De nos jours, de plus en plus de podcasts sont créés. En 2020, une étude de l’Institut Nielsen pour Audible révèle qu’il n’existe pas moins de 1 500 000 de podcasts à travers le monde. Ce qui montre une évolution de ce média qui est de plus en plus écouté. Mais les podcasts peinent encore à se tailler une place en Haïti.
En Haïti, il est difficile de donner un chiffre exact sur le nombre de podcasts existant sur la toile. Cependant, dans le cadre de cet article nous avons pu dénombrer près d’une trentaine dont plus d’une dizaine d’entre eux sont réalisés par des femmes, portant sur des sujets variés. Bien que ce ne soit pas un chiffre exhaustif, mais le nombre de podcasts réalisés par des femmes dans le pays demeure très faible. Les raisons pouvant expliquer cela demeurent nombreuses et complexes à en croire certaines podcasteuses.
Lancer un podcast en Haïti demeure un grand défi. Celui-ci n’est pas l’un des premiers espaces de consommation des Haïtiens, opine Pascale Solages, coordonnatrice de l’organisation féministe Nègès Mawon et productrice du podcast féministe Alaso. D’autant plus qu’elle pense que, comparativement à d’autres pays, le développement du podcast paraît "trois fois plus compliqué en Haïti par rapport aux outils technologiques. De ce fait, pour réussir de tels projets cela demande, beaucoup plus de créativité, d’innovation, d’efforts et de ressources", estime-t-elle.
Le podcast, média peu écouté en Haïti
"Je ne vais pas dire que la création d’un podcast soit un obstacle, mais il reste un défi. Car il est primordial que les utilisateurs aient accès à une bonne connexion d’internet. Ils doivent avoir accès également aux applications hébergeant les podcasts, explique Mme Solages. Ce qui n’est pas toujours le cas en Haïti. Mais le plus grand défi demeure la disponibilité du matériel qui n'est pas facile à trouver. Par ailleurs, il existe tout un contexte socio-politique très difficile qui ralentit et retarde toutes les initiatives prises dans le pays". Mme Solages est contrainte d’arrêter Alaso en raison de la crise socio-politique qui frappe actuellement le pays.
Contrairement à d’autres pays où le podcast devient l’un des médias le plus utilisé soit pour traiter un sujet ou pour raconter des histoires, en Haïti, il ne figure pas dans la liste des médias les plus convoités, à l’instar de la radio qui demeure jusqu’à date le premier média de prédilection des Haïtiens. Par ailleurs, comme média numérique, le podcast est confronté au problème de la pénétration de la technologie dans le pays. Ainsi, sur une population de plus 11 millions d’habitants, il y a seulement 2,30 millions d'utilisateurs de médias sociaux en janvier 2021, selon un rapport de Digital. Ce qui montre un manque de fréquentation des plateformes numériques par les Haïtiens alors que les podcasts sont généralement hébergés sur des plateformes en ligne comme Anchor, Spotify et Google Podcast.
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Réaliser des podcasts pour les femmes, par des femmes et sur des sujets liés aux femmes en Haïti, c’est le pari que plusieurs femmes tentent de gagner. "Ce n’est pas une situation liée au podcast mais c’est une situation générale. De même qu’il y a peu de femmes qui font des podcasts, il y a peu de femmes qui font du journalisme, il y a peu de femmes qui font de la radio, il y a peu de femmes qui font de la politique comme il y a peu de femmes au gouvernement", soutient Fania Noel qui croit cependant que même si le podcast n’est le média le plus "démocratique qui puisse exister", il faut créer quand même beaucoup plus de podcasts féministes capables d’aider à l’avancement des femmes haïtiennes.
De son côté, Pascale Solages croit que le manque de création des podcasts par les femmes rentre dans le même schéma patriarcal de la société haïtienne. De ce fait, il est primordial de savoir ‘’qui’’ produit les podcast et à l’endroit de qui sont-ils produits. Car "le podcast donne place à la légitimation de la parole". Par conséquent, puisque les femmes représentent 52 % de la population haïtienne et d’autant plus qu’elles sont constamment au cœur de presque tous les débats de la société, elle croit de ce fait que ce médium demeure l’un des meilleurs moyens pouvant donner accès à la libéralisation de la parole des femmes.
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Perspectives
À côté des problèmes de ressources financières et matérielles, il existe également un grand déficit de formation et d’information en ce qui concerne la création du podcast dans le pays. Malgré le fait que beaucoup d’Haïtien.ne.s ont accès à la technologie, ils sont peu nombreux, ceux qui écoutent des podcasts. Soit par manque d’information ou d’incompréhension. C’est une situation qui ne va pas sans conséquence sur la production des podcasts.
Ces derniers temps, de plus en plus de jeunes en Haïti particulièrement des femmes, s’intéressent au podcast. Cependant son développement, au même titre que beaucoup d’autres secteurs demeure un grand défi. Étant, la nouvelle forme de libéralisation de la parole, le podcast exige la mise en place de ressources financières, matérielles, mais également des fonds d’encadrement à l’égard des créateurs, particulièrement les femmes qui sont celles qui n’ont aucun accès aux ressources dans la société haïtienne.
Dougenie Michelle Archille est juriste et journaliste à Enquet'Action, média d'enquête indépendant basé à Port-au-Prince. Elle a mené plusieurs enquêtes sur des sujets de société. Elle a également été primée lors du concours de reportage sur la crise sanitaire mondiale de l'ICFJ, Covering COVID.
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