Le secteur médiatique, déjà tributaire des groupes politiques, a été ébranlé par la crise financière. Le manque de ressources et d’indépendance d’une partie des médias favorise la propagation de fausses informations.
Au Liban, il est possible de s’informer à travers une dizaine de journaux nationaux et des magazines hebdomadaires et mensuels. À la télévision, les chaînes nationales offrent des opinions diverses. Le pays semble faire figure d’exception dans une région où les régimes autoritaires dominent. Cependant, dans une étude publiée en 2018, la Fondation libanaise pour les médias Samir Kassir et Reporters sans frontières affirmaient qu’au Liban, “les deux-tiers des médias appartiennent à des figures politiques ou à des partis politiques”.
Cinq ans plus tard, les médias libanais restent largement dépendants de quelques riches dynasties familiales, inféodés à des intérêts politiques locaux ou étrangers. Néanmoins, la crise financière qui frappe le pays depuis 2019 a bouleversé le secteur médiatique. Selon Ayman Mhanna, Directeur de la Fondation Samir Kassir, “au cours de la première phase de la crise, les médias traditionnels ont été sévèrement touchés par l'effondrement du marché publicitaire. Cependant, avec les élections de 2022, les médias traditionnels ont monétisé leur temps d'antenne en le vendant aux candidats. (...) Cela signifie que leur situation financière est devenue plus dépendante de la classe politique en général. En parallèle, les plateformes numériques indépendantes financées par des subventions ont réussi à tirer parti de leurs revenus en devises étrangères.”
Une pluralité fragile
En octobre 2019, la Thawra, une série de manifestations au niveau national en réponse à l’échec du gouvernement face à la crise naissante et contre la corruption, éclate. Elle fait émerger des médias nouveaux en ligne comme Mégaphone, Beirut Today, Daraj Media ou The Public Source, entre autres, modifiant le paysage médiatique libanais. Ces nouveaux supports ont certes constitué une caisse de résonance pour les opinions alternatives, mais uniquement pour un fragment du pays, majoritairement jeune et urbanisé. Une partie de la population, qui consulte peu le web ou ignore l’existence de ces médias, s’informe encore majoritairement via les médias traditionnels.
A l’heure où l’inflation bat des records, le pays continue de s’enfoncer dans la crise et les partis traditionnels se sont maintenus au pouvoir. Sans perspective de sortie de crise, le risque de répression des médias alternatifs s’est accru selon Jean Kassir, cofondateur de Mégaphone : “début avril, le procureur général a demandé à ce que je sois convoqué par la Sécurité de l’Etat. C’est une démarche illégale car seul le tribunal des publications a autorité pour enquêter sur le travail des journalistes, non pas les services de sécurité. Le procureur s’est finalement rétracté mais cet épisode est très alarmant. C’était la première fois que Mégaphone faisait face à des pressions réellement sérieuses de la part des autorités. A l’heure où la situation politique et économique empire, les médias alternatifs libanais sont de plus en plus fragiles. La démobilisation des forces de la Thawra a tendance à renforcer notre vulnérabilité car la répression dont nous sommes victimes suscite moins de de réaction qu’auparavant.”
Les fausses informations
Ces derniers mois, les réfugiés syriens sont la cible d’une vive campagne de désinformation. La classe politique libanaise, relayée par de nombreux supports d’information, les accuse à tort de profiter d’aides internationales conséquentes en dollars.
Ce phénomène n’est pas uniquement lié aux crispations créées par la crise. Le Liban est de longue date un pays où les fausses informations sont susceptibles de se propager, selon Ali El Takach, chercheur en Science de l’information et de la communication : “depuis longtemps, à l’échelle locale, des boîtes de production jouent un grand rôle dans la création et la diffusion d’information. L’Agence libanaise d’information (agence publique) et les chaînes officielles sont peu présentes localement et les données sont principalement relayées par ces boîtes de production qui manquent de professionnalisme pour vérifier l’information. Cela favorise la propagation de fausses nouvelles.” En parallèle, l’éducation aux médias et à l’utilisation d’outils informatiques reste limitée au Liban.
Pour contrer le risque de propagation de fausses nouvelles, le chercheur recommande de créer une grande chaîne de production, comprenant des professionnels de l’information, le monde académique et le public, “mais avec la crise, les institutions publiques manquent aujourd’hui considérablement de ressources pour prévenir la propagation de fausses informations.”
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