Les maladies tropicales négligées, grandes absentes des sujets médiatiques au Togo

Oct 28, 2022 in Reportage de crise
Une chercheuse

L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a officiellement reconnu le Togo, le 22 août 2022, comme premier pays au monde à avoir éradiqué quatre maladies tropicales négligées (MTN). Il s'agit de la dracunculose, la filariose lymphatique, la trypanosomiase humaine africaine (THA), et le trachome. 

Cependant, d'autres MTN sévissent principalement dans les régions difficiles d’accès du pays. Là où l’eau potable et les moyens d’assainissement sont rares et où les changements climatiques ne font qu’aggraver cette situation.

Selon l’OMS, en 2020, au niveau mondial, 228 millions de cas de paludisme ont été signalés, dont 602 020 décès. De même, 38 millions de cas de filariose lymphatique, 15 millions de cas d’onchocercose, 12 millions de cas de schistosomiase, 220 897 cas de dengue et 25 064 cas de fièvre de la vallée du Rift, entre autres, les arboviroses et les maladies à transmission vectorielle ont été recensés.

Pourtant, les populations ignorent toujours la menace sérieuse que constituent ces maladies pour le développement socio-économique, enfermant la plupart d’entre eux dans un cycle cruel de pauvreté. L'une des causes de cette situation est qu'au Togo, les journalistes et leurs médias parlent de moins en moins des modes de transmission de ces maladies endémiques. 

Pas assez d’information sur les MTN

Interrogé sur les raisons de ce désintérêt pour les sujets liés à ces maladies, la journaliste Ambroisine Memede, directrice de rédaction de l’Agence de presse privée Savoir News, basée à Lomé, indique que le ministère en charge de la santé ne partage pas assez d’informations sur la situation gravissime de ces maladies avec les médias.

Pour elle, "au Togo, les maladies tropicales négligées sont très peu connues de nous professionnels des médias et donc très peu connues du grand public. On a l’impression que c’est avec la récente session régionale de l’OMS que beaucoup ont découvert ces maladies."

Avant de poursuivre, "par exemple, le Togo a éliminé le trachome, mais beaucoup de nos confrères se sont posés la question : 'c’est quoi au juste ?' Tout simplement parce qu’on a très peu d’informations dessus [...]". 

Thibault Adjibodin, coordonnateur de la session Togo du REMAPSEN (Réseau des Médias Africains pour la Promotion de la Santé et l'Environnement) estime que le non engagement des journalistes sur ce genre de sujets est dû essentiellement au non accompagnement des médias sur les plan informationnel et financier.

"Bon nombre de journalistes ne sont pas motivés à l'idée d'informer sur ce genre de questions tout d’abord parce que le ministère en charge de la santé n’organise pas d'initiatives en ce sens à l’endroit des médias. Souvent ce n’est qu’une minorité de confrères qui relaie de petites actions sur ces sujets alors qu’il s’agit bien d’une urgence sanitaire et normalement les confrères des médias locaux devraient être amplement associés.", affirme-t-il.

Aussi ajoute-t-il, "il y a également le problème financier qui est à relever. Nos médias traversent une crise. Nous ne nous sommes pas encore remis des impacts de la Covid-19. Normal que le centre d’intérêt soit plutôt des sujets qui nous permettent de tenir financièrement."

Un problème de spécialisation et de spécialiste 

Pour Abel Koffi Ozih, rédacteur en chef au journal Santé Education, le désintérêt des journalistes sur ces sujets tient d'un manque de spécialisation dans le domaine de la santé.

"Le sujet sur les maladies tropicales négligées est d’ordre sanitaire. Ainsi, la plupart de nos confrères ne trouvent pas de bons angles pour éduquer ou sensibiliser les populations. Tout simplement parce qu’ils ne sont pas spécialistes du secteur. Pour que les journalistes puissent savoir réellement de quoi ils doivent parler, cela ne peut être possible que grâce à la spécialisation", explique-t-il.

Pour pallier ce problème, le journaliste spécialiste de la santé trouve qu’il serait important que le ministère en charge de la santé permette aux journalistes de toucher les réalités sur le terrain. "Il faut déjà que les spécialistes qui s’y connaissent sur ces genres de maladies descendent par moment sur le terrain avec des journalistes. Ceci permettra à ces derniers de voir la réalité et savoir comment rédiger des histoires pour informer la population", recommande-t-il.

Adri Baba Gnassingbe est le directeur national des radions rurales au Togo. Pour lui, bien que les MTN sévissent pour la plupart du temps en milieu rural, le désintérêt des médias ruraux sur ce sujet viendrait du fait que ces maladies ne font pas l’objet de grandes consultations à cause de beaucoup de préjugés.

"Il faut des spécialistes pour parler de ces maladies aux journalistes. Cependant, la plupart ne sont pas forcément disponibles tout le temps. Donc les médias de proximité en parlent mais pas tout le temps. Si des programmes ou projets d'ONG ou autres existent sur ces maladies, je crois que les médias s'y intéresseraient, ils auraient des spécialistes à portée qui savent de quoi ils parlent."

Les médias au service des MTN 

Interrogé sur le rôle des médias dans la sensibilisation sur les Maladies Tropicales Négligées, le Docteur Folly Agnonvi, biologiste et épidémiologiste indique qu’il faudrait que des actions de communication soient menées afin de faire connaître les MTN auprès du grand public.

"Les MTN peuvent être prévenues et traitées grâce aux médias, étant donné que ces maladies endémiques continuent de provoquer de graves défigurations. Les MTN doivent occuper une place prépondérante dans l’espace médiatique. Nous devons retrouver ce sujet partout. Tous les journaux doivent le traiter, vu les autres handicaps à long terme qu’elles génèrent constituent des obstacles à l’éducation, à l’emploi, à la croissance économique et au développement général", affirme-t-il.

Avant de préciser : "grâce aux médias, nous pouvons créer le changement et encourager le plus grand nombre des populations à prévenir, voire éliminer ces maladies endémiques".


Photo : Julia Koblitz via Unsplash, licence CC