Au Cameroun, les professionnelles des médias développent le data-journalisme

Apr 15, 2022 in Data-journalisme
Une femme travaille sur un ordinateur

Au Cameroun, grâce notamment à des formations offertes par différents programmes, les femmes journalistes maîtrisent progressivement cette pratique. Tour d'horizon. 

"Le data-journalisme me semble idéal dans un environnement médiatique où les lecteurs sont de plus en plus pressés et ont la culture du zapping comme dans l’audiovisuel. Le data- journalisme a l’avantage de capter l’attention du lecteur et le retenir sur une information phare. Cette approche contraint aussi à aller droit au but dans la pratique journalistique tel que cela est toujours recommandé", reconnaît Alexandra Tchuileu, data-journaliste au sein du média à capitaux publics, Cameroon Tribune.

En réalité, l’utilisation des données était, jusqu’à une date récente, totalement l’affaire des hommes dans le milieu journalistique au Cameroun. D’ailleurs, Arnaud Kévin Ngano, journaliste camerounais signait le 10 janvier 2020 sur le site actualitéducameroun l’article : Datajournalisme : Le Cameroun à la traîne. Les femmes journalistes n’ont pas échappé à cette réalité. 

Or, explique Leocadia Bongben Jisi, journaliste freelance spécialisée en santé, l’utilisation des données rendues disponibles par les enquêtes démographiques de santé (EDS) au Cameroun dans les reportages peuvent aider les décideurs à adopter des politiques plus appropriées pour améliorer le bien-être des populations. 

Wanadata

La journaliste intègre le journalisme des données par Code for Africa, plateforme pour la valorisation des produits de la recherche et l’usage des connaissances technico-scientifiques pour le développement économique de l’Afrique et des entreprises à travers les données ouvertes et le data-journalisme (avec comme bras séculier, Wanadata). Aussi bénéficiera-t-elle en 2021 d’une bourse sous Wanadata, qui signifie "Femmes des données".

L’initiative présente au Cameroun, au Sénégal, en Afrique du Sud, au Kenya, au Nigeria, en Tanzanie et en Ouganda vise principalement "à améliorer les compétences des femmes dans la manipulation des données. La communauté Wanadata Cameroun a été lancée en septembre 2020. Et nous comptons plus de 50 membres", comme l’explique Christelle Tankeu, coordinatrice de Wanadata au Cameroun. 

"J’ai produit quatre articles sur le COVID-19 sous la supervision d’un encadrant. À ce dernier, je proposais le type de data que je comptais utiliser pour illustrer mon article, nous discutions et nous mettions d’accord", renseigne Leocadia Bongben Jisi.

"Au début, ce n’était pas facile mais j’ai acquis le réflexe avec le temps et je comprends que les données apportent une plus-value à un travail journalistique. Je les utilise désormais."

En si peu de temps, la journaliste est aujourd’hui parmi les 10 meilleurs utilisateurs des résultats des Enquêtes démographiques de santé (EDS), selon le Demographic and Health Surveys (DHS) Program qui l’indique dans un palmarès rendu public le 23 février 2022 sur blog.dhsprogram.com

Open Data pour Elles 

Pour sa part, Alexandra Tchuileu figure parmi les 24 journalistes dont six par pays, formées en 2021 dans le cadre du projet Open Data Pour Elles, partenaire de mise en œuvre du Medialab Pour Elles de l’Agence française de développement des médias (CFI). L'objectif : "former des journalistes au data-journalisme et à la production d'investigation portant sur le genre. Le projet Medialab Pour Elles se déroulait simultanément au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Niger et à Madagascar", indique Madeleine Guegang, journaliste environnementale et représentante de Open Data pour Elles au Cameroun.

Elle explique : "En 2019, j'avais organisé des formations en journalisme de données et traitement de l'actualité environnementale, dans le cadre de ma bourse avec Global forest Watch (Global Forest Watch Fellowship). 24 journalistes (hommes et femmes) avaient été formés à Yaoundé et Douala", rappelle-t-elle. "Créé en décembre 2018, Open Data Pour Elles regroupe aujourd'hui 40 femmes de 13 pays d’Afrique francophone, œuvrant pour plus de visibilité des femmes à travers l’utilisation des données ouvertes et libres d’accès", reprend-elle.

Les rédactions n’ont pas toujours recours à cette pratique parce qu’elles ne la maîtrisent pas.

Pour Madeleine Guegang, deux enquêtes sur "les femmes lésées dans les programmes agricoles et les zones prioritaires de l’éducation au Cameroun", sont un exemple de bonne collaboration des journalistes des médias différents à l’issue de la formation de 2021. 

Toutefois, "au niveau de ma rédaction, la pratique n’est pas encore répandue. Cela est moins du fait de la réticence, que de la maîtrise de cette compétence. La photo n’est pas en concurrence avec les éléments de data-journalisme (il arrive que les deux aillent dans le même texte). Il se pose davantage un problème de compétence et de compréhension de ce que le data-journalisme peut résoudre comme problème d’espace. La photo a sa place, le diagramme ou la cartographie aussi (surtout quand chaque élément sait être utilisé comme il se doit)", relève Alexandra Tchuileu. 

Par l’explication du bien-fondé du data-journalisme, Madeleine Guegang et Christelle Tankeu réussissent à convaincre les responsables des rédactions pour cette pratique.


Photo christina-wocintechchat via Unsplash