Parler de voyage en temps de pandémie de COVID-19

Jul 16, 2021 en Couvrir le COVID-19
Un homme face au tableau d'affichage d'un aéroport

Printemps 2020. Comme dans un film de science-fiction, la planète Terre subissait l'invasion d'un virus. Le COVID-19 allait impacter la liberté de voyager, avec son blocage interfrontalier. Changement de cap dans la presse pour le reporter voyage, condamné à porter des œillères. Comment réinventer le reportage impliquant un ailleurs lointain ? Quelle marge d'ouverture pour le journaliste carburant à la grande évasion ?

Momentum du "voyage sur arrêt"

En survolant les magazines d'aventure de voyages dans leur mouture estivale - GÉO et son hors série du 23 juin Vive les petits pays de France ou Grands Reportages et son spécial "Grandes Alpes", le spectre de la découverte s'amenuise. Les restrictions à monter à bord d'un avion, vers de trop longues distances, annoncent une rétention.

Châtiment ? Pas dans l'esprit de la journaliste québécoise Carolyne Parent qui signe toujours, depuis un an, une pléiade d'articles à caractère touristique. Optimiste, elle a décidé de voir le verre à moitié plein en "recentrant, par la force des choses, ses articles sur le Québec".

L'auteure de livres de voyage a saisi l'occasion du confinement pour peaufiner un nouveau tome intitulé Un monde à voir : 100 aventures à vivre au temps nouveau du voyage. Une œuvre louangeant ce "temps nouveau du voyage" ordonné selon les itinéraires de l'aventurière en 25 ans d'exploration. La journaliste clame que les médias sont le reflet de l'air du temps, et ce temps, sur le plan du tourisme, en est un de quête de sens et de durabilité.

Le fil éditorial anti-voyage 

Si la résilience de certains journalistes leur a permis de sortir la tête de l'eau depuis le printemps fatidique 2020, ce ne fut pas tout rose pour d'autres. Journaliste indépendante affiliée au voyage en Afrique de l'Ouest, je collaborais depuis la Teranga à un quotidien majeur de Montréal : Le Devoir

Parmi ces voyages, un séjour à Bamako sur la colline de Lassa parmi une communauté vouant au rastafarisme culte et inspiration. L'île capverdienne de Santiago et son grenier insulaire à Boa Entranda. Puis une série de reportages du nord au sud de la Teranga, au festival de jazz de Saint-Louis, à Joal-Fadiouth, fief originel de Léopold Sedar Senghor et sa mystique île aux coquillages.

Face à la pandémie, bon nombre de chroniqueurs voyage du Québec ont vu leurs récits d'ailleurs déclinés, non-recevables à publication. Le motif ? D'une part, "l'importante baisse des revenus publicitaires survenue au début de la pandémie", précise Manon Dumais, adjointe à la direction du quotidien. "La rubrique Voyage a été annulée puisque les voyages à l'international étaient interdits", complète-t-elle, ignorant si la forme initiale du récit de voyage grand format renaîtra. 

Un passage similaire pour la journaliste Ariane Arpin-Delorme. Avec deux acolytes, elle s'apprêtait à vivre le trek Rose Trip au Sénégal, annulé pour une seconde fois. En 2021, l'exploit prévu au Portugal subit le même sort. Une réalité amère, à laquelle s'ajoute celle de la difficulté de faire accepter tout synopsis de voyage.

La plupart des médias ne veulent pas acheter ce genre de textes ou ne les rétribuent pas. Astucieuse, la jeune femme trouve d'autres alternatives pour maintenir un lien avec la quinzaine de médias auxquels elle collabore depuis une décennie de carrière : vendre des photos de son cru, solliciter les publications en ligne et blogues, approfondir l'activité de recherchiste en audiovisuel, rédiger en anglais. 

Et l'image du voyage à l'étranger ?

Adil Boukind, photographe indépendant prolifique, a aussi goûté à l'effet covidien dans sa pratique. Collaborateur spécial à L'Obs et au quotidien La Presse, captivé par le reportage en zone de conflits, il rejoint en février 2021 l'Irak, subissant des itinéraires multipliés au gré des restrictions de voyage propres à chaque pays.

Il doit conjuguer avec des pertes d'argent en réservation de vols, à la non-couverture des assurances voyages. Tout projet journalistique lui est devenu ardu à planifier, mais il insiste sur un point : le monde continue de tourner et l'information internationale doit circuler. Sur l'espoir d'une reprise normale du métier, il garde la foi, craignant la résistance au vaccin dans les pays non-occidentaux. 

[Lire aussi : Voici comment vous préparer à partir en reportage pendant la pandémie]

 

Ashley Gibbins, directeur général de l'Alliance internationale des reporters de voyage et éditeur du bulletin AllWays traveller, rappelle le rôle premier du journaliste de voyage : créer des articles autour d'un récit. "Bon an mal an, le lecteur en retire du plaisir, même si très peu auront l'occasion de visiter le dit lieu décrit".

Un article voyage doit aussi transmettre une part didactique, en abordant les us et coutumes des peuples. À l'ère de la mondialisation, il croit qu'ici ou ailleurs, les gens se ressemblent, cherchant à améliorer les conditions de vie de leurs proches. Tout voyage porte le sceau de l'accueil du voyageur. D'ailleurs, les souvenirs de voyage les plus impérissables découlent de ce lien avec l'autre, "l'étranger". Avant comme au terme de la pandémie, le reporter voyage procédera ainsi pour rapporter ses histoires uniques, via les réseaux sociaux qui ouvrent à un mode interactif avec le lecteur. 


Hélène Boucher est journaliste indépendante et reporter voyage basée au Sénégal depuis 2018. Elle décrypte des enjeux environnementaux et sociaux et collabore à une pléiade de médias au Canada dont le magazine d'analyse internationale Sans frontières et le quotidien Le Devoir.

Photo sous licence CC, via Unsplash, Erik Odiin