents genres journalistiques ainsi que des techniques d’enquête journalistique. À travers cette initiative, Tuwindi contribue à la professionnalisation du journalisme au Mali, tout en renforçant la lutte contre la désinformation.

Les "Wuya checkers" travaillent par cycles, allant de trois à six mois. Durant ces périodes, une dizaine de journalistes et blogueurs sont formés et intègrent le réseau de vérificateurs de l’application. Ce modèle cyclique permet de multiplier le nombre d’experts et d’étendre le réseau de lutte contre les fake news.

Les défis de Wuya

Malgré ses succès, Wuya fait face à plusieurs défis de taille. "L’un des plus importants est la simplification de l’usage de l’application pour qu’elle soit accessible à tous, aussi bien aux experts qu’aux citoyens lambda," explique Ahmed Moktar Thiam, Directeur du département Développement Média et de l’Intégrité de l’Information à la Fondation Tuwindi. En effet, il est essentiel que l’application soit facile à utiliser pour maximiser son impact et toucher un public large. Un autre défi majeur est lié à l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) dans la création de fausses informations. Cette technologie rend le travail des Wuya checkers de plus en plus complexe.

Pour faire face à cette menace, la Fondation Tuwindi envisage d’intégrer l’IA dans son application. Selon M. Thiam, l’objectif est de former cette IA à cibler des sources crédibles et à décoder divers types de contenus : vidéos, textes et sons. L’IA pourrait ainsi devenir un allié précieux dans la détection des fake news.

Un outil statistique et analytique

Une des particularités de Wuya est sa capacité à générer des statistiques sur les fake news. Grâce à l’analyse des informations soumises, Wuya a constaté que la majorité des fausses nouvelles au Mali concernent la politique et la sécurité, deux sujets particulièrement sensibles dans le pays. Les plateformes les plus utilisées pour la diffusion de ces informations erronées sont les réseaux sociaux, notamment Facebook, X et TikTok. En revanche, les médias traditionnels, bien qu’encore influents, sont moins concernés par la diffusion de fake news, car ils sont plus difficiles à manipuler que les réseaux sociaux.

Wuya s'efforce également de créer des listes de comptes crédibles, appelées "listes vertes," regroupant des journalistes et des chaînes fiables. En parallèle, une "liste noire" des comptes non crédibles est mise en place afin de mieux orienter les utilisateurs et de favoriser une consommation d’information plus responsable. Depuis sa création, Wuya a permis de vérifier des centaines d’articles. De plus, l’application a formé de nombreux journalistes et blogueurs à la vérification des faits. Le dernier projet a vu la formation de 10 professionnels des médias, issus de la radio, de la presse écrite, de la presse en ligne et du journalisme citoyen (blogs).

Selon Ahmed Moktar Thiam, les données révèlent un contexte très difficile, ce qui montre à quel point il est crucial que les Maliens prennent conscience de l'ampleur du problème. Les initiatives louables visant à lutter contre la désinformation sont en grande partie déployées dans l’espace virtuel, en ligne, tandis que les médias traditionnels sont très peu impliqués. Pour Tuwindi, Wuya représente une réponse locale aux fake news. D’ailleurs, le mot "Wuya" signifie "mensonge" en bambara.


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