Paroles d’experts : la boîte à outils du journaliste scientifique

Le contexte de la pandémie de COVID-19 a contraint les journalistes n’ayant aucune notion scientifique de base à travailler avec des experts et à effectuer leur recherche d’informations pour traiter des sujets liés à cette crise sanitaire. Mais comment un journaliste généraliste peut-t-il couvrir efficacement la science, s’il ignore tout de la démarche scientifique ?

Dans un contexte mondial où il est devenu impératif pour les journalistes de maîtriser les techniques de couverture des sujets scientifiques, le Forum Pamela Howard de l'ICFJ a interrogé trois spécialistes de la question dans le cadre de son 105^e webinaire, le jeudi 17 novembre 2022 sur le thème : "La boîte à outils du journaliste scientifique" :

• Jean-François Haït est journaliste scientifique et intervenant à l’École de journalisme de Toulouse sur le journalisme scientifique et les controverses,
• Isabelle Burgun est également journaliste scientifique, animatrice et recherchiste à l'Agence Science-Presse, 
• Mardochée Boli, rédacteur en chef du Journal scientifique et technique du Mali.

Ce panel virtuel modéré par Kossi Balao, journaliste scientifique lui-même et responsable du Forum Francophone de reportage sur la crise sanitaire mondiale, est comme une continuité de la première conférence mondiale des journalistes scientifiques francophones organisée en octobre dernier à Dakar sur l’initiative du Réseau des journalistes scientifiques d’Afrique francophone. 

Le webinaire a été l’occasion pour les panélistes de partager avec des consœurs et confrères du monde entier "toutes les méthodes utilisées pour produire un article pertinent sur la science, en se basant sur les paroles des experts et chercheurs, les sources diversifiées, la documentation sur Google, les études exploitées", comme l’indique Mardochée Boli.

Pour Jean-François Haït, quand on parle de boîtes à outils du journaliste scientifique, il s’agit "d’une collection de bons réflexes à donner à un journaliste n’ayant pas fait d’études scientifiques pour traiter de façon efficace des informations scientifiques, et surtout les traiter dans l’urgence".

Voici ce qu'il faut retenir de ce webinaire.  

Ce qu’est la boîte à outils et ce qu’elle n’est pas

Avec la boîte à outils, l’idée n’est pas "de transformer le journaliste généraliste en journaliste scientifique mais plutôt, de former des journalistes non spécialistes à traiter de manière efficace des informations scientifiques". 

Grâce à la boîte à outils, les journalistes auront les bons réflexes pour interroger les experts, aller à la recherche d’informations vérifiées et traiter les sujets scientifiques en ayant à cœur l’intérêt du public. 

L’enjeu, selon Jean-François Haït, est de réintroduire la fabrique de la science dans le traitement journalistique, en tenant compte du consensus scientifique lors d’un débat scientifique qui ne suit pas forcément le format d’un plateau de débat politique.

"La science a ses codes"

"Une publication scientifique obéit à des règles très codifiées", note Jean-François Haït.

Pour se proclamer journaliste scientifique, insiste-t-il, il faut avoir un certain nombre de connaissances sur la science et comprendre le fonctionnement de la science elle-même. La démarche de la boîte à outils est de répondre aux défis et besoins de journalistes qui ne sont pas forcément des spécialistes de la question. 

Il propose à cet effet trois modes de production pour le traitement d’une information scientifique :

• identifier le domaine concerné par le sujet,
• comprendre la fabrique de la science,
• trouver le contexte ainsi que les enjeux d’une découverte scientifique.

Dans le cas où les articles scientifiques ne sont pas validés par des pairs ou que les journalistes doivent travailler dans l’urgence, "il est important de préciser dans l’article scientifique que les travaux de recherche n’ont pas encore été validés, donc les données sont à prendre avec beaucoup de précaution", précise Jean-François Haït. 

Communiquer facilement sur des questions scientifiques

Rendre accessible l’information scientifique au public, expliquer les termes scientifiques avec des mots faciles à comprendre, raconter les faits scientifiques de manière simple et faire preuve de rigueur dans la recherche de la bonne information constituent, selon Isabelle Burgun, les fondamentaux pour s’assurer que le message scientifique est capté par le public.

Mardochée Boli propose pour sa part de se faire relire par le chercheur afin de s’assurer de la fidélité à l’esprit du chercheur et au contexte, faire usage au besoin de la langue locale pour établir la proximité avec le public. Par contre, Jean-François Haït trouve que pour un article d’enquête ou d’investigation comportant des données sensibles, on pourrait se faire relire par d’autres confrères sous le sceau de la confidentialité, d’où l’importance de créer une communauté de journalistes scientifiques.

Collaboration entre journalistes scientifiques et chercheurs

Pour une bonne collaboration entre journalistes scientifiques et chercheurs, il faut d’abord créer la confiance.

Partant de son expérience, Mardochée Boli propose l’idée d’un café scientifique qui "est un cadre où les chercheurs viennent faire des présentations sur des thématiques et discuter avec des journalistes scientifiques qui en profitent pour parler de leurs objectifs". 

Il a donné également l’exemple d’un groupe Whatsapp qui regroupe les journalistes scientifiques et les chercheurs. 

Poser les bonnes questions à un chercheur 

"Il faut d’abord travailler en amont et se documenter sur le parcours de scientifique du chercheur en question", indique Jean-François Haït qui pense qu’une interview est réussie quand le journaliste et l’expert répondent chacun au besoin de l’autre dans un certain équilibre. 

"Vérifiez ses diplômes, ses publications et s’assurer qu’il est la personne ressource la mieux indiquée", renchérit Isabelle Burgun, avant d’ajouter qu’il est important d’aller dans les laboratoires et de se documenter sur d’autres articles sur le sujet. 

Travailler en collaboration

Les journalistes généralistes pourraient également collaborer avec des confrères scientifiques pour un meilleur traitement de certains sujets qui nécessitent l’usage des données scientifiques.

À cet effet, le Forum Pamela Howard de l'ICFJ sur Facebook face aux défis du monde actuel offre aux consœurs et confrères du monde entier un cadre d’échanges et un accès facile aux experts et aux ressources.