Haïti en proie au phénomène de la désinformation

Jul 27, 2021 en Lutte contre la désinformation
Un ordinateur portable refermé

La désinformation est un phénomène aussi vieux que le monde lui-même. Mais avec les différentes formes qu’elle prend, elle devient un peu plus menaçante chaque jour pour les sociétés. Et elle l’est encore plus avec l’expansion des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Ainsi, Haïti n’est malheureusement pas exempt de la catégorie des pays où ce phénomène atteint son plus haut niveau. Pour mieux comprendre la situation, nous avons parlé avec des journalistes séniors haïtiens et experts en communication. 

Haïti n’est pas le seul pays dans le monde où le phénomène de la désinformation existe, mais elle fait partie de ceux où ce dernier fait beaucoup plus de dégâts puisqu’il devient incontrôlable. "Néanmoins, avec l’avènement et la démocratisation des outils de communication de masse, notamment les réseaux sociaux, on assiste à une intensification du phénomène. Le fait est que de plus en plus d’Haïtiens utilisent les réseaux sociaux pour s’informer et/ou informer leur réseau. Et cette tendance qui est, il faut le dire, une bonne chose compte tenu de l’importance de l’information dans la vie démocratique, devient aussi une menace dans la mesure où elle n’est pas toujours pratiquée selon les règles de l’art", commente Raoul Junior Lorfils, éditeur en chef du journal Loop Haïti et Masterant en Management des médias. 

Durant ces 10 dernières années, avec l’évolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le pays, le phénomène de la désinformation prend de plus en plus d’ampleur. Les infox ne cessent de multiplier. C’est même devenu la norme depuis quelques temps. Il y a pas mal d’informations qui circulent dans le pays sans qu’elles puissent être vérifiées soit par les autorités ou par les médias haïtiens.

L’exemple le plus récent demeure le cas de l’assassinat de l’ancien Président Jovenel Moise, le mercredi 7 juillet 2021. Le lendemain plusieurs informations en rapport avec le dossier ont défilé sur la toile sans pourtant être infirmées ou confirmées. Cette situation d’incertitude a semé pas mal de doutes au sein de la société haïtienne au lendemain de la mort du président. 

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Malheureusement depuis quelques années, les médias ne sont plus les seules sources d’information pour les Haïtiens. Les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la consommation d’information dans le pays. Il devient de nos jours très facile pour quiconque, parfois sans formation ou à des fins malhonnêtes, de créer un site Web, une page Facebook et de commencer à "informer" les gens.

Par conséquent, nous connaissons depuis peu une vague de pseudo médias et journalistes qui connaissent un grand succès auprès d’une part importante de la population qui préfère s’informer à partir de vidéos trouvées sur YouTube et Facebook plutôt que de lire un article jugé trop long paru dans un journal fiable. C’est une situation, selon M. Lorfils, qui vient compliquer davantage la lutte contre la désinformation dans le pays.  

Dans cette même lignée, ils sont certains médias pour se conformer à la tendance du moment qui ne vont même pas chercher les informations. Ils se contentent de relayer les informations tirées soit d’un communiqué de presse, d’un tweet ou d’une publication faite sur la page Facebook d’une personnalité sans même parfois les vérifier.  

"Puisque le public haïtien est friand de sensationnalisme, certains médias tentant de répondre à ces attentes impossibles de ce dernier, et pour augmenter leur audience, font chaque jour un peu plus du sensationnalisme", regrette malheureusement le journaliste de carrière et éditeur en chef de l’agence en ligne AlterPresse, Gotson Pierre.

Avec les médias en ligne, dont plus d’une centaine ont été dénombrés par l’Association Haïtienne des Médias en Ligne (AHML), la lutte contre la désinformation devient l’un des plus grands défis du secteur médiatique haïtien. 

Le fact-checking, un secteur encore jeune 

Pour lutter contre la désinformation dans certains pays, certains médias font souvent appel au fact-checking comme moyen de vérification de quelques faits et informations. Cependant, en Haïti, il existe très peu de médias qui s’intéressent à ce dernier. On ne dénombre que deux médias spécialisés dans la lutte contre la désinformation en Haïti. Ce sont Toma.ht et T-Check. T-Check depuis 2016 essaie d’analyser le degré de fiabilité et d’exactitude des informations circulant dans le pays. Mais la tâche n’est toutefois pas facile pour les initiateurs. 

"Notre équipe se concentre surtout sur les photos, vidéos, audio qui n'ont aucun rapport avec un événement mais qui sont quand mêmes utilisés dans l'événement en question pour manipuler l'opinion publique. Pour les photos et vidéos, nous utilisons des outils basiques comme Google Images pour voir si cette photo a été déjà publiée sur la toile. Pour les preuves audio, c'est beaucoup plus compliqué, cela demande d'autres champs d'expertises qui nous dépassent les journalistes assez souvent", détaille le directeur de T-check, Franciyou Germain

Selon lui, l’une des plus grandes difficultés du fact-checker en Haïti demeure le volet de financement qui pèse lourd dans la balance de crédibilité du média. "Un tel outil ne peut pas être financé par le gouvernement ou le secteur privé, sinon ils auront tendance à vous faire manipuler l'opinion publique en leur faveur", fait-il savoir. 

D'autres inconvénients au métier, demeure le fait que très peu de journalistes haïtiens s'intéressent au fact-checking, qui demande beaucoup de formation et de patience pour fouiller, questionner et analyser. Car beaucoup d’entre eux aiment faire la course à la sensation, au buzz et aux scoops. Ce sont des choses dont le bon journaliste de fact-checker se méfie. 

Des perspectives ?

Le phénomène de désinformation est loin de disparaître en Haïti. Des rumeurs, il y en aura toujours dans le pays. Car, selon le spécialiste en communication Jean-Noël Kapferer, la rumeur est le plus vieux média du monde. Toutefois, elle nécessite quand même d’être contrôlée en vue d’éviter des dérives dans la société.

"C’est pourquoi une éducation aux médias demeure plus que nécessaire", plaide Gotson Pierre responsable de l’agence de presse en ligne AlterPresse. De plus, il faut entre autres une autorégulation du secteur médiatique, une conscientisation du public sur les informations qu’il doit accepter ou rejeter. Il revient également aux organes de presse de développer un sens de responsabilité vis-à-vis des informations qu’ils font circuler. 


Dougenie Michelle Archille est juriste et journaliste à Enquet'Action, média d'enquête indépendant basé à Port-au-Prince. Elle a mené plusieurs enquêtes sur des sujets de société. Elle a également été primée lors du concours de reportage sur la crise sanitaire mondiale de l'ICFJ, Covering COVID.