En France, l'avenir du magazine Science et Vie en question

Jan 15, 2021 in Sujets spécialisés
Paris

Le journalisme scientifique en France est en plein bouleversement. Les organisations syndicales du mensuel scientifique Science & vie se battent pour réclamer l’indépendance éditoriale suite à une très controversée réforme annoncée par les nouveaux responsables du magazine.

D’après les membres du syndicat du titre, le nouveau propriétaire ne fait qu'envenimer la situation au lieu de trouver des solutions à la table de négociations.

Malgré un prêt d’argent public d’un montant de 33 millions d’euros accordé au magazine scientifique au mois de juillet dernier, les trois quarts de sa rédaction envisagent de plier bagage très prochainement devant "le mépris affiché par leur nouvel employeur face aux revendications légitimes".

Dans une interview à IJNet en français, une journaliste de Science & Vie et membre du bureau de la Société des journalistes de Science & Vie (SDJ), dénonce sous couvert de l’anonymat "l’attitude du propriétaire du magazine qui envisage de faire des économies sur les postes, en enlevant les journalistes de la rédaction du site internet pour les remplacer par des non journalistes payés très peu cher".

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Les journalistes défendent l’importance de leur travail d'enquête, une vraie nécessité. Tout le monde ne peut pas s'improviser journaliste scientifique.

Le magazine Science & Vie qui revendique à ce jour environ 150 000 abonnés et 4 millions de lecteurs, s'est retrouvé vendu l’an dernier avec plusieurs dizaines de ses thématiques par Mondadori au nouveau propriétaire, le groupe Reworld Media. 

Par ailleurs, plusieurs personnalités ont apporté leur soutien à la rédaction, à l'image de l'acteur Thierry Lhermitte. 

Les membres de la rédaction du magazine ont été en grève en octobre pendant trois jours. Ce mouvement faisait suite au départ de leur rédacteur en chef, Hervé Poirier. Ce dernier a quitté le magazine après plus de deux décennies dans l'entreprise, "puisque je n’avais plus la confiance personnelle de l’actionnaire, je n’avais plus les moyens de protéger la rédaction", avait-il déclaré au Monde dans un article datant du 1er décembre dernier.

"Nous sommes toujours ouverts à des discussions, mais le nouveau propriétaire s'est montré totalement indifférent à nos revendications (...) alors beaucoup d'entre nous pensent à quitter leur poste", affirme la journaliste interviewée. La Société des journalistes de Science et Vie dénonce la publication de contenus sur le site internet du magazine, "sans aucun accord de la rédaction en chef ni de la direction de la rédaction".

Qualité de l'information scientifique

Dans un communiqué, les salariés soulignent que pour les journalistes des rédactions, ce départ signe le refus de l'actionnaire d'accéder à ses demandes : à savoir garantir l'indépendance éditoriale de Science et Vie, y compris sur le site ; réaliser les embauches nécessaires au maintien de la qualité, en particulier celle d'un journaliste médecine/santé.

Selon le syndicat, ce départ brutal "du directeur de la rédaction, garant de l'indépendance éditoriale, laisse les rédactions désemparées mais plus que jamais déterminées à sauvegarder la qualité de l'information scientifique".

Les employés du magazine scientifique français craignent de perdre la main sur le contenu en faveur du nouveau propriétaire "qui n’affiche que l’intention d’animer son site internet avec des contenus produits par des non-journalistes chargés de faire grimper l’audience ou d’attraper de la pub".

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Dans un message posté sur son site web le groupe Reworld Media, qui détient désormais les actions du magazine Science & Vie annonce "son entrée dans une nouvelle phase de développement sur un marché des médias digitaux toujours en forte croissance".

"La presse n'est pas un produit comme un autre car en ces temps de crise sanitaire, il est encore plus crucial de disposer d'une information scientifique de qualité", affirme Cécile Cout, employée syndiquée de l'entreprise.

Information scientifique pour forger l'esprit critique

Si les revendications des employés du magazine scientifique français reposent sur l’indépendance éditoriale face à des contenus produits par des non-journalistes chargés de faire grimper l’audience ou d’attraper de la pub, les avis sont unanimes : tous les titres récupérés par Reworld Media en sortent affaiblis.

La qualité de l’information scientifique participe à forger l'esprit critique du public et l’aide à comprendre un monde complexe.

"Parce que la connaissance n'a pas de prix et elle passe par l'information scientifique", observe pour sa part  Michel Lambours, un citoyen français faisant référence à une restructuration controversée en cours au sein du magazine scientifique français.


La société Reworld Media n'a jusque-là pas donné suite à nos demande d'interviews. 


Aimable Twahira est journaliste scientifique, basé à Kigali (Rwanda). Plusieurs fois primé, il travaille régulièrement sur des sujets liés à la science et au développement au Rwanda et dans les régions des Grands Lacs et d'Afrique de l'Est. Depuis 2000, il a exercé au sein de différents organes et agences de presse régionales et internationales. Il a été consultant pour la Banque africaine de développement (BAD), le Centre international des journalistes (ICFJ) basé à Washington ainsi que pour l'Alliance Panafricaine pour la Justice Climatique (PACJA).


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