Italie : les attaques contre la liberté de la presse se multiplient sous l’égide de Meloni

Dec 5, 2024 in Lutte contre la désinformation
Scène de rue à Florence en Italie

La liberté de la presse continue d’être sous pression en Italie. Une situation qui n’est pas nouvelle, mais qui s’est accentuée ces dernières années, sous le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni. "On constate une vague sans précédent d’attaques contre les journalistes. Depuis l’arrivée de Meloni, beaucoup d’attaques viennent de Rome et ont un caractère politique," explique Renate Schroeder, directrice de la Fédération européenne des journalistes (FEJ).

Augmentation des procédures-bâillons, criminalisation de la diffamation, écoutes téléphoniques de journalistes couvrant des sujets migratoires ou environnementaux, menaces d’organisations mafieuses, ou encore concentration des médias sont autant de préoccupations soulevées par différents rapports. Des rapports, qui ne sont d’ailleurs pas toujours très bien reçus, comme celui de la Commission européenne consacré à l’état de la liberté de la presse et du pluralisme il y a quelques mois.

"Meloni n’aime pas trop être critiquée. Quand notre rapport est paru avec des interviews de journalistes que nous avions faites, elle était en Chine, mais a quand même attaqué ces journalistes, en disant qu’ils n'étaient pas sérieux et de gauche. Pour nous, c’est un grave signal, on ne peut pas faire une liste noire de journalistes," explique Renate Schroeder. Les plaintes concernant la liberté de la presse dans ce rapport avaient même été qualifiées de "fake news" par la cheffe du gouvernement italien.

Les rapporteurs faisaient, entre autres, état d’inquiétudes autour de l’indépendance de l’audiovisuel public ou encore d’une régulation de la publication de certaines informations judiciaires qui pourrait inciter les journalistes à l’autocensure. Le gouvernement Meloni est pointé du doigt depuis des mois pour des pressions qu’il exercerait sur la Rai, l’audiovisuel public italien. En avril dernier, Antonio Scurati, un auteur ayant analysé l'accession au pouvoir de Mussolini, a été privé de lire à l'antenne un essai sur la montée du fascisme.

Des journalistes de la Rai s’étaient alors mis en grève pour dénoncer le "contrôle étouffant" du gouvernement italien. "Lorsque Marine Le Pen a perdu les élections législatives en France, Rai News 24 (la chaîne d'information en continu du groupe public) a censuré l’information pendant des heures," raconte le journaliste italien indépendant Giorgio Ghiglione, lui aussi inquiet de la situation.

Un climat difficile et une perte de confiance

Preuve que la situation ne cesse de se dégrader, l’Italie a reculé dans le classement annuel de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF), passant de la 41e à la 46e place. "L’augmentation des poursuites-bâillons (SLAPP) de la part des politiques et des entreprises contre les journalistes qui écrivent des choses qui ne leur plaisent pas est inquiétante," juge Giorgio Ghiglione. "C’est une façon d’intimider la presse, car peu de journalistes peuvent affronter ces poursuites qui sont longues et coûteuses." 

Entre début 2022 et le 31 août 2023, la majorité des cas de SLAPP dans l’UE ont été enregistrés en Italie (25,5 %), selon un rapport de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE), du Parlement européen. Les journalistes reconnus coupables de diffamation risquent toujours la prison en Italie, malgré des appels répétés de plusieurs organismes à changer la loi. L’an dernier, le journaliste et auteur Roberto Saviano a par exemple été reconnu coupable de diffamation à l'égard de la première ministre et condamné à payer 1 000 euros pour l’avoir insulté.

"Le Parlement étudie une réforme du délit de diffamation dans la presse qui, à notre avis, aggraverait la situation actuelle," s’inquiète la Fédération nationale de la presse italienne (FNSI). "En éliminant la prison des peines possibles, comme demandé par l'Europe et la Cour constitutionnelle italienne, cela augmentera de manière disproportionnée les sanctions financières," déplore Alessandra Costante, secrétaire générale de la FNSI, qui souligne qu’en raison du contexte, de plus en plus de journalistes sont pigistes, avec de faibles revenus et peu ou pas de protection.

Cette situation, qui n’est pas nouvelle, impacte fortement la confiance des Italiens envers les journalistes et les médias. Seulement 13 % des Italiens pensent que les médias sont indépendants de toute influence, selon des données du Digital News Report 2022. C’est l’un des pourcentages les plus bas des pays couverts par le rapport.

"Les gens ne croient pas les médias, pas plus que les réseaux sociaux, c’est un vrai problème. Tout ça est renforcé par cette perception que les médias privés sont partisans et que les médias publics ne sont pas indépendants," analyse Roberta Carlini, du Centre pour le pluralisme et la liberté des médias (CMPF), qui dans un rapport détaillé évalue la situation à un "risque modéré" en Italie. 

Des attentes et des inquiétudes 

La législation européenne sur la liberté des médias (EMFA), qui a notamment pour but de protéger le pluralisme et l’indépendance des médias, pourra-t-elle faire changer les choses en Italie ? En tout cas, c’est l’espoir de plusieurs. "Si l’Italie n’approuve pas de nouvelles lois d’ici août prochain, comme sur les nominations dans les médias publics, cela pourrait conduire à l’ouverture de procédures d’infractions au niveau européen," explique Roberta Carlini. Les États membres ont en effet encore quelques mois pour appliquer de nouvelles règles pour se conformer à la législation.

La Commission européenne, dans le cadre du mécanisme de l’État de droit, attend aussi des réponses de l’Italie à ses recommandations, comme de "poursuivre le processus législatif sur le projet de réforme sur la diffamation, la protection du secret professionnel et des sources journalistiques en évitant tout risque d’impact négatif sur la liberté de la presse." En cas de non conformité persistante, il pourrait là aussi y avoir des sanctions.

Mais d’ici-là, c’est le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, et ses liens étroits avec le propriétaire de X, Elon Musk, qui inquiètent. D’autant plus, quand on sait que Giorgia Meloni s’est montrée proche de ce dernier à plusieurs reprises. "Le potentiel impact est énorme," s’inquiète Renate Schroeder. "Quand on voit que malgré tous ces mensonges, cette désinformation et ces campagnes de diffamation contre les journalistes, ils ont réussi, ça ouvre la porte à d'autres pays, c’est un cercle vicieux. On redoute que ce mauvais exemple arrive dans des pays européens, comme en Italie."


Photo de Tolga Kilinc sur Unsplash