Tout ce qu'il faut retenir de l'édition 2020 des Assises du journalisme

by EPJT - Les Rattrapages de l'Actu
Oct 7, 2020 in Couvrir le COVID-19
Jérémie Nicey, enseignant-chercheur à l’EPJT, a insisté sur la nécessité de vérifier l’information dans le but d’éviter les fake-news. Photo : Elise Bellot/EPJT

La 13e édition des Assises internationales du journalisme a eu lieu à Tours les 1er et 2 octobre 2020. L’occasion pour des journalistes et des chercheurs d’échanger sur le thème "Informer aux temps du Covid" et de partager leur expérience.

Un Français sur deux a jugé anxiogène le traitement médiatique de la pandémie, selon le baromètre Viavoice. Pourtant 91 % des sondés ont trouvé le journalisme utile pendant la crise, une progression de 5 points par rapport à la période avant crise. Ces résultats invitent à "une remise en cause" du travail des journalistes "mais pas à un mea culpa", pour Laurent Guimier, directeur de l’information à France Télévisions. "Il est quand même rare que 100 % de la profession soit à la fois actrice et victime d’un sujet qu’elle doit traiter"
rappelle-t-il. Cyril Petit, directeur adjoint au JDD, lit ces résultats comme une urgence "à dépassionner l’époque", et à donner plus de place au fact-checking. Le domaine de la santé est le plus exposé aux fake news, selon le baromètre. 

La compétition entre presse écrite et réseaux sociaux s’est intensifiée avec la crise sanitaire

"Une guerre que l’on est en train de perdre" pour Eric Mettout, journaliste spécialiste du numérique. Les lecteurs se tourneraient de plus en plus vers les réseaux sociaux pour s’informer, malgré l’investissement des médias traditionnels. Cyril Petit, directeur adjoint de la rédaction du JDD, est moins pessimiste. La transition vers le numérique est une "chance à saisir" pour suivre son lectorat sur d’autres plateformes et d’autres formats. Une presse française qui s’est encore peu emparée des multiples possibilités du numérique, avec des contre-exemples comme "La Matinale" du Monde.

"Dès l’annonce du confinement, certains indicateurs ont noté une hausse de la recherche “Covid complot” sur internet", explique le sociologue Gérald Bronner. L’auteur de La Démocratie des crédules a eu carte blanche sur la pandémie ce vendredi matin, l’occasion pour lui de revenir sur l’influence des fausses nouvelles pendant la pandémie. Le sociologue note que des minorités actives ont rendu très accessible leur point de vue pendant la crise. Il donne l’exemple des antivaccin très présent en Allemagne et un peu moins en France. Cette progression s’explique, selon lui, par une indécision de plus en plus forte de la population qui ne trouve de réponses dans les sources institutionnelles.

"Le baromètre ViaVoice assure que 33 % du public juge nécessaire le travail de fact-checking." 

Jérémie Nicey, enseignant-chercheur à l’EPJT, a animé un débat sur les fausses informations au temps de la Covid, en compagnie de Pauline Talagrand (rédactrice en chef adjointe AFP Factuel) et Adrien Sénécat ("Les Décodeurs" du Monde). Grâce à ses 92 fact-checkers présents à l’international, l’AFP a pu suivre l’évolution de la propagation des fake news au cœur de la crise et à travers le monde entier, en premier lieu à Wuhan.  La situation évolutive de la pandémie a compliqué leur travail de vérification : "Tout le monde a été touché par cette vague de fausses informations, même des journalistes", souligne Pauline Talagrand.

Jérémie Nicey, enseignant-chercheur à l’EPJT, a insisté sur la nécessité de vérifier l’information dans le but d’éviter les fake-news. Photo : Elise Bellot/EPJT

Le temps passé sur les réseaux sociaux a augmenté pendant le confinement, mais pas dans le but de s’informer 

Selon Julien Le Bot et Clara-Doïna Schmelck, journalistes média à Intégrale, nous étions plus disponibles et disposés à recevoir des informations, mais pas à les traiter de façon critique. Ils ont évoqué le concept de double-confinement, à échelle globale et individuelle. Il s’agit d’un rapport à l’information qui s’auto-alimente car, du fait des algorithmes, des contenus similaires tournent en boucle. La confrontation de points de vue est rendue plus difficile pour les utilisateurs. "Les réseaux sociaux ont profité économiquement du confinement contrairement aux médias traditionnels qui n’ont pas bénéficié de ce public captif."

"Les gens se sont abonnés pour comprendre et s’informer" se réjouit Tristan Vey du service sciences/médecine du Figaro. L’ensemble des intervenants au débat "S’informer au temps du covid", ont dressé un constat simple : "Avant la pandémie on était arrivé à un moment où, parfois, la forme prenait le pas sur le fond. Il n’est pas nécessaire de partir avec une équipe à l’autre bout du monde. Capter des témoignages et avoir de vraies interview en Skype, même pixellisées ont suffit", ajoute, la journaliste Caroline Roux. Laurent Guimier, directeur de l’information à France Télévisions, confirme : "Skype est arrivé dans les reportages. Une manière extraordinairement dégradée de faire du reportage, mais qui a permis de réagir, de donner la parole, de montrer des réalités. Il a aussi permis à des citoyens de filmer leur actualité."

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"Les quartiers n’ont jamais été autant au cœur du sujet dans les médias", explique Yassine Alami, fondateur de La Chaise Pliante. Et pourtant, ils n’ont jamais été aussi mal représentés. La couverture médiatique reste "sensationnaliste" et continue la "culpabilisation de ces populations" comme le précise Latifa Oulkhouir, directrice du Bondy Blog. Le fond du problème, la difficulté d’accès aux soins, n’est que peu médiatisé, comme le souligne Abdelaali El Badaoui, président de Banlieues Santé. Cet écart de traitement pousse à l’émergence de nouveaux médias : "Vous n’en voulez pas, on va le faire nous-mêmes" pour Latifa Oulkhouir.

Abdelaali El Badaoui, président du média Banlieue Santé, souhaite "une couverture médiatique des quartiers plus morale". Photo : Elise Bellot/EPJT

"On n’avait pas l’angoisse de la page vide, mais des 24 pages vides. Pourtant, c’était très stimulant." Confrontés à une pénurie de sujets dans leurs journaux respectifs, Jean-Philippe Leclaire (L’Équipe) et Fabienne Pascaud (Télérama) ont partagé leurs expériences sur cette période paradoxale. Les journalistes ont dû multiplier les pas de côtés pour maintenir le lien avec les lecteurs malgré la baisse de pagination.  Avec des informations dominées par la Covid-19, leurs rédactions ont fait le pari de traiter une actualité anxiogène de façon plus légère : séries historiques, reportages en immersion auprès des sportifs et artistes, etc. "Les lecteurs avaient  besoin de sujets positifs, d’évasions culturelles et sportives", a estimé Fabienne Pascaud. Pour les deux professionnels, les médias spécialisés sont restés des points de repère importants pour leur lectorat malgré les difficultés économiques rencontrées.

Le Monde a gagné 50 000 abonnés pendant le confinement

La Covid a donné naissance à "une nouvelle communication, de nouveaux liens d’utilité et de partage. On refait connaissance en quelque sorte", explique Roselyne Dubois, journaliste sur BFMTV. La notion de "redécouverte du public" était omniprésente pendant cette période. Les journalistes vivaient l’actualité en même temps que leurs auditeurs, grâce aux lignes directes créées entre le média et le public. Notamment Le Monde, avec ce qu’ils ont appelé le slow live, qui permettait des interactions permanentes avec les internautes. Le quotidien a gagné 50 000 abonnés pendant le confinement. Face à l’interrogation concernant la démagogie de la démarche, Frédéric Carbone, animateur de la tranche d’information 12 heures – 14 heures sur France Info, rétorque : "On doit faire la différence entre les faits et les opinions. Nous, on répond à des questions concrètes." Tous retiennent le même sentiment d’utilité et d’humilité dont ils ont dû faire preuve pour informer pendant cette période inédite.

Quatre représentants des principaux médias tourangeaux (TV Tours, La NRCO, France Bleu Touraine et 37°) ont débattu du sujet de l’information en Touraine aux temps de la Covid-19. La crise sanitaire a eu un impact sur l’organisation de leur travail et leur manière d’informer le public. En quatre heures, le 15 mars, Emmanuelle Pavillon, directrice départementale de La Nouvelle République Indre-et-Loire, avait mis ses 40 journalistes en télétravail. "Tout le monde fonctionnait très bien depuis chez soi", précise-t-elle. Mikaël Texier, rédacteur en chef de TV Tours ajoutait même que "la distance était presque bénéfique, car elle donnait des angles d’approche différents sur la pandémie". La rédaction de France Bleu Touraine a, elle, mis un mois et demi à s’adapter au télétravail. Autre constat, la crise sanitaire a renforcé le lien entre le lectorat et les médias. Pour Mikaël Texier : "On était le miroir de la vie du territoire, à un moment où il était à l’arrêt".

Informer aux temps du télétravail, un défi pour les rédactions

Leïla de Comarmond, présidente de la Société des journalistes aux Echos, explique la difficulté à fixer des limites aux horaires de travail par les rédactions. Emmanuel Vire, journaliste à Geo, pointe le manque de lien et sa crainte de la pérennisation du télétravail. Simon Roger, journaliste au Monde, parle quant à lui, de fierté collective d’être parvenu à produire un journal à distance. Il déplore toutefois un défaut de diversité dans les sujets, traitant principalement de la pandémie. Tous s’accordent à dire qu’une réflexion est aujourd’hui à mener sur l’avenir de la production de l’information et sur l’offre web qui s’est fortement développée depuis le confinement.

[Lire aussi : Gérer son rôle de parents et son travail de journaliste pendant la pandémie]

 

"L’expert ne doit pas planer au-dessus des sociétés", a affirmé Pierre Rosanvallon, historien et sociologue. La question de l’avis des experts a ressurgi avec les doutes autour de la Covid-19 et les déceptions populaires face aux réponses de la science. Pour le sociologue, un expert doit avant tout "donner des certitudes et exposer des incertitudes". Le journalisme doit reposer sur une approche pédagogique, faire comprendre quelles sont les limites et l’état de la recherche. Le rôle de l’information est de "donner aux citoyens l’intelligence de la situation", plutôt que d’asséner des vérités. "La démocratie est une école de l’incertitude raisonnable."

"La personnalité de Didier Raoult a exacerbé le caractère binaire de l’information" a lancé Yves Gingras, historien et sociologue des sciences au début de la table ronde. Les intervenants se sont servis du cas Raoult pour illustrer les limites méthodologiques du journalisme scientifique. L’épidémiologiste, prompt au "populisme scientifique" selon Gérald Bronner, a vu sa méthode être remise en question. "Il a refusé de faire une étude randomisée en double aveugle", a rappelé Simon Roger, chef du service Planète du Monde. Les intervenants en sont ainsi venus à pointer du doigt la recherche de l’homme providentiel en ce contexte d’incertitude. Comment choisir le bon expert ? A qui faire confiance au milieu des controverses ? La solution pourrait être la polyphonie des témoignages. "Il faudrait trouver les bons experts au pluriel" a insisté Leïla de Comarmond, journaliste aux Echos.

Roselyne Bachelot annonce une nouvelle mesure pour lutter contre la précarité dans la presse. Quelques minutes avant la remise des prix des Assises 2020, la ministre de la Culture a confirmé qu’un arrêté sera publié le 15 octobre. Il doit préciser les conditions d’accès des pigistes aux prestations de la Caisse nationale d’assurance maladie. Par cette initiative, Roselyne Bachelot entend "remédier à une anomalie parfaitement injustifiée". Cette annonce complète celle du plan d’action de 460 millions d’euros pour la filière presse, officialisé le 27 août dernier par le gouvernement. La ministre a plusieurs fois affirmé son attachement à la liberté de la presse, le "cœur" battant du "pacte républicain".

La bannière de reporters sans frontières déployée en soutien à Khaled Drareni, à la fin de la cérémonie. Photo : Claire Ferragu/EPJT

La bannière de reporters sans frontières déployée en soutien à Khaled Drareni, à la fin de la cérémonie. Photo : Claire Ferragu/EPJT 

Une remise des prix sous le signe de la liberté d’expression. 

Caroline Roux, présidente des Assises 2020, a tenu à clore la cérémonie sur le thème de la liberté de la presse. Lors de la remise du prix du Livre du journalisme, elle a lu avec émotion un passage de l’ouvrage de Riss, Une minute quarante-neuf secondes, qui raconte la tuerie de Charlie Hebdo. Plus tard, un hommage a été rendu au journaliste algérien Khaled Drareni, condamné à deux ans de prison dans son pays pour avoir couvert les mouvements du Hirak. Le jury a conclu la soirée en diffusant une vidéo du rassemblement de plusieurs journalistes TV à Paris en soutien à Drareni, datant du 7 septembre, sous les applaudissements du public.


Cet article a été publié une première fois par l'Ecole publique de journalisme de Tours / Les rattrapages de l'actu

Article écrit par les élèves de l'EPJT : Elise Bellot, Nejma Bentrad, Hugo Boudsoq, Carla Bucero Lanzi, Alexandre Camino, Marion Chevalet, Antoine Comte, Laure d'Almeida, Théodore de Kerros, Léobon de la Cotte, Zahra Douche et Claire Ferragu.


Photos : 

Elise Bellot/EPJT

Claire Ferragu/EPJT

Photo en une Jérémie Nicey, enseignant-chercheur à l’EPJT, a insisté sur la nécessité de vérifier l’information dans le but d’éviter les fake-news. Elise Bellot/EPJT