Un média pour mettre en lumière la situation du Sahara occidental

Jul 29, 2022 en Pérennité des médias
Sahara

Le Sahara occidental est un territoire de 250 000 kilomètres au sud du Maroc qui fait partie des 17 territoires qualifiés de non-autonomes par l’Organisation des Nations unies (ONU).  Depuis plus de 45 ans, le Royaume chérifien – qui considère le Sahara occidental comme ses "provinces du Sud" – est en conflit avec le Front Polisario (indépendantistes sahraouis) qui dénonce l’occupation marocaine du territoire. Depuis le cessez-le-feu de 1991 – à nouveau rompu en novembre 2021 – les Sahraouis attendent l’organisation d’un référendum d’auto-détermination, prévu par la création de la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental ) en vain. 

En attendant, les ressources du Sahara occidental  – territoire riche en phosphate et réputé pour ses eaux poissonneuses – sont exploités par le Maroc, avec la complicité de certaines entreprises européennes. La justice européenne a d’ailleurs annulé deux accords commerciaux entre le Maroc et l’UE en septembre dernier.

"Le Sahara occidental, un trou noir de l’information"

Au niveau de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) parle "d’un territoire coupé du monde, véritable trou noir de l’information, devenu une zone de non-droit pour les journalistes". Refoulement des journalistes étrangers, agressions et arrestations des sahraouis et surtout un grand tabou sur la question du Sahara Occidental…

C’est pour en finir avec ce silence et informer la communauté internationale des violations des droits internationaux et des droits humains par le Maroc, qu’un groupe d’activistes et de journalistes sahraouis amateurs ont décidé de créer en 2009, Equipe Media. Composé aujourd’hui de 25 bénévoles, c’est un des seuls médias qui couvre la répression exercée par le Maroc au Sahara Occidental. Équipe Media souhaite ainsi donner une autre vision du Sahara occidental que celle du régime marocain :

"Notre objectif est de trouver un espace dans les médias internationaux et les organisations internationales pour, d’une part, démentir la propagande marocaine et de l’autre donner la voix aux opprimés", explique Ahmed Ettanji, 33 ans et membre d’Équipe Media. 

À la fois victimes et témoins, les journalistes d’Équipe Media informent au péril de leur vie : "On est des journalistes criminalisés, on travaille dans l’illégalité et la clandestinité, car on sort des informations que le Maroc ne veut pas montrer. La plupart de nos vidéos des interventions policières sont filmées depuis les toits car on ne peut pas travailler dans la rue et avoir une caméra en main. On risque de passer plusieurs années en prison", explique Ahmed Ettanji. 

Torture, répression, arrestation

En novembre 2020, alors qu’il s’apprêtait à célébrer son mariage, Ahmed Ettanji a vu les forces de l’ordre empêcher les invités de se réunir pour la cérémonie : "IIs ont assigné ma famille à résidence et celle de ma femme aussi". Une autre fois, pour assister à une conférence de Reporters sans frontières en Europe et alors qu’elle avait un visa, sa femme a dû d’abord rejoindre la Mauritanie pour pouvoir se rendre aux îles Canaries, les autorités marocaines ne lui permettant pas de prendre un avion directement depuis Laâyoune. Les journalistes d’Équipe media sont régulièrement réprimés et certains sont également arrêtés : "On subit la torture, les agressions, la vigilance constante, la confiscation de notre matériel et beaucoup de compagnons sont en prison", regrette Ahmed.

Dans son rapport de 2019, RSF présente également le cas de plusieurs journalistes et activistes interpellés par les autorités marocaines. "Mohamed Mayara est l'un des fondateurs d'Équipe Média et également avocat des droits humains. Le 13 janvier 2019, il est interpellé par un groupe de huit policiers à l'aéroport de Laâyoune. Il a ensuite été détenu et battu sans explication. Il revenait d’une visite dans les camps de réfugiés avec la militante populaire Aminatu Haidar (…) Mayara, après avoir été interrogé sur sa visite dans les camps de réfugiés et son travail à Équipe Média, a quitté l'aéroport sans qu'aucune accusation ne soit portée contre lui, mais avec une ecchymose au visage comme preuve de sa détention arbitraire et de ses passages à tabac. Ce n'était pas la première fois que ce journaliste était victime de harcèlement de la part des autorités marocaines", peut-on ainsi lire.

Pour Ahmed Ettanji, la situation s’est dégradée pour les Sahraouis depuis la rupture du cessez-le-feu de novembre 2021 et la décision de Trump de reconnaître en 2020 la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Mais, explique-t-il, "Si on ne se sacrifie pas, la situation va empirer. Pour nous, c’est un devoir d’informer le monde de l’exploitation des ressources naturelles, de la répression, car si on ne fait rien, qui va savoir ce qui nous arrive… soit on se tait et on vit comme des esclaves, soit on dénonce et on est persécuté", conclut-il.


Photo : Kazuo Ota via Unsplash, licence CC